Pendant que je faifois ces expériences, je fournis auffi à
l’examen l’eau de cinq différens puits, dont trois font dans
Pondichéry | & les deux autres hors de la ville , proche la
porte de Vilnour.
La diifolution du mercure changea fubitement l’eau en
un nuage épais -, blanchâtre dans un des verres, & jaune
dans l’autre; celui-ci renfermoit de l’eau d’un des puits de
la ville. C e nuage fe fixa au fond du verre, en laiiîànt le
tiers de l’eau, en partant de la partie fupérieure du verre,
propre à écrire ; ce qui deviendroit très-
incommode pour ceux qui font obligés
d’avoir fouvent la plume à la main.
J ’ai donc voulu faire à Paris, avec
de i’encre de Nanquin , la plus
cllimée des Chinois, ce que j’avois
fait dans l’Inde & à Manille, c’eft-
â-dire , que j ’ai mis un morceau de
cette encre dans une quantité d’eau
d’Arcueil fuffifante pour la diiïoudre;
douze à quinze jours après, le morceau
d’encre étoit encore dans fon premier
état, feulement un peu ramolli ; en le
preifant entre les doigts, il fe metroit
en plufieurs autres moyens morceaux,
ou bien il reftoit en grumeaux, fans
qu’il fût poifible de s’en fervir ; enfin,
il fallut près d’un mois, même des plus
chauds de l’année, pour achever de
rendre cette encre aifez coulante pour
s’en fervir, pendant que dans l’Inde &
à Manille deux fois vingt-quatre heures
fuffifoient à l’eau du pays pour mettre
l ’encre en état d’être employée.
L ’eau de Seine, ïorfque cette rivière*
eft trop groiîie par les grandes pluies,
ne parvient guère plus vite que l’eau
d’Arcueil à diffoudre cette encre; mais
voici une expérience plus fingulièreque
"J’ai faite à la fin du mois de Septembre
1778,. La Seine étoit alors fi diminuée
qu’on ne fe rappeloit pas à Paris de
l’avoir vue fi baffe; je pris de cette
eau; j ’allai auifi à la rivière de Bièvre*
dont je puifai de l’eau au-deiTus de la
chauifée du nouveau boulevart, & par
conféquent bien avant que cette rivière
arrive aux Gobelins ; je me Îèrvis également
d’eau d’Arcueil : je pris trois
portions égales de ces différentes eaux,
je mis dans chacune un morceau d’encre
de Nanquin, le 2 6 ou le ¿ 7 Septembre
de cette même année 1778 ; au bout de
trois jours, Peau de Seine avoit divife
le morceau d’encre en trois ou quatre
autres , fans que l’eau eût changé de
couleur; vingt-quatre heures après elle
commença de prendre une légère teinte
d’encre, en preifant alors un peu les:
morceaux d’encre contre les parois du
verre, je les mis affez facilement en
grumeaux ; enfin > au bout de dix jours
d a n s l e s M e r s d e l ’ I n d 'e . 5 5 7
très-nette & très-claire. Le fond étoit beaucoup plus épais
que le refte.
Au bout de vingt - quatre heures , je laiiîai écouler i’eau.
Le dépôt jaune étoit confidérable ; le dépôt blanc fétoit bien
autant, mais le fond tiroit fur le jaune-pâle; les parois des
verres étoient enduis de la même matière. Après avoir fait
ces mêmes expériences lùr l’eau des trois autres puits, &
avoir 1,rouvé les mêmes rélûltats , j’ai ramaiîe dans du papier
les différens précipités que j’avois eus, pour les apporter
avec moi en France ; mais à mon arrivée ayant ouvert ces
l’encre étoit réduite en vafè molle,
avec ¡laquelle je pus facilement écrire,
& j’ai remarqué qu’elle devient meilleure'en
la laiffant toujours dans l’eau :
c’éft ainfi que je la conferve en boue,
dans une cafetière de terre verniifée,
& on l’a , par ce moyen, auifi épaiffe
qu’on en a befoin pour les différens
uiàges auxquels on la deftine; je m’en,
fers dans une écritoire ordinaire avec
du coton, je n’en ule guère d’autre
aéluellemènt.
Quant à l’eau d’Arcueil, douze jours
environ s’écoulèrent avant qu’elle changeât
de couleur; cependant, le morceau
d’encre que j’y avois mîs, s’étoit
divife en plufieurs petits ; enfin au bout
de dix-huit à vingt jours cette encre
fe trouva.; réduite en boue ou vafe
molle propre à écrire.
Pendant tbut ce temps, l’eau de la
rivièie de Bièvre ou dès Gobelins
n avoit point changé dé couleur ; le
morceau d’encre fe voyoit au fond en
entier comme le premier jour & dans
le même état, prefque auifi dur, il
avoit feulement acquis un peu d’élafti-
cité , qu’on lui trouvoît en le preifant
foiblement entre les doigts.
Je trouve cette expérience fingulière,
en ce que la propriété de divifer l’encre
de Chine, étant commune aux eaux de
FInde & à-celles de la Seine, & la
Nature l ’ayant refufée aux eaux des
Gobelins, il fembleroit que les eaux de
la Seine, dans l’état où elle étoit en
Septembre 1778 , fe rapprochèroient
davantage de celles de l’Inde pour la
teinture, & qu’elles ièroient préférables
en-cela à celles de la rivière de Bièvre ;
c’eft une expérience que le temps ne me
permet pas de tenter; il me fuffit d’avoir
fait voir que nos eaux de Seine 6c
d’Arcueil, dans leur état ordinaire, ne
diifolvent pas auifi promptement l’encre
de Chine que les eaux de l’Inde ; <Sc
que les eaux de la rivière des Gobelins,
quelle qu’en foit la caufe encore, font
les moins propres pour cet ufagê.
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