voulant pas qu’ils fuflènt immortels, il leur donna une
liqueur différente de l’amortam. Deux de ces démons, nommés
Ragou & Ketou s’étant doutés du tour de Vichnou, changèrent
adroitement de place avant qu’on fût venu à eu x , & allèrent
fe placer dans le rang des anges. Vichnou. y fut trompé;
Ragou & Ketou eurent de l’amortam & le burent.
Le Soleil & la Lune s’aperçurent que ces deux démons
avoient changé de place, ils en avertirent Vichnou ; celui-ci
fans héfiter leur coupa la tête, & cette tête fut immortelle,
parce que l’amortam y relia & qu’il n’étoit point- encore
delcendu dans leurs corps, qui finiifoient, ajoute la fable,
comme ceux des ferpens.
Ces deux têtes, fort étonnées, commencèrent à crier bien
fort & à protefter contre l’injuftice de Vichnou. Pourquoi
nous traitez-vous de la forte l n’avons-nous pas travaillé comme
les autres ! ne devons-nous pas participer aux mêmes faveurs!
iàns nous, auriez-vous l’amortam ! Vichnou répondit, que
puilque la choie étoit faite, ils feraient dorénavant fans
corps, & que leurs têtes jouiraient, malgré cela, d’un plaifir
auffi grand & aufli parfait que s’ils avoient un cprps.
Ces deux démons ont gardé une haine immortelle contre
le Soleil & la Lune, & cette haine fe réveille fouvent
C ’eil par une fuite de cette haine qu’ils cherchent de temps
en temps à les engloutir.
Mais fi un pareil malheur arrivoit, le monde fe trouveront
privé pour jamais de la lumière, & tomberait dans une nuit
éternelle: pour prévenir le défendre qui s’enfuivroit dans la
machine de l’Univers , auffi-tôt qu’un de ces démons s’élance
lùrl’unou l’autre de ces deux Aftres , tous les dieux accourent
& s’entremettent pour appaifer ce démon : de leur côté, les
d a n s l e s M e r s d e l ’ I n d e . 191
Gentils le plongent dans l’eau, s’humilient ; le profternent
devant le démon , le prient avec ferveur pour obtenir de
lui la délivrance de l’Aitre qu’il veut engloutir ; ils accompagnent
leurs prières d’un torrent de larmes & d’un tintatnare
qui ne celle que lorlque i’Éclipfe eft finie ; pour lors ils
penfent que le démon, touché par leurs cris & leurs prières,
a enfin lâché & laiffé l’Altre tranquille.
Tel eft le conte que l’on m’a fait à la côte de Coromandel,
& dans lequel les Brames entretiennent les peuples : mais
cette fable eft certainement une allégorie dont il ferait
très-curieux de favoir le fens; car dans l’Inde, comme en
Grèce, tout paraît allégorie.
Cette fable a une autre verfion dans les provinces fepten-
trion|les de i’Indoftan; la voici en peu de mots, telle que me
l’ont contée les Tamoults. Vichnou voulant avoir de l’amortam
fit fon entreprife avec les dieux fans en parler aux gëans &
fans fe fervir de leur miniftère; mais pendant que les dieux
travailloient de leur côté à faire pirouetter la montagne, les
géans, qui de tout temps ont été les ennemis des dieux,
tiraient la couleuvre par le bout oppofé. L ’effort fut fi violent
de part & d’autre que le monde en fut ébranlé;, il s’affaiflâ;
or, Vichnou, craignant qu’il he fût renverlé, fe métamor-
phofa fur le champ en tortue, & alla fe pofer feus le monde
pour le foutenir; d’un autre côté, la couleuvre qui étoit à
cent têtes fe fentant tiraillée par les deux extrémités avec tafit
de violence, vomit tout d’un coup contre les géans un poifon
fi fiibtii que la plupart en moururent fur le champ.
Cette aventure arriva aux géans par le pouvoir & par la
permiiîioh de Vichnou. L ’amortam parut enfin ; & dans la
crainte où fe trouva Vichnou que le refte des géans 11e man