J’ai vu & mefuré de ces colonnes, elles avoient vingt-quatre
pieds , & les bafes fix pieds.
II y avoit de ces colonnes qui avoient fur le piédeftal
des figures entières fculptées tenant à la colonne, à d’autres
colonnes plus petites tenoient des figures deléphans faits du
même bloc.
Ces ouvrages, quelque greffiers qu’ils ibient, ne font pas
indignes des regards des Européens, & lorfqu on fait attention,
à la molleiîè des peuples qui les ont faits & à l’ignorance
dans laquelle ils font de nos Arts, on eft frappé d’une elpèce
d’admiration : c’eft qu’avec de la patience, je le répète, on
vient à bout de tout, & les Indiens font des exemples de
patience en tout.
Entre Aareug-alad & Eder-abad, on trouve une grande'
& immenie pagode taillée toute entière dans le roc, & qui
n’eil par conféquent que d’une ieule pierre, c’eil encore la
patience qui a fait cette pagode ; il feroit bien curieux d’en
avoir la deicription. J’ai parlé à plufieurs perfonnes qui ont vu
cette pagode, & aucune n’a pu m’en faire une deicription
fatis faifante ; je juge feulement, par ce que m’en a dit un Officier
qui l’a vue , que la pierre de cette pagode n’eit pas de granit ;
mais d’une efpèce de pierre de taillé pareille à celle dont on le
iert à Paris, en ce qu’elle eft tendre & le coupe fort ailement.
D ’après l’idée que je viens de donner de la patience &
des travaux des Indiens, on doit penfer qu’il n’eft pas hors
de vrailëmblance que ces mêmes Indiens aient pu tailler dans
un lèul bloc ces fameulès chaînes de pierre dont on voit
encore les relies à la pagode de Charanbrun. ; Ces chaînes
ont paru fi admirables à plufieurs Voyageurs, qu’ils ont penfé
que les peuples qui les ont faites avoient le fecret de fondre
les
les pierres, c’eft-à-dire de les réduire en une pâte propre à
prendre la forme qu’on .veut lui donner : je ne peux pas
être de leur avis.
Ces chaînes ont été évidemment taillées dans la carrière,
ainfi que les gros blocs de pierre dans lelquels elles paflènt ;
tout cela n’eft qu’un ouvrage de patience animé par leur
préjugé de religion, & foutenu par la ferveur. C e fait paflc
pour confiant parmi les Tamoults. Ces Indiens n’ont pas
plus fait anciennement que ce qu’on leur voit faire aujourd’hui
à Pondichéry & aux environs, quoique plus en petit.
Deux Tamoults lettrés, avec iefquels je me fuis fouvent
entretenu (Mandas & M aleapa), m’ont alluré Je fait, &.
m’orrt ajouté que c’étoit la tradition du pays.
Par la conftitution de l’Inde, il eft difficile que les peuples
qui l’habitent, aient jamais eu d’autres iècrets que ceux qu’ils
pofsèdent aujourd’hui. De temps immémorial ils ont été tels
qu’on les voit aujourd’hui ; la cafte des Orfèvres a toujours
fuivi cette profeffion, celle des Maçons, celle des Tailleurs,
de pierre de même ; je crois que de cette façon les' lècrets
de l’A rt le perpétuent mieux, & font moins fujets à fe perdre :
mais auffi les Arts doivent faire peu de progrès; au relie la
liberté dans les Arts n’eft peut-être pas faite pour un pays
auffi chaud que l’Inde, & cette liberté, fi elle s’y introduifoit
jamais, y feroit fans doute tomber le peuj d’Arts qu’on y-
trouve.
De ce que je viens de dire, je conclus que fi les Indiens
euflènt eu ce prétendu fecret qu’on leur a attribué, de rendre
la pierre en pâte pour en faire des chaînes, iis auroient encore
aujourd’hui ce même iècret.
Ceifons de tant admirer les pyramides d’Egypte, ou
Tome /. P