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Le 2 9 , après midi, je portai à bord îe refte de mës effets
jufqu’à mon iit. Je revins cependant à terre pour y paffer
la fbirée avec plufieurs de mes amis, & je couchai chez l’un
d ’eux. Je me repofai fur la parole que me donna Don Jofeph.
de Cordoua, qu’en cas qu’il partît fe lendemain, il m’en
avertirait par un coup de canon.
En effet, le lendemain matin 30, à j o heures, un fort
coup de canon que j’entendis*, me fitv o le r à bord : c'çft
ainfrque je quittai l’Ifle-de-Çrance, & je dois ajouter ici que
c’eft le feul défâgrément que j’aie efluyé dans no,s Colonies
.que j’ai vifitées pendant mes- voyages.
Nous mimes donc à la voile le 30 Mars l y j i , & je
partis dé l’Ifle-de-France trois mois après mon retour fur
Y Indien, temps où- j’aurois dû, fans l’aventure de la tempête
du 3 Décembre 1 7 7 0 , être en France , ou au moins près
de lès côtes,
Nous nous trouvâmes Vers la fin d’A v ril, iôus le cap de
Bonne-elpérance, où de nouvelles peines m’attendoient,
Nous reliâmes près de quinze jours à batailler avant quô
de pouvoir doubler ce cap; nous effuyames, pendant tout ce
temps, tempêtes fur tempêtes, dont quelques-unes ne le
cédoient guère à celle que j’ayois vue fur Y Indien. Ma feule
inquiétude au milieu dp ces tempêtes, étoit la crainte d’être
forcé d’arriver, & de revoir encore une fois I’Ifle-de-France,
cette île que j’avois cependant beaucoup aimée; mais la vue
m’en étoit devenue infupportable depuis les défagrémens
qu’on m’y avoit fait effuyer en dernier lieu. Je témoignai mes
inquiétudes à Don Jofeph de Cordoua, fur le mauvais temps
que nous avions; il m’affura qu’il n’arriveroit qu’à la dernière
extrémité. Ç ’étoit un excellent Officier, très t intelligent &
d a n s l e s M e r s d e l ’I n d e . 6 >
très-aélif; il avoit l’oeil à tout : avec cela, il avoit beaucoup
de confiance en. la Frégate, qui étoit en effet un excellent
Bâtiment. J’appris, dansée dur paflàge, ce que peut en mer:
un bon Vaiflèau bien commandé. Notte Frégate portoit
vingt - fix canons de 12,. armés, les fabords ouverts, &
n’ayant que nos feuis mantelets; c’eft ainfi que nous doublâmes
le cap.au milieu du plus mauvais temps; la mer étoit
horrible & comme je ne l’avois pas vue encore; j’admirois
comme ce petit Bâtiment fe balançoit au milieu de cette
mer épouvantable; nous ne reçûmes qu’un feul coup de
mer, qui encore ne nous fit pas le moindre mal, on manoeuvrait
continuellement; je crois que l’on fit à bord de
YAflrée., pfes de manoeuvres pendant quinze jours, dans les
mers du cap de Bonne-efpérance, que je n’en âvois vu faire
pendant dix ans de voyage.
Le 29 Avril au matin, j’obfervai une éclipfe de Lune;
M faifoit fort beau tejpps : nous venions d’eflùyer une très-
rude. tempête ; .& la mer, qui s’en reffentoit encore, étoit
très-mâle. Les tempêtes nous permettoient de relpirer pendant
deux à.trois jours, après lefquels leur fureur recommençoit :
ce fut dans l’intervalle d’une de ces tempêtes, que j’obfervai.
leclipfe de Lune.
Nous étions fur le banc des Eguîlles; fa fonde de ce banc
eftun point dont ne manquent jamais de s’affurer les Vaifléaux
qui reviennent en Europe, fur- tout quand ils rie touchent
pas au cap de Bonne-efpéranee. Mais quoique la longitude
de ce cap foit fixée par les Obfervatiohs de M. l’Abbé de
h Caille, il n’en eft pas de même du banc des Éguilles,
dont nos meilleures Cartes repréfentent différemment la
figure & l’étendue. J’engageai Don Jofeph de Cordoua;