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l’autre. Il me répondit que le iang des mamelles qui fervoit
à nourrir les petits animaux, n’étoit autre chofe que le fang
de la mère ; Sc que cétoit Dieu qui, du corps de la mere,
faifoit ainfi paffer le fang dans fes mamelles fous une couleur
différente, pour fervir à élever les petits.
Les Indiens penfent donc s abreuver du fang de la vache
en buvant fon la it, & par conféquent fe nourrir & entretenir
leur vie aux dépens de cet animal ; il ne doit donc pas etie
étonnant que le culte qu’ils rendent à la vache' foit encore
au-deflus de celui qu’ils rendent au boeuf.
Le boeuf ne leur fert qu’aux travaux de la campagne.
La vache leur fert aux mêmes ufages ; & de plus, elle
leur donne pour nourriture fes propres entrailles, fon propre
fang; ils tiennent d’elle en quelque façon leur propre vie.
C e doit donc être un grand crime, félon eu x, de faire périr
un animal fi précieux & auquel l’humanité eft fi redevable.
Les Brames, qui ne vivent guère que de lait, entretiennent
les peuples' dans cette opinion; elle eft fi enracinée chez les
Indiens , que je crois qu’ils fe laifferoient plutôt périr de faim
que de tuer une vache pour la manger.
Les Indiens chrétiens même ne mangent jamais de boeuf;
les MiiTionnaires ont été obligés d’en palier par-là; & eux-
jnêmes n’en mangent point. Les jours de grandes cérémonies,
tels que Pâques, N o ë l, la Saint-Louis, &c. Le Gouverneur
de Pondichéry ïnvitoit à dîner les Chefs de différens Ordres
& États qui compofoient la Colonie françoife; dans cette
ville il n’y a point de boucherie pour le boeuf tant il y
' eft rare : le Gouverneur, pour les jours de cérémonies dont
je parle, faifoit en forte d’avoir un boeuf engrailîë. Jai
toujours remarqué que fous les conviés mangeoient du
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d a n s l e s M e r s d e l ’ I n d e . 18?
boeuf de préférence comme un mets rare, les MiiTionnaires
Malabares feuls s’en abftenoient.
J’ai parlé, dès le commencement de cette première Partie,
de l’état d’avililîèment dans lequel vit la cafte des Parias.
On m’a alluré que les Tamoults convertis, confervent toujours
la même antipathie pour ce pauvre peuple, au milieu même
de notre augufte religion;" en forte que les Tamoults chrétiens
ne veulent communiquer en aucune forte avec les
Parias chrétiens. Les Millionnaires en ont encore palle par-là.
Les Tamoults chrétiens avoient en effet leur églifè & leur
cimetière féparés de ceux des Parias, & une chofe bien
plus fingulière qu’on ma encore affurée, eft que ce n’étoit
pas le même Prêtre qui adminiftroit les Sacremens aux
Tamoults & aux Parias; les Tamoults ne voulant point fe
prêter à cet eipr.it de fraternité qui les unit par la religion
avec les Parias; je ne fais fi les Tamoults font meilleurs
chrétiens fur les autres points de notre doélrine que fur
celui-ci; un grand nombre d’autres coutumes bizarres qué
les Millionnaires leur tolèrent, me fait craindre que ces
fuperbes Indiens ne foient pas aulîi bons chrétiens que
les relations des Miffions tâchent de nous le perluader, &
qu’il n’y ait chez eux plus d’efprit d’idolâtrie que de chriftia-
nifme : l’on peut voir à ce fujet les Cérémonies religiéufes des
Indiens.
Voici un exemple de cette tolérance, dont j’ai été moi-
mêmé témoin.
Les MiiTionnaires faifoient tous les ans, à Ariancoupam,
a une lieue de Pondichéry, une fête & une neuvaine qui
finilfoit le 8 Septembre ; la plus grande partie des Indiens
chrétiens de Pondichéry s’y trouvoient. Ariancoupam eft
Tome /. A a
Tomt VI.
é'dit» de Paris »
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