dav an tage. A fept heures le v en t a vo it p a fle au Sud-qua rt-fud-eft
fans f r a îc h ir , la p luie r e d o u b la : d è s - lo r s le V a ifle a u commença
à fe tourmenter. A n e u f heures il avo it beau co u p de mouvement,
n o u s nous ioutinmes cepen d an t a v e c une a n c r e , en ayant deux en
mouilla ge , c e q u i p ro u v e q u e la tenue eft b on n e .
N otre Chaloupe étoit allée faire de l’eau ; elle en revint avec
beaucoup de peine à fix heures du fo ir ; les Vaiffeaux de Macao
n ’ont point de futailles à l ’e a u , ils la confervent dans de grands
pu its, qui font fur l ’arrière entre le grand mât & le mât d’artimon,
fort près de celui-ci. L e Saint-Antoine avoit deux beaux puits de
cette e fp è c e , faits à peu-près comme les foutes de nos Vaiffeaux,
& on puifoit l’eau de deflùs le gaillard par deux efpèces de bondes
ou d’ouvertures carrées & aflêz larges pour donner entrée à un feau.
N ou s avons toujours eu de très-belle & bonne eau.
N o s deux premiers Pilotes & un Paflager étoient descendus à
terre dans le c a n o t, poulfés par la feule curioftté de voir l’ille ; ils
voulurent m’engager d’aller à terre avec e u x , mais mon fyitème
eft de ne jamais quitter mon Vaifleau quand il n’eft pas dans utl port
ou dans une rade lure : quoiqu’il fit très-beau quand ils defcendirent,
ils ne purent me déterminer à aller avec eux.
Q u e je me fus bon gré de ma réfiftance lorfque je vis le mauvais
temps & que je conçus toute l ’horreur de l ’état où mes voyageurs
feroient réduits ! ils eurent une peine étonnante à regagner le bord:
deux fois ils arrivèrent pour reprendre la route de l’île ; il faifoit la
nuit la plus obfcure & une pluie des plus fortes ; ils n’étoient éclairés
que par les lames de la mer qui paroifloit tout en feu ; enfin l’envie
de coucher à bord plutôt que de pafler la nuit à terre fans aucun
a b r i, leur fit faire la troifième fois un vigoureux effort ; ils gagnèrent
enfin à huit heures du foir ; nous les entendîmes long-temps
avant que de les v o ir ; ils nous crioient de leur jeter un cablat,
leurs cris redoublés au milieu de la n uit, le mauvais temps , le bruit
de la mer , les efforts q u ’ils- faifoient pour accofter le Vaifleau, tout
cela me repréfentoit l ’image de gens naufragés.
Ils
Ils nous apportèrent un poiflon monftrueux, que les Portugais
nomment diable de mer ( P l . y ) ; ce poiflon fe trouva par hafard fous
grapin lorfqu’ils le jetèrent à fo n d , mais à peine furent-ils à terre
qu’ils s’aperçurent que le canot gagnoit au la rge, ils crurent que
le cablot étoit caffe' j ils retournèrent promptement à bord de leur
canot, & hallèrent le diable de mer avec beaucoup de peine ; i l
étoit fort g r o s , & le canot d’un navire d’environ 500 tonneaux
n’étant pas trop fo r t, notre Pilote craignoit, & avec raifon, que le
poiflon n ’eût entraîné ce canot & ne l ’eût fubmergé.
Vous v o y e z , Moniteur & cher ami, par ce récit, ce que c ’eft
que ces Vaiffeaux portugais. Je n’ai jamais entendu parler d’un
j Vaifleau européen mouillé dans une rade foraine, dans lequel il y
ait aflêz peu de p o lic e , pour que les deux premiers Pilotes abandonnent
ainfi leur bord pour une partie de plaifir; il ne nous reftoit
que le Capitaine, auflî peu en état de conduire fon V a ifle au , que
je le fuis de mener une armée, & pour Pilotes deux vieux automates
auxquels je n aurois pas confié la conduite d’une chaloupe.
Il y avoit peu d’années qu’un vaifleau de Macao fut forcé de
laiflèr fur la meme île fon E c r iv a in , qu’un autre Vaifleau recueillit
peu de temps après ; il le trouva auflî maigre, & peut-être plus
encore que ce G re c recueilli jadis par É n é e , félon V ir g ile , fur les
cotes de Sicile ; cet Ecrivain avoit p e u t-ê tre encore pafle d’auffi
mauvais quarts-d’h eure, car on m’aflura à b o rd , qu’il y a fur cette
îles des tigres & d’autres animaux nuifibles.
Vous ne pourrez pas me dire, Moniteur & cher am i, que ce
mauvais temps fût l ’effet d’une nouvelle ou d ’une pleine L u n e ,
puifque le dernier quartier devoît arriver le lendemain à onze heures
& demie du foir ou minuit. E n v ér ité “, on attribue à la L u n e bien
des chofès dont elle me paroît très-innocente.
Il plut abondamment & il fit calme pendant la plus grande partie
de la nuit.
L e 1 1 , nous continuâmes à faire notre eau ; le Soleil ne parut
point de toute la journée : l ’après-midi ; le temps nous menaça plus
quil n avoit fait la veille, cependant le tout fe borna à une brume
Tome I. j j j j