D e P o l-A o r à l ’entrée du détroit, on compte n eu f heures de
navigation pour un Vaifleau bon voilier. Nous paflames donc Ia
journée à l ’an c r e , & à p heures f du foir nous mimes fous voile ;
nous eûmes pendant la nuit un très-bon vent de Nord-nord-eft.
L e matin i 6 , dès que le jour p a ru t, mous aperçûmes la pref-
q u ’ île de Malacca , & quelque temps après nous découvrîmes la
pierre blanche: ju fq u ’à la vue de cette p ie rre , notre premier Pilote
n ’avoit point été tranquille; mais lorl'qu’il eut reconnu fa pierre, les
inquiétudes cefsèrent ; en e ffe t, la pierre blanche une fois vu e , l’entrée
du détroit vous eft fûrement ouverte ; cette pierre en eft Comme
la c le f , & fans fon fecours, plus difficilement y entreroit-on.
Je ne vois pas aujourd’h u i , Moniteur & cher ami ', comment oir
peut manquer le détroit de Malacca , quand on n ’a pas de raiforts,
particulières de le faire ; vous favez cependant que je me l’étois
laifle perfuàder étant à M an ille , & que même j ’avois une forte
d ’inquiétude â ce fujet , dans la crainte d’être forcé d’aller i
Ba ta via, climat perfide & meurtrier pour les Européens. L a pré-
caution que prennent tous les Vaiflèaux de Macao de relier à.Pok
A o r , pour n’en partir qu’à p à ip h e u re s du fo ir , eft un moyen fût
de ne pas fe tromper. Je me rappelle très-bien de m’être quelquefois
entretenu avec vous fur cette matière. V o u s m’avez cité pour achever
de me convaincre, & pour garant de votre opinion , un Pilote
françois qui vit depuis bien des années à M an ille , & q u i , me dites-
v o u s , avoit manqué le détroit de M a la c ca , toutes les ibis qu’il avoit
tenté d y entrer. Je me perfoade aiiement le fait ; au r e lie , je parle
d un Pilote çôtier bon pratique, comme me paroiflènt foire les
Pilotes de M a ca o , auxquels cependant je ne confierois peut-être pas
lin Vaifleau pour toute autre c n t r e p r ile d e s vues d’intérêt peuvent
quelquefois entrer ici pour b e au co u p , & aident fouvent les Pilotes
à fe tromper. U n V a iflè aù , comme vous le favez auffi-bien que
m o i, eft deftiné, je le. fu p p p fè , pur fes Armateurs, pour Malacca;
mais Batavia peut offrir certaines circonftances particulières d’un
commerce fur & lucratif ; le Pilote alors, quoiqu’il ait la meilleure
jntention du monde d ’aller à M a la c ca , peut très-bien négliger un
peu
peu la conduite de fon V a ifle au , parce q u ’il voit la rellource de
Batavia, en cas q u ’il ne réuffifle pas à entrer dans le détroit de
Malacca ; en voilà peut-être afîez pour manquer le détroit.
II en eft à peu-près de même du détroit de la Sonde pour les
Vaiflëaux q u i, du cap de Bon ne -e lp é ran ce , ou d e queiqu’autre
endroit à' l ’E ft de ce cap, vont en C h in e , & auxquels on recommande
de paflèr par ce détroit ; en cas que ces V aifleaux manquent
le détroit de la S o n d e , ils ont la reflource du détroit de Mala cca, que
l’on peut entreprendre de paflèr beaucoup plus tard que le détroit
de la Sçnde.
Notre Vaifleau n’étoit dans aucun de ces deux cas; il avoit été
armé par les Arméniens de Madras. Sa million étoit d’aller à M an ille ,
& de retourner direélement à la côte de Coromandel par la route la
plus courte^ U n Vaifleau de Macao devoit fortir de Quanton.
avec la même mouçon, fe rendre à M a la c ca , & lui apporter une
cargaifon de différentes choies propres pour la côte de Coromandel.
II étoit donc de la plus grande importance pour nous de ne
pas manquer le détroit de M ala c ca ; auffi notre premier Pilote y
donna toute fon attention , en veillant toute la nuit & fondant de
temps-en-temps ; mais puifque je fuis fur le chapitre de ce détroit,
je vous dirai encore , mon cher am i, que je connois aéluellement
ce détroit, cpmme ceux de la Sonde & de Banca ; que je trouve
celui de Malacca préférable à ces deux derniers. Je fais que ce n ’eft
pas le lèntiment unanime des Navigateurs ; mais c ’eft aflèz pour mon
opinion, que j ’aie v u de cet avis plufieurs bons marins, dont j ’ai
les journaux entre les mains. Pou r gagner du cap de Bonne-
Efpérance, ou des îles de France & de Bourbon, le détroit de la
Sonde, il faut pendant plus de cinquante jo u r s , fillonner une mer
des plus dures , efluyer des gros tem p s , & toujours des vents
impétueux. Pour gagner le détroit de M ala c ca, ce n ’eft pas la même
chofe ; les équipages font donc moins fujets à être malades dans
la traverfée. O n n’a de p lu s , en allant par Mala cca , q u ’un détroit
a paflèr, & on peut le paflèr plus tard ; de l’autre c ô t é , on en a
deux; il eft vrai que ceux-ci font infiniment plus rians & plus
Tome I. F f f f