On ne fera peut-être pas fâché que je dife ici deux mots
des danfeufes de l’Inde, qui contribuent tant à l’agrément de
la vie des Indiens & des Mogols. Ces filles que l’on nomme
Bayadères, font en effet le principal amufement des riches
du pays; il ne fe paffe point de fêtés, d’affemblées publiques;
il ne fe fait point de noces où il n’y ait de ces danfeufes.
Prefque tous les Voyageurs difent qu’il y a des troupes de
danfeufes attachées au fervice des pagodes, & uniquement
deftinées pour l’ufage des Brames ; cependant le contraire m’a
été alluré à la côte dé Coromandel : cet ufage peut exifter
à la côte de Malabar.
Lés Bayadères font des femmes publiques à la côte de
Coromandel, qui font à tous ceux qui les payent ; & celles
même qui viennent de danfer aux procédions des chariots ^
peuvent aller, le moment d’après , gagner de l’argent ailleurs
fi i’occafion fe préfente, ce qu’elles ne pourraient pas faire fi
elles étoient uniquement deftinées pour l’ufage des temples
& des Prêtres, comme i’aflurent piufieurs Voyageurs.
L ’état de ces filles, quoique publiques, n’eft point méprifé
dans l’Inde comme il l’eft en Europe. C e qui lé prouve bien,
eft l’honneur quelles ont de dahfer devant lès objets du culte
de tout un peuple. Les Parias ioht fi méprifés; que s’ils
touchoient feulement les idoles, les Brames les croiraient
fouillées ; & ils rtè pénfent pas que des filles qui fe donnent
au premier venu pour de l’argent, fofent indignes de danfer
devant leurs idoles.
L es danfeufes ( dit le fixième volume des Cérémonies
religieufes)yô«r toujours, cheiles Indiens, des femmes publiques ;
lorfquelles veulent danfer, elles Quittent une efpèce de grand
voile qui leur couvre la tête, & n’ont fur le corps qu’un petit
corfet de toile & une jupe autour d’elles.
Cette defcription n’eft point alfez exacte. L ’habillement
de ces filles eft infiniment plus décent, même quand elles
danfent, que celui de nos danfeufes de théâtre.
Elles ne pourraient pas danfer en public fi elles n’avoient
qu’une fimple jupe ; leurs danfes confiftent prefque toutes en
tours de ioupleflè & de force ; elles font prendre à leur
corps toutes fortes de poftures; elles ont, avec cela, des
mouvemens & des attitudes fi lafeives, que fi elles n’étoient
pas couvertes , & fi elles n’avôient qu’une fimple jupe, leurs
danfes feraient très-immodeftes ; ce qui n’arrive jamais en
public.
Lorfqu’on les fait venir chez fo i , elles fe permettent
toute liberté ; elles fe défont, fi l’on veu t, d’une partie de
leur attirail; les regards & les poftures qu’elles croient les
plus propres à allumer les paflions, font employées avec un
art inconcevable , ce qui eft accompagné de danfes particulières
relatives à cet objet. II eft bien rare que leurs charmes
& leur adreflé, ne féduifent & ne ruinent enfuite ceux
qui fe laiffent prendre dans leurs filets.
Elles ont d’abord comme une forte de corfet dont les
manchettes n’atteignent pas le coude, & qui ne defeend que
ce qu’il faut pour renfermer les deux feins qu’elfes ne relèvent
jamais.
C e corfet eft dans les grandes chaleurs d’une très-belle &
très-fine mouifeline, ou d’une efpèce de toile qui eft fi fine ,
qu’elle enveloppe tout fans rien cacher.
Elles ferrent leur corfet par les pointes d’en bas ; mais il eft
Y ij