Ecliples, nous pafiâmes enfin à ia Lune. C e fut ici où {es
difficultés redoublèrent. D ’abord il me dicla tous les nombres
avec une patience & un fang-ffoid que j’admirois ; nous les
repaffames & les collationnames plufieurs fois, ce qui nous
prit deux à trois leçons ou féances très-longues. Quand ce
vint aux calculs , il n’y eut plus moyen d’avancer, je demandai
encore une fois mon Tamoult; il vint, & il me fut d’un très-
grand focours. Je reconnus ici la vérité de ce que m’avoit
avancé c‘e Tamoult, touchant ce qui lui étoit arrivé aveo*cet
Indien, n’ayant pu venir à bout de lui qu’avec une patience
fingulière ; encore il ne fût pas venu à fon but1 s’il ne lui
eût , par fubtilité, enlevé quelques-uns de fes calculs.
Je vis que cet homme avoit envie de tenir, vis-à-vis de
m o i, la même conduite, & je n’avois pas deux ans de mon
temps à lui donner. Nous réfoiumes donc, le Tamoult &
moi; de nous en tenir aux nombres qu’il m’avoit donnés,
& de vérifier s’ils étoient conformes à ceux qu’il avoit- eus
de Iui;i c’efl ce que nous fîmes avec le plus grand foin & la
plus grande attention. C e Tamoult vint plufieurs fois chez
moi pour cet effet, mon Indien venoit auffi à fon heure
ordinaire; mais il ne faifoit que m’amufer, & je le laiffois
faire.
II y avoit près d’un mois que cet Indien exerçoit ainfi ma
patience ; je ne pus tenir plus long-temps : lorfque nous
fumes certains, mon Tamoult & moi, de l’exaétitude des
nombres que cet Indien nous avoit donnés a l’un & à l’autre,
je congédiai c e lu i- c i, en lui difant que je ne voulois
pas continuer, parce que je yoyois qu’il cherchoit à me
tromper. Il ne s’en excufa pas trop; & en effet cet homme
ne cherchoit qu’à gagner du temps. Sachant ia confidération
d a n s l e s M e r s d e l ’I n d e . 2 1 3
dont je jouifîbis auprès du Gouverneur & du Confeil Supérieur
de .Pondichéry, il me preffoit continuellement de
lui obtenir une petite portion de terre aux environs de
Pondichéry pour lui aider à fùbfifler : je la demandai, &
on me ia promit; je i’avois en conféquence affiné qu’il auroit
ce qu’il demandoit avec tant d’inftance; mais je lui dis en
même-temps que j’exigeois de lu i, pour reconnoiflance,
qu’il ne me cachât rien de fa méthode : il me quitta avec le
même fàng-froid qu’il m’avoit apporté la première fois quil
vint chez moi; peut-être penfa-t-il que je pourrois le tromper;
peut-être avoit-ii appris ma liaifon avec le Tamoult , &
peut-être auffi ne me trouvoit-ii pas allez de difpoiitions.
Quoi qu’il en foit, le Tamoult ayant pris fa place , & étant
par-ce moyen devenu mon maître , me donna la méthode de
fe fervir des nombres que j’avois; lui & moi nous en fîmes
fur le champ l’application à l’Éclipfe du 23 Décembre 1768,
en calculant féparément cette Éciipfe, & en confrontant nos
calculs les uns avec les autres ; & enfin avec ceux que nous
avoit laiffés l’Indien, de cette même Éciipfe. Nous fîmes la
même.chofe pour les Éclipfes de Soleil.
Je ne ferai ici aucune "réflexion for cette méthode;.je me
contenterai de remarquer que i’A ftronomie, toute imparfaite
qu’elle efl dans l’Indoflan , eft certainement plus parfaite
encore qu’elle ne fut trouvée en Chine par nos Millionnaires :
que cette Aftronomie me paroît venir de Chaldée : qu’il exifle
à la côte de Commande!, parmi les Tamoults, une tradition
( voye^ le chapitre précédent) qui paroît prouver que les
Chinois font venus autrefois commercer à cette côte : qu ils
y ont même poffédé une colonie : qu’ils y adoraient les dieux
du pays, & en ont emporté avec eux en Chine : qu’ils ont