c’eft-à-dire, Marchands. Ces Chinois avoient leur Gouverneur
pris parmi! eux, un Alcade efpagnol auquel Hs avoient
affaire pour le temporel, une Paroiflë & un Curé dont iis
dépendaient pour le fpirituel; le roi d’Efpagne ne les ayant,
jufqu’à ce jour , fouffert aux Philippines, qu’aux conditions
qu’ils profeflëroient la -religion Catholique.
La fête de Saint Charles, qui arrive le 5 Novembre, fut
célébrée à Manille, en 1 y 6 6 , avec plus de pompe &
d’appareil qu’elle n’avoit coutume de l’être ; les indiens & fur-
tout les Meftices s’emprefsèrent le jour de cette fête de faire
voir leur attachement pour S. M. C . aufli-bien que les Chinois
du Parian; ce qui occaftonna plufieurs jours de mogigangas,
c’eft-à-dire, de mafcarades ou de farces qui duroient depuis
environ fept heures du loir jufqu’à neuf.
Les Chinois eurent leur jour marqué comme les autres.
Mais leur divertiflement ne plut pas ; il étoit làns doute tiré
du fond de leurs moeurs, coutumes & croyances 11 différentes
de celles des Européens & de la Nation chez laquelle ils
étaient établis, qu’il n’eft pas étonnant qu’on n’y prit aucun
amufement ; quoique ce pût en être un fort grand pour ceux
de leur Nation qui étaient préfens.
Le lieu où fe paflbient ces mafcarades eft la grande place
de Manille, vis-à-vis la maifon du Gouverneur, appelé le
Palais: le Gouverneur & toutes les-perfonnes de là. fuite;
l’Audience royale, le Clergé, -la Ville , &c. affilièrent à ces
mafearades dans les balcons du palais. Les Chinois parurent
donc vers les fept heures le 6 Novembre., jour qui leur
fut marqué pour leurs mafcarades ; elle confiftoit en une
cavalcade de chevaux de papier ou de carton, accompagnés
de poiifons faits de même matière, & d’une couleuvre
d a n s l e s M e r s d e l ’ I n d e . 195
dont la tête était lur-tout très-bien imitée: cette couleuvre
n’avoit pas moins de quarante pieds de longueur.
Les poiflbns & les chevaux n’avoient pas l’air moins naturel
que la couleuvre. Les Chinois firent différentes fortes de folies
fort bizarres avec leurs poiflbns, & fur-tout avec la couleuvre; ils
la firent danfer & iàuter de mille manières pendant long -temps;
après quoi elle fe repofa ; les poiflbns en firent autant : les
chevaux eurent leur tour; ils firent différens exercices, fans
I doute à la façon de Chine : fe tout fut accompagné par une
! mufique ou chant chinois fort baroque & des plus déiàgréahles,
I quoique cadencé ou melûré, & qu’ils exécutèrent principale-
I ment devant la couleuvre, en lui failànt faire en même temps
I différens mouvemens très-finguliers. T e l fut à peu de chofe
I près le divertiflement que donnèrent à Manille les Chinois
I du Parian, en réjouiflance de la fête royale: mais ce diver-
I tiflement, loin de plaire au Gouverneur, le révolta ; il n’y
vit que fuperftition; & ces peuples firent là, félon lu i, un
aéle d’idolâtrie, dans la repréfentation de la couleuvre à
laquelle ils fembioient, en effet, rendre un culte plutôt qu’ils
ne fbngeoient à célébrer la fête royale.
Il y a bien de l’apparence que les danfes, la mufique & les
paroles qu’on n’entendoit point, & dont les mouvemens qu’on
faifoit faire à la couleuvre étaient accompagnés, fe rapportaient
à cette couleuvre comme objet du culte des Chinois.
Le Gouverneur que je vis deux jours après m’en paria
dans ces propres termes; & il fe promettait bien que la chofe
n’arriveroit point une autre fois.
C ’eft à peu - près là tout ce que j’ai pu apprendre fur
la religion des Indiens de la côte de Coromandef. Ceux qui
ont été dans les provinces feptentrionaies, dans le Bengale,
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