Il eft certain que ces filles, dans cet habillement, ont fort
bonne grâce ; il a quelque chofe de majeftueux & de noble
que l’on ne trouve point dans celui de nos danfeufes; il a
même , quoique plus décent que le leur , un air plus
voluptueux & plus féduiiànt.
11 eft vrai que cet habillement varie un peu félon les
provinces, mais il eft par-tout magnifique, & nulle part la
taille de ces femmes n’eft altérée ; on ne commît point dans
l’Inde i ’ufage barbare des corps de baleine, qui défigurent la
Nature.
Elles ufent encore d’un autre ornement lorfqu’elles danfent,
qui contribue beaucoup à leur donner de l’agrément; c’eft
un grand collier à plufieurs rangs de fleurs appelées mougri,
qui leur defeend jufqu’à ia poitrine & qui embaume.
Le mougri reflemble beaucoup au double jafmin d’Efpagne,
mais l’odeur en eft plus forte, beaucoup plus agréable ; &
préférable, félon Große & à mon avis, aux plus exquis
parfums; c’eft une très-jolie fleur très - recherchée dans
l’Inde, qui frappe la vue aufli agréablement que l’odorat.
Malgré cette coquetterie & l’art dont elles fàvent ufer
pour amorcer les hommes, ces filles ont l’air très-modefte, &
c’efl: ce qui achève de feduire.
Que les moeurs de l’Inde font différentes de celles de
l’Europe ! les Mogols & les Indiens font des perfonnages
fi graves qu’ils ne danfent jamais : cet exercice eft l’apanage
des filles publiques. Quand les Mogols ou les Indiens affiftent
à nos affemblées, & qu’ils voient danfer nos femmes, ils
font autant & plus révoltés que nous ne le femmes de voir
des anneaux & des bijoux aux narines -des leurs ; ils ont
de la peine à fe mettre dans l’elprit que nos femmes qui
danfent ne foient pas comme les Bayadères. Ils font aller
de pair ces deux idées, danfeufes & femmes publiques.
La proceffion des chariots n’eft pas la feule fête des Indiens
à laquelle j’aie affiflé ; j’en ai vu une d’un autre genre, qu’on
nomme la fête du fe u , & que j’appelle h fête des charbons
ardens.
Je ne fais fi cette fête eft en ufàge dans tout l’Indoftan.
Je ne la trouve ni dans Bernier ni dans Tavernien, qui ont
écrit affez au long fur la religion des Indiens. Le fixième
volume des Ce'rémonies religieufes dont j’ai déjà parlé, n’en
dit rien. Grofe & Hohvell n’en parlent point. J’ignore fi les
auteurs modernes l’ont rapportée : je vais donner la defeription
de cette cérémonie.
Cette fête eft ordinairement chômée dans quelque calamité
publique ; on la célèbre encore dans les temps de
féchereffe , lorfque les biens de la terre fouflrent, pour
demander à Dieu de la pluie.
C ’eft dans cette vue que la cérémonie que je vis le 28
Avril z 7 6 9 , fut indiquée au peuple. Elle fe paffa dans la
campagne, à un quart de lieue de Pondichéry. La fête
commença à quatre heures & finit à cinq & demie, & comme
un moment après il tomba quelques gouttes d’eau, qu’il fit
des éclairs & qu’on entendit quelques coups de tonnerre au
loin, les Indiens dirent qu’ils avoient été exaucés, & que
leur facrifice avoit été agréable à la Divinité.
On creula dans la campagne un carré long de vingt-deux
à vingt-trois pieds de longueur de l ’Eft à l’Oueft (je le
mefurai au pas ) , fur un peu moins de largeur du Nord au
Sud, & de huit à dix pouces de profondeur ; on remplit tout
cet efpace de gros charbon qu’on alluma, & qu’on étendit