J ’ai remarqué, dans le cours de ce tte . traverfée du détroit-à
Négapatnatn , que pendant le jour le vent fe rapprochoit toujours du
S o le il, c ’eft-à-dire, qu’il fe détournoit allez conftamment, & cherchoit
PEU ; au contraire, pendant la n uit, il remontoit au Nord-eft & au
N o rd -n o rd -e ft, en forte que les variations de ce vent de mouflon ont
été entre le Nord-nord-eft & l’ Eft-quart-Sud-eft. Dans les mers de
C h in e , j’ ai trouvé ce vent de mouflon beaucoup plus fort & plus
fixe au même point du ciel ; car je n’ y ai vu d’autre variété que du
Nord-nord-eft au Nord-quart-nord-eft.
Il n ’eft fias poflible d’avoir un vo y ag e plus heureux que celui-ci.
V o u s verrez en réfu'mant toutes les dates rapportées dans cette
le ttre , que nous n’avons employé que trente-deux jours de navigation
à nous rendre de Manille à la côte de Négapatnatn, quoique
nous foyons fortis tard de Manille ; cette traverfée eft une des
plus belles qui fe foient vues depuis long-temps. Quant à la façon
dont j’ai été à bord du Vaideau le Saint-Antoine , je n’ai point à m’en
plaindre, puifque le Capitaine m’a trailé comme lui-même. Nous
reliâmes vingt-quatre heures à Négapatnam : le 2 6 , nous en appareillâmes
à trois heures & demie après, midi avec un hon vent frais
de Sud-eft.
L e Capitaine, par fon contrat paffe à Madras avec les Arméniens,
ne pouvoit toucher à aucun comptoir de la cô te ; il devoitfe rendre
direétement à Madras. Cependant il avoit mouillé à Négapatnam,
& vous favez qu’il s’offrit devant vous de me mettre en paflïmt à
P o n d ich é r y , en cas que le vent ne fût pas forcé 1 je le fis donc
reflouvenir à Négapatnam de fa promelfe ; il donna ordre qu’on ne
dépaflat pas Pondichéry. En conféquence, le premier Pilote veilla
toute la n u it; nous diminuâmes de voiles pour ne pas dépaffer
P on d ich é ry , parce que le vent étoit un peu fo r t, & que nous faifions
beaucoup de chemin.
A cinq heures & demie du matin, nous aperçûmes Pondichéry,
nous fîmes force de voiles deffus , & à fix heures & demie , nous
mouillâmes à une demi-lieue de terre : ce fut un peu contre le gre
des Arméniens. L e s Arméniens ne voient & ne connoiflent dans
le monde que leur argent. Ils s’imaginoient qu’ils alloient tout perdre
pour s’arrêter deux heures au plus en rade de P on d ich é ry , pendant
la plus belle faifon, dans laquelle on n’a rien à craindre. D e mon
côté, je voyois une épargne confidérable en n ’allant point à Madras,
que je n etois point d’ailleurs curieux de voir ; car les Bateaux
du p a y s , non plus que les V a iffeau x , ne peuvent point remonter
la côte dans cette faifon , & le voyage de Madras à Pondichéry , que
j’aurois été fo r c é , de faire par terre , m’auroit confidérabieinent
coûté;
Lorfque nous fumes à l ’anc re , on nous envoya de terre" une
chelingue dans laquelle je m’embarquai avec tous mes effets & in f-
trumens d’Aftronomie que vous me connoiffez ; il-faifoit le plus
beau temps du monde. A peine eus-je débordé, que l e ’ Vaifleau
vira fur fon an c r e , & je n ’étois pas à moitié chemin, que la caravane
étoit en route : il étoit au plus n e u f heures & demie lorfque
je mis pied à terre. C e fut donc le 2 7 Mars à n eu f heures & demie
du mat.n , que je me vis fur la terre, qui m’étoit marquée par
le deftin. _
M es premiers pas me portèrent à me préfenter devant le G o u verneur.
L e Capitaine de port chez lequel on me conduifit en
débarquant, m’accompagna; j ’avois eu "l’honneur de voir ce G o u verneur
à l ’île de F ranc e , lorfqu’il y pafla en .1:764. Il fe rappela
parfaitement bien cette ép o q u e , & il me fit un accueil, je puis vous"
l ’aflurer, comme il auroit fait à un frère dont il auroit été abfent
depuis long-temps. II approuva le parti que j ’avois pris , de venir
à Pondichéry : une ca lè ch e , tirée par quatre beaux ch e vaux ,
î’attendoit à fa porte pour le tranfporter à fa maifon de campagne
à une lieue de Pondichéry , où Madame la Gouvernante étoit allé
pafler la belle faifon. ,
M . La-vv donna donc furie champ ordre qu’on débarquât mes effets,
& qu’on en eût fo in , me fit-monter avec lui-dans fa c a lè ch e ,
m emmena à fa maifon de campagne, où je trouvai une nombreufe
& bonne compagnie, bonne mufique & un excellent dîner. Je
paffai la journée à me réjouir ; & à onze heures du fo ir , je revins