mais alors mon Tamoult avoit à peu-près, à ce qu’il me dit,
toutè la méthode de l’Indien.
O r , Nana Moutou, c’ell le nom de cet Indien, ignorant
que Ion dilciple étoit déjà venu chez m o i, vint me voir
fuivi d’un Interprète , qui me dit que la perionne qui
i’accompagnoit, làvoit calculer les Eclipfes, & qu’il ne tenoit
qu’à moi d’en faire l’effai : il n’y avoit pas plus de huit jours
que j’étois à Pondichéry. Je lui propolai de calculer devant
moi l’EcIipfe totale de Lune du mois'de Décembre 1768;
il me promit de revenir & de faire ce calcul en ma préfence.
II ne manqua point à fa parole ; il revint le lendemain matin
avec un petit paquet aie feuilles de palmier & un fac de cauris
( elpèce de petit coquillage ) il s’affit par terre, & en maniant
ces cauris avec une vîteffe finguiière, & en conlultantde temps
en temps fon petit livret, il me donna toutes les phafes de
l’Eclipfe en moins de trois quarts d’heure. Je confrontai ce
calcul avec celui des Éphémérides, & j’y remarquai allez
de conformité pour me faire admirer la méthode de cet
homme. Lui ayant encore donné d’autres Eclipfes à calculer,
il ne fit pas plus de façon pour celles-ci qu’il n’avoit fait pour
la première.
Le Tamoult qui avoit appris de cet homme avec tant de
peine, m’engagea de lui propofer de m’enfeigner fa méthode,
afin de voir s’il ne manquoit rien à celle , qu’il avoit eue de
lui ; car il m’avoua qu’il n’en avoit pas encore fait d’effai
complet. J’en parlai à l’Indien , qui me répondit qu’il le
feroit volontiers ; & lui ayant demandé combien de temps
il me faudroit pour apprendre à calculer une Eclipfe de
Lune, il me répondit, avec un air d’amour propre, que li
jj’avois des difpofitions, j’en pourrois venir à bout en quatre
d a n s l e s M e r s d e l ’I n d e . 2 1 1
mois, en travaillant beaucoup ; mais il me recommanda bien
ftriélement le fecret, en m’ajoutant qu’il avoit déjà enfeigné
quélque chofe fur les Eclipfes à un Malabare qui en avoit
abufé; que pour tout l’or du monde il n’enfeigneroit pas
davantage à cet homme. Là-delîiis je lui promis tout ce qu’il
voulut : tant j’étois impatient d’apprendre ; enfin nous
fixâmes un temps dans la journée, qui fut quatre heures &
demie du foir, heure à laquelle il s’engagea de venir m’en-
feigner fa méthode.
Les deux ou trois premières leçons allèrent affez bien , à cela
près que ni lui ni fon interprète ne pouvoient me donner
l’explication d’aucun terme; ce fut de cette façon, que
m’ayant donné les douze lignes du Zodiaque en langue
brame , ils ne purent jamais me dire ce qu’ils fignifioient.
Lorfque nous fumes au lieu du Soleil, il ne me fut plus
poffible de rien comprendre à ce qu’il me difoit, foit qu’il
ne pût pas s’expliquer, foit que ce fût une malice de fa part.
Je changeai de trois Interprètes làns avancer davantage 5
j’étois déjà rebuté, & je défelpérois de pouvoir rien tirer de
cet homme. Je mandai dans ce moment mon Tamoult,
je lui fis part de mes difficultés, il m’en fit fortir fort
promptement.
Après cela,- l’autre étant venu à fen heure ordinaire, je
lui dis qu’à force de méditations, j’avois enfin compris ce
qu’il m’avoit enfeigné, & que jetois en état de palier au
lieu de la Lune: mais lui, dont le but étoit vraifemblablement
de m’amufer, me confeiila de calculer un grand nombre de
iieux du Soleil, pour être, me difoit-il, plus au fait du
calcul, & plus en état encore de palier au lieu de la Lune :
ne 1 ayant pas voulu, impatient que j’étois d’en venir aux
D d ij