C H A P I T R E I I I .
Sur quelques points de VAflronomie des Indiens de la
côie de Coromandel (a).
. A v a n t que d’entrer en matière fur i’Aftronomie des
Brames, je dois apprendre à mes Lecteurs, par quel moyen
je me fois procuré leurs méthodes aftronomiques; on fera
d’autant plus curieux fans doute de le favoir, que j’ai déjà
infinué que les Brames ne fe communiquent point aux
Etrangers, & lie cherchent point à rien apprendre d’eux.
Avant mon départ, j’avois lû dans plufieurs célèbres
.Voyageurs françois, qu’ils avoient été témoins de prédictions
fort exaéles d’Éclipfes de Soleil & de Lune par les Indiens.
Depuis fept ans que j’étois dans les Mers de l’Inde, toutes les
perfonnes qui avoient été à Pondichéry, & que je voyois
journellement, m’avoient tant parlé des calculs des Indiens
for les Éclilpfes de Soleil & de Lune, elles m’avoient débité
tant de merveilleux fur la prétendue exactitude avec laquelle
ils rencontraient ces Éclipfes, que mon premier foin fut,
en arrivant à Pondichéry, de m’informer de ce fait.
J appris que ce calcul étoit un fecret renformé dans la cafte
des Bpmes, un fecret qui faifoit partie de ceux de leur
religion, dont les Brames feuls étaient les dépofoaires, &
que perfonne, autre que ces Philofophes, ne pouvoit le
mêler de ces calculs. On m’alfora même que tous les Brames
(a) Une partie de ce Difcours a été lûe à Ja rentrée publique d’après Pâques;
le 21 Avril 1773.
d a n s l e s ~ M e r s d e l ’I n d e . 2 0 7
ne poifédoient pas ce fecret; que dans tout l’Indoflan il n’y
en avoit qu’un très-petit nombre qui fût faire ces fortes de
calculs ; que cette fcience étoit dans leur famille de père en
fils fans être paffée chez les autres familles bramines.
Ces Brames font chargés, par les Princes du pays, de faire
les calculs aftronomiques concernant le calendrier indien ; ils
ont, pour les payer de leurs peines, quelque petite portion
de terre que ces Princes leur ont abandonnée; avec le fecours
de laquelle ils vivent; outre ce modique revenu, ces Brames,
après avoir comporé leur petit almanach, ont des gens qui
en tirent des copies & les diftribuent dans tout les pays
fournis à l’obéiffance du Prince : l’argent qui provient de cette
vente, rentre dans les mains du Brame ; la fûreté du débit
eft fondée for la foperftition des Indiens touchant la eaufe des
Éclipfes. ./ /• ‘ / ' '
D’anciens Miffionnaires me dirent aulfi qu’ils favoient
que les pères Jéfoites avoient envoyé autrefois à M. de la
Hire, les principes qui fervoient aux Brames à faire leurs
calculs for les Éclipfes de Soleil & de Lune; que ce célèbre
Aftronome avoit répondu aux Jéluites, que ces calculs étaient
exaéts, mais qu’il était trop âgé pour examiner la théorie
fur laquelle ils étaient fondés. Si cela étoit vrai, on auroit
dû avoir trouvé ces élémens à la mort de cet Académicien ;
mais je ne me rappelle pas d’en avoir jamais entendu parier,
la façon dont on m’a alforé, & qu’il m’a paru, que ces
Pères font regardés par les Brames , ainfi que tous les autres
Millionnaires, me fait penfer que cette anecdote n’eft pas
vraie; ou, du moins, que les Jéfoites , fuppofé qu’ils eulfent
en effet envoyé cette méthode à M. de la Hire, ne la tenoient
pas des Brames ; ces Brames ont en effet un intérêt particulier