geaiTent une partie de cet excellent beurre, H eut recours à
un artifice qui réulfit à ion gré; rien ne lui étant iràpoffible,
il prit la forme d’une belle femme : les géans ne tardèrent
pas à devenir amoureux de cette femme ; pendant qu’ifs
s’amufoient avec e lle , les dieux mangèrent ou emportèrent
l ’amortam ; après quoi Vichnou dilparut & laiifa les géans
dans la plus grande confternation & le plus grand étonnement,
qu’on leur eût enlevé cette belle femme, & de ne plus voir
le beurre divin pour lequel ils s’étoient donné tant de mou-
vemens, croyant par-là y avoir le même droit que les
dieux.
Après cela Vichnou invita tous les dieux à un grand feitin
qu’il leur fit préparer : les géans n’eurent garde d’être invités.
C e feitin fût très-fomptueux & digne du dieu qui le donnoit;
les viandes les plus exquifes y furent fervies, mais ce qu’il
y eut de préférable à tout, fut une greffe portion d’amortam
qu’on avoit préparée pour chacun des conviés en particulier.
La couleuvre Sexen fut de la fête, tant,parce quelle eft une
des plus importantes divinités que parce qu’elle avoit beaucoup
contribué à faire le beurre divin. O r , la couleuvre fe
fit attendre, & vint plus tard que les autres; ne la voyant
point paraître, on prit enfin le parti de fe mettre à table &
de réièrver à part la portion de la couleuvre.
Le Soleil & la Lune qui ne le contentent pas d’être les
plus brillans d’entre les dieux, qui font encore les plus
gourmans, félon les Gentils, mangèrent promptement chacun
leur portion, puis tombèrent fur celle de la couleuvre ; ils
avalèrent aulfi bientôt fa portion.
La couleuvre étant arrivée & ayant trouvé fe portion
mangée, fur-tout la portion de i’amortam fur lequel elle
contoit
contoit principalement, demanda qui lui avoit joué ce tour;
étant informée que c’étoit le Soleil & la Lune, elle fut outrée
d’un procédé fi malhonnête de leur part ; elle fe mit dans la
plus furieufe colère, &. troubla toute la fête par le tapage
qu’elle fit : elle dit que je Soleil & la Lune avoient ofé
manquer de confidération pour fe perfonne, qu’ils i’avoient
infultée : mais elle jura en même temps qu’elle les en ferait
repentir , & que leur gourmandife leur coûterait cher ;
quelle trouverait bien le moyen de lés avaler l’un ou l’autre
dans le temps où ils n’y penferoient point & qu’ils feraient
le moins fur leurs gardes, &c.
On voit évidemment par ces fables, que l ’amortam des
Indiens n’eft autre, chofe que le neétar que l’on fervoit à la
table des dieux'chez les Grecs. Si nous avions toutes les autres
febles des Indiens, je ne doute pas qu’on n’y vît toute la
mythologie des Grecs, &c.
C ’eft-ià l’origine de la tête & de la queue du Dragon, dont
il eft fait mention dans les anciens livres d’Aftronomie &
d’Aftrologie, & auxquels on a fubftitué les termes de noeud
afcendant & noeud descendant de la Lune.
La couleuvre, divinité des Indiens , l’eft aufli des Chinois.
Quoique je n’aie point été en Chine, je vais en rapporter un
trait fingulier que j’ai vu à Manille, & qui prouve la force
du préjugé de religion des Chinois.
H y avoit encore à Manille, lorfque j’y étois en 1 7 6 6 ,
un. faubourg appelé le Parian, uniquement compofé de
Chinois; ils y étaient depuis un très-grand nombre d’années,
puifque dans l’Hiftoire elpagnoie de Manille que j’ai traduite,
je trouve les Chinois établis en cette ville dès le temps des premiers
Gouverneurs des Philippines; on les nomme Sanglaye's,
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