Cérémonies
religieufes,
tome VU
Le Brame chargé de calculer les éclipfes qui doivent arriver
chaque année, ne manque pas de publier les rélïiitats de fes
calculs , & les peuples ont grand foin de fe rendre for le
bord de l’eau à l’heure indiquée.
C ’étoit pour la même caufe que je vis paifer fous les murs
de mon Obfervatoire, le 2.3 Décembre 1 7 6 8 , pendant
1 eclipfe de Lune, une foule d’indiens qui alloient à la
mer rendre le Ciel témoin de leurs extravagances. Mais
la fable qui m’a été racontée à ce fojet , eft d’autant
plus digne de remarque qu’elle pourroit bien avoir rapport
à celle de Tantale, que Pindare, Didyme & Tferfès accufent
d’avoir dérobé le neélar & i’ambroifie à la table des dieux
pour en faire part aux mortels, (d)
On trouve dans M.rs fAbbé Bannier 8c le Mafcrier cette
fable , à peu-près telle qu’on me l’a racontée à la côté de
Coromandel ; elle y eft fous deux formes un peu différentes,
ce qui fait voir que la même fable peut être différemment
racontée par les- différentes provinces d’un même Etat.
Je vais la rapporter ici pour mieux foire voir la rellem-
biance que j’ai cru apercevoir entre cette fable & celle de
Tantale.
Le neélar eft certainement l’amortam des. Indiens : or ,
l’amortam eft une efpèce de beurre excellent & délicieux
dont Içs dieux font très - friands, qui garantit de la
foif, de la faim, de la laftitude, &c. & même dé la mort.
C e beurre fe forme dans la mer de Lait, une des fept qui
font, félon ces peuples, daril le monde que nous habitons ;
(d) Voyez Paufanias ¡ dans ion Voyage de la Phocide f tome 11} p» j 8$
note. Traduction de M. l’Abbé Gédoyn.
d a n s l e s M e r s d e l’I n d e . 189
mais il n’eft point aifé de tirer ce beurre de cette mer ; &
cela donna beaucoup de peine aux dieux.
Ce fut Vichnou & Efwara qui entreprirent un jour cette
grande opération ; ces dieux convoquèrent donc les anges &
les démons, afin de favoir d’eux ce qu’il y avoit à faire pour
avoir de l’amortam : il n’y eut qu’un feu! avis dans le confeil;
on convint qu’il folloit apporter dans la mer une haute
montagne d’or appelée Merouva félon les uns, & Margameru-
parruvadam félon les autres , c’eft - à - dire, montagne d’une
hauteur & d’une grandeur immenfe. Le haut de cette montagne
touche le ciel, empyrée, & le bas defcend jufqu’au
deffous de i’abyme; auffi le tranlport de cette montagne
coûta des peines & des travaux infinis ; mais enfin on en
vint à bout. H avoit aufli été arrêté qu’on tourneroit cette
montagne comme le tourneur fait uh: morceau de bois, &
qu’au lieu de corde on emploîroit le grand ferpent Séja.
Les angës & les démons furent employés1 par Vichnou à
tourner cette montagne. Pendant qu’ils y étaient occupés,
dit la fable, il parut des prodiges; entr’autres un poifon fi
venimeux que fon apparition fit craindre pour tous les mondes;
Efwara l’avala, mais il lui refta dans le gofier ; d’où le
furnom de Ni/e canta ou Gofier noir lui fut donné. Enfin
parut l’amortam, qui eft un breuvage comme du lain
L’amortam étant trouvé, Vichnou fit ceffèt le travail, &
pour foulager les anges & les démons de la peine & de la
laftitude qu’ils avoient eues , il les fit ranger fur deux lignes,
afin de leur donner à boire de cette liqueur que leur travail
avoit procurée; *
Il en fit d’abord goûter aux anges ; mais il voulut ufer de
fineife avec les démons, en cherchant à les tromper •"& ne