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» les champs font jonchés de cadavres & de fquelettes de ces
» animaux, que ia difette a fait périr, & fait mourir encore tous
» les jours ; une vache avec ion veau- fe donnent pour deux
» roupies ( quatre livres feize fous de notre monnoie ) , & on
» ne trouve point à les vendre, perfonne ne voulant fe charger
de beftiaux qu’il ne peut nourrir. »
Du j Août 1 7 6 } .
« La route d’ici à Madras eft un défert, ainfi que les environs
» de cette ville ; les pauvres infortunés Indiens commencent
» cependant à rebâtir peu-à-peu leurs miférables paillotes & à
» répandre quelques grains de riz dans leurs champs. Lorfque
» j’allai à Vilnour, à deux lieues d’ici, la campagne au-delà de
» nos poflèffions faifoit compafiïon, ainfi que Vilnour; les
» oflëmens des beftiaux étoient par gros tas, nos propres champs
» en étoient jonchés, aujourd’hui même iis ne font pas encore
» entièrement nettoyés des trilles fquelettes de ces animaux, à
» peine fait-on quelques pas fans en voir des relies.
» Les Anglois ont retiré beaucoup d’argent du Bengale ;
» mais la plus grande partie a été engloutie pour la fécondé
» fois dans l’Inde , par les frais immenfes que cette fuperbe
» Nation a été obligée de faire pour foutenir la guerre contre
«< Eder-Ali-kan ; le Nabab leur doit à la vérité beaucoup, mais
» il ne payera jamais. S’ils reprennent les places de ce Prince
» qu’ils ont évacuées par la pa ix, & qu’ils les gardent comme
» ils ont déjà fait, ils retomberont dans le premier cas où ils fe
» font trouvés, ce qui fait Voir que les Européens doivent fe
» borner à leur commerce ; avoir une bonne place pour fe faire
» refpeéler ; éviter tout lÿftème de domination dans le pays, &
n'entrer dans aucune dilpute, car de-là vient tout le mal, »
Nos campagnes aux environs de Pondichéry, enchantoient
en Janvier & Février 1770-, les riz qui couvroient ces
campagnes annonçoient une récolte abondante; ü on avançoit
du côté des terres du Nabab, on étoit faifi d’une elpèce d’horreur;
ces terres fi fertiles dans d’autres temps offraient à perte
de vue l’image du plus affreux défert, comme fi le feu eût paffë
fur ces terres ; & cela près d’un an après la guerre. C ’étoit
l ’ouvrage de la dernière campagne d’Eder-Ali-kan; le pauvre
peuple avoit perdu toute fa richeffe, fes miférables beftiaux
qui lui fervoient à cultiver fon champ, avoient été enlevés,
ou étoient morts de faim, comme quelques-uns des maîtres;
les terres étoient demeurées fans culture, parce que le peu
de monde qui les habitoit alors, & qui auroit pu travailler,
n’étoit pas revenu de fa frayeur ; il n’ofoit planter dans la
crainte d’une feconde révolution. Les moyens manquant
aux autres, que pouvoit-on leur demander?
Si les guerres défolent les campagnes, elles influent également
fur les manufactures, & néceffairement fur le commerce.
Je voudrais que l’on pût faire le parallèle du commerce
aéluel des Européens dans l’Inde, avec celui que les Romains
y faifoient autrefois; je doute que l’on trouvât que nous
avons de ce côté de l’avantage fur les Romains.
Je fais que les Princes Mogols, lorfqu’ils fe fentent plus
foibles que leurs ennemis, font dans l’ufâge d’implorer
l’affiftance des Européens, en leur faifant mille belles pro-
meifes ; mais que deviennent ces belles promeffes? La fourbe
tient lieu de tout dans ce pays ; & l’alliance que l’on peut
faire avec ces Princes, ne fert tout au plus qu’à enrichir
quelques particuliers , en ruinant fans reffources la compagnie
qui fait la guerre en leur faveur.