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mort qu’ils répandirent eux-mêmes, ils eflâyèrent les moyens
de s’emparer de mon revenu ; la Gazette de France, pendant
mes voyages, ne parla dè moi en aucune façon ; mais elle
¡l’oublia pas de faire très-fouvent mention des autres Voyageurs
Ries contemporains, qui étoient allés dans d autres climats
pour le même objet que moi ; mes héritiers conclurent très-
judicieufement, fur le filence de la Gazette dé France à mon
égard, que j’étois mort; ils en vinrent au point de vouloir
faire rendre compte à mon Procureur.
J’avois tellement pris mes mefures , & j’avois fi bien établi
mes correfpon dances par tous les pays & ports par où j’avois
pafle, quoique je reftafîè fouvent peu de temps dans le même
lieu, que je recevais allez fréquemment des nouvelles de
mon Procureur, & qu’il en recevoit également des miennes
tous les f ix , fept à huit mois au plus ; le refus qu’il fit
de faire part de çes lettres à mes héritiers, en leur affurant
cependant que je vivois & qu’on me reverroit, fut ce qui
les irrita ; ils prétendoient que ce n’étoit pas la première fois
qu’on avoit ainfi fubftitué de faux perfonnages à des per-
fonries vraiment mortes.
Revenu de Manille à Pondichéry,, peu de temps avant
mon départ de cette ville pour repalfer en France, je reçus
une lettre de mon Procureur qui m’apprit que la nouvelle
de ma mort s’était répandue dans tout le pays, &c.
Saris m’en alarmer , je continuai mes Obfêrvations aftro-
ïtomiques , & lorfque je les eus terminées, je me mis en route
pour rejoindre ma patrie, avec la célérité que les circonftances
& les évènemens pouvoietit me permettre. A chaque relâche
je mandais à mon Procureur les progrès de ma marche; &
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■ enfjn je me trouvai en France, même au centre de Paris,
■ fans que mes héritiers le foupçonnaffent.
B ien tô t un bruit fourd fê répandit dans le pays, que j’étois
■ de retour, mais on n’y ajouta pas foi dans les commencemens,
■fur-tout lorfque l’on vit que bien loin d’aller démentir le faux
■ b ru it dç ma mort, je reftois à Paris ; on ignorait que des
Braifons elTentielIes me forçoient à cette réfidence.
Je payai bientôt la longueur de mon abfènce par une
[fièvre maligne qui m’attaqua à l’entrée du printemps; au
i fortir de cette cruelle maladie , dont j’échappai avec les
i fecours & les foins de feu M- Bourdelin, Médecin, &
; Membre de l’Académie royale des Sciences, je profitai des
[vacances pour aller faire un voyage dans ma patrie. Je fus
[ très-bien accueilli de tout le monde, on fe metfoit aux portes
& aux fenêtres lorfque je paffois dans les rues ; & j’eus
| plufieurs fois la fàlisfaétion d’entendre le monde me recon-
noître & atteiler tout haut que j’étois pleinement en vie :
■ nous comptâmes environ dans le même-temps, mon Procureur
& moi, ç’eft-à-dire, après douze ans d’ablênçe ; je paffai
fur différons articles & le compte fut arrêté, C ’efl: alors que
je reconnus combien cet homme était intéreffé, je petifois
I en être quitte pour un prélent que la reconnoiiîànce m’auroit
: déterminé à lui offrir, lorfqu’ii exigea, pour prix de fa geflion,
deux fous pour livre ; quelque malhonnête que fût cette pro-
f pofition, je conlèntis à cette exaélion pour n’avoir rien à dé-
: mêler avec un Procureur : néanmoins je continuai de me fervir
j de lui au même prix, attendu que me? occupations, à Paris
i me mettaient dans l’impoifibilité de recevoir par moi-même
I le revenu de mon bien ; ma trop grande confiance me devint
I funefte : en effet, ce Procureur à gage, inftruit que fon
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