arrivant à Malacca. Vous favez q u e M . Bertelin y éloit avec fon
Brigantin ; il me d i t q u ’il avoit v u que c ’étoit le Saint - Antoine , à
la façon dont nous prêtions le c ô té ; parce que les Vaiffeaux ne
reviennent guè re de Manille q u ’avec des piaftres, & que par cette
raifon ils ne portent jamais bien la voile au plus près.
A vant de p o u rlu iv re , je vous avouerai que nos Cartes' m ont paru
défeètueufes ic i; ce qu’il eil d’autant plus important de faire remarq
u e r que la pointe de Romanie & la pierre blanche, font regardées
comme l’entrée du Détroit de votre côté. La pierre blanche fur nos
Cartes eil au Sud-fud-ell de la pointe de Romanie, à trois lieues
environ de cette pointe ; mais félon mon jo u rn a l, elle lèroit a l EU,
cinq degrés environ Nord. O r , voici l’extrait de ce Journal.
« L e i 6 Février , vers les fept heures du matin, nous avons dé-
33 couvert la pierre blanche, & vers les huit heures & demie, nous 1 avons
» doublée, à la diftance d ’un peu plus de di mi-lieue ; elle nous reiloit
sa alors au S u d , & nous faifions l’O u e lt-fu d -o u e lt ; il ventoit boit
3,'frais du N o rd -n o rd - e ll, la tner creufe. A dix heures en v iro n , le
33 Vaifleau ayant la prouë à l’O u e lt f S u d -o u e ll, les îlots du banc de
33 la pointe de Romanie & la pointe de R om a n ie , nous reiloient
33 par le travers à llribord , à une demi-lieue au plus de diftance;
s» les îlots (ont comme des mandrins ou pains de fucre écrafés ; &
33 to u t couverts de bois : la pierre blanche étoit exactement dans la
3» poupe du Vaifleau , elle fe voyoit à peine de defîus la dunette; de
33 la chambre du Confeil on ne la voyoit point : comme cette pierre
33 eft fort peu élevée au-deflus de l’eau , elle étoit au plus a trois lieues
33 lorfque j’ai ceffé de la voir ; d ’où je conclus q u e la pierre blanche
eft mal pofée dans les Cartes françoifes. 33 Mais pour ne pas m’en
rapporter uniquement à notre Journal , j’ai confulté depuis mon
arrivée ic i, celui que j’eus à l’inventaire de M . le Ma rchand, moft
à M a n ille , comme vous le favez, pendant le voyage q u ’il fit en cette
ville en 1 7 6 6 , fur le vaifleau l’Union, fur lequel il commando»
en fécond. O r , je trouve q u ’en doublant la pointe de Routante,
lorfque cette pointe lui rejloit au Nord f Nord e/l j degrés Nord; *
deux lieues & demie de dijlance, il ayoit la pierre blanche à l'EJl-nord-cJl >
'■W4 m , ’
2 degrés E J l à toute vue. C e s relèvemens fe rapportent exaélemént
aux miens. Je reviens à ma narration.
Vers les quatre heures après midi, nous avions atteint l’ île Saint-
Jean , d’où nous voulions aller gagner la V io le , pour mouiller au-
delà , en cas que le vent nous manquât; car les pilotes de Macao
ne mouillent jamais dans le Détroit lorfqu’ils ont du vent. Ils naviguent
la nuit comme le jo u r , & ce qui eft plus difficile à croire,
qu’il faflê clair de Lune ou qu’ il n ’en faflè pa s, ils font fi au fait des
différens écueils que l ’on rencontre dans le D é tro it, q u ’ils viennent
auvent pour éviter l ’u n , & arrivent pour écarter l ’autre, comme f i
c ’étoit en plein jour.
E n doublant l ’île Saint-Jean, le vent fauta fubitement à la poupe
de notre V a ifle au , & nous coiffa. C e fut pour nous abandonner
tottt-à-fait dans un endroit où l ’on ne mouille que par néceffité ,
puilqu’on n ’ y a fond qu’à quarante à foixante brafles , & même
mauvais fond. A u ffi - tôt que le vent nous eut q u itté , la mer le
gonfla & moutonna comme elle fait dans une forte brife: les lames
venant de l ’Eft & du Sud-eft tout-à-Ia-fois, faifoient entr’elles un
jeu fingulier ; nous fondâmes & rious trouvâmes foixante braflès. C e
mouvement de la mer,. & le jeu des lamés venoient des courans
contraires qui font quelquefois bien plus confidérables dans un endroit
auffi refîerré. A u bout d’une demi-heure, le vent reprit du
N o rd -n o rd -e ll, & la mer s’unit comme une glace de miroir. Nous
parvînmes à la Viole à fept heures & demie du foir environ ; il faifoit
n u it, le temps n ’étoit pas fort c la ir, & la Lun e dans Ion décours
ne nous prêtoit point fa lumière : nous étions entre deux dangers
également à craindre ; l ’un eft la V io le , l’autre un banc de fa b le ,
fur lequel il y a quelques arbres, & qui n’elt éloigné de la Viole
que d ’une lieue & demie ; il falloit pafîer entre d eux, & il étoit nuit :
je vous avouerai franchement que j ’eus ici un peu d’inquiétude ;
non pas précifétnent à caufe de l ’endroit où nous nous trouvions,
parce que le paflage qui palfe pour périlleux chez quelques Marins,
ne l’ell point du tout ; mai» par rapport à une petite dilpute qui
arriva entre le Capitaine & le premier Pilote.
#
o