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garder leur fecret; & cet intérêt, joint à celui de leur
religion, fait que ces gens-Ià ne le communiquent que très-
difficilement aux Européens.
D ’autres perfonnes me dirent encore, comme une choie
certaine, que le manùfcrit touchant ces calculs devoit être à
la Bibliothèque du R o i, mais que les nombres en étoient
défigurés, & que de plus, il étoit en Talenga. Si le fait eft,
qui pourra traduire ce manùfcrit I & quand il feroit traduit,
à quoi pourroit-il fervir!
Ces differens rapports ne firent qu’augmenter ma curiofité;
je ne fus pas long-temps fans trouver l’occafion de la fatisfaire.
Le fujet de mon arrivée^ à Pondichéry s’étant répandu dans
le pays ; on y débita que le Roi dé France avoit envoyé à
Pondichéry un Aftronome pour obferver une étoile qui
devoit paroître en 1 7 d p , 8t qui devoit faire tomber une
pluie de feu lur la terre; cela ne manqua pas de m’attirer
beaucoup de curieux, & entr’autres plufieurs Brames , entre
les mains defqueis je vis un petit livret fait de feuilles de
palmier, qu'ils me dirent être leur almanach; mais ils avouèrent
en même temps qu’ils n’étoient que les colporteurs.
Je reçus auffi la vifite, comme je le dirai ci-après, du
Brame de Tirvalour.
UnTamoult chrétien entendant & parlant bien le françois,
& qui avoit fait lès études aux Jéfiiites, dans l’intention
d’entrer dans Ja Société, homme d’elprit & curieux, vint me
trouver des premiers & m’offrir les fervices ; il s’étoit marié,
& par-la, il avoit renoncé à entrer dans la Société des Jéfiiites :
je lui fis beaucoup de queftions fur le calcul des Éclipfes ; il me
dit qu il entendoit un peu la langue des Brames, & qu’il avoit
trouvé le moyen d’en tirer quelque choie, à l’aide de quelques
manufcrits
manufcrits qu’il avoit eu l’adreiTe d’avoir entre les mains, &
qui renfermoient les calculs de quelques Éolipfes; mais, que
n ’ a y a n t pas cru pofleder encore en entier leurs méthodes,
il avoit eu recours à un Indien qui étoit fort au fait de ces
calculs. Cet Indien ayant des parens puiflans auprès d’un
Prince du pays, apprit, quoique fecrétement, le calcul des
Éclipfes du Brame même chargé du calendrier; mais cet
Indien faifoit fes calculs fans les entendre.
La langue Brame eft une langue particulière que très-peu
de monde entend ; pour la facilité de leurs opérations aftro-
uomiques, les Brames les ont miles en vers ; chaque terme
eft un terme compofé, & a beioin d’explication pour etre
compris : par ce moyen les Brames ne lont entendus de per-
fonne, ou au moins ne le font que de très-peu de monde.
Le Brame qui avoit enfeigné cet Indien, s étoit donc
réfervé le fecret des termes, de façon que celui-ci faifoit
machinalement fes calculs fans les entendre; il trouvoit des
réfultats & ne iàvoit point ce qu’ils fignifioient.
Par exemple, dans les Éclipfes de L une, les Brames ont
donné à l’argument de latitude, le nom de patona Chandren,
c’eft-à-dire, la Lune offenfe'e par le Dragon. C e mot. étant
compofé de pat, ferpent; ona, offenfer; & Chandren, Lune.
O r , le problème confifte à trouver ce patona Chandren ;
l’Indien en queftion le trouvoit très-bien, mais il n entendoit
point le mot patona Chandren, bien loin qu il fut que ce
fût la diftance de la Lune à fon noeud, & ainfi du refte.
Cet Indien avoit amufé mon Tamoult pendant près de
deux ans ; mais celui-ci curieux d’apprendre, tenoit bon 8c
ne fe rebutoit pas ; par ce moyen, il attrapoit toujours quelque
chofe à cet Indien. A la fin, cependant, ils fe brouillèrent;
Tome I, D d