224 V 0 Y A G E
Les dernières guerres de l’Indoftan, commencées fous
M. Dupleix, nous ont, à la vérité, procuré des Cartes géographiques
de quelques parties de l’Inde ; mais je doute que
ces Cartes foit plus exaétes que celle de Guillaume de l’Ille :
j’ai vu à Pondichéry une de ces Cartes qui avoit été faite fur
des Mémoires & Journaux qu’avoit procurés l’expédition,
envoyée dans le Décan, par M. Dupleix: cette Carte avoit
été faite dans le goût de celles dont parie Strabon. J’étois
fur le point de me procurer une copie de celle dont je parle :
je crus inutile de me charger d’un pareil ouvrage pour le
.montrer en France, lorfque j’eus découvert les fondemens
qui avoient fervi à conftruire cette Carte. Je fus inilruit de
fort bonne part, que lorfque les différons points marqués
dans le Journal, & ceux fûs par des ouï-dire ( comme parlé
Strabon ) furent placés, il refta vers le milieu de la Carte un
grand elpace vide à remplir, qu’on ne put boucher faute
de matériaux ; il auroit fallu, pour le faire, une province
auflx grande que la Picardie ou la Normandie. L ’auteur qui
ne s’attendoit pas à cela, fût obligé de faire prêter les points
de fa Carte, & d’étendre leur diflance reipeétive. C ’eft donc
de notre temps, à peu-près comme du temps de Strabon;
& peut-on fè figurer qu’une Carte de l’Inde faite par lés
Itinéraires, foit bonne, quand en fait la manière dont on
compte ces Itinéraires ?
On eft aflîs, & le plus fouvent couché dans fon palanquin, &
porté par des Bouées , qui tantôt vont vite, tantôt lentement
i&fèrepofent de temps en temps: on fuppofè cependant que
ces Bouées font un certain nombre de coflès par heure. ï
Le palanquin eft aflèz connu pour que je lois diipenfe
d ’en donner la defcription : il me fûffira de dire, en faveur de
quelques
quelques perfonnes auxquelles cette defcription ne feroit pas
ailèz familière, que c’eft une efpèce de fopha, ou de petit lit
de repos , attaché à un bambou de cinq à fix pouces de
diamètre, plus ou moins, courbe dans le milieu, avec un
tendelet par - deffus, comme une impériale , & des rideaux
furies côtés. Cinq Indiens, que l’on nomme Bouées, dont
trois font devant, & deux derrière, portent le palanquin ,
en appuyant fur leurs épaules les bouts du bambou, qui
dépaflènt fuffifamment pour cet effet la longueur du palanquin.
Les perfonnes qui excèdent le poids ordinaire, font obligées
d’avoir fix Bouées ; les perfonnes d’une grande confidération
en ¡ont toujours fix ,■ & elles en entretiennent dix à douze;
c’eft une efpèce de luxe, comme à Paris d’avoir huit ou
dix chevaux dans fon écurie, pendant que deux ou trois
fuffifent pour fe faire porter dans les rues.
Lorfqu’on entreprend quelque long voyage,' on mène
ordinairement avec foi dix à douze Bouées, pour quils
puiflènt fè relever les uns les autres.
Lorfqu’on fè met en route on s’endort bientôt, fur-tout
fi c’efl: l’après-dînée, car rien n’y porte davantage que la
chaleur du pays, fouvent’ aidée & favorifee du repas & du
mouvement du palanquin; on croit, malgré cela, fàvoir,
lorfqu’qn eft arrivé, la quantité de coflès que 1 on a faits ,
foit par le moyen de fà montre, foit en s en rapportant a les
Bouées, ou aux gens de l’endroit où on s arrête ; mais tout
cela peut-il donner une bonne diftance refpeciive l Sans
compter que les coffes font des mefures qui varient autant
& plus que ne le font nos lieues, peut-on fè flatter, au bout
de quarante ou de cinquante journées de marche de cette
efpèce, d’avoir la pofition exacte des deux points extrêmes
Tome I x F £