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Cette Indolence '& cet amour du repos font qu’on ne néglige
rien pour fe procurer fes aifes, & l’on n’y réuffit pas mal, pour,
peu que Ion veuille en prendre la peine.
Cette remarque eft exaéte dans toute là force; le climat de
l’Inde amollit infenfiblement les Européens , mais l’auteur n’a
pas fait attention qu’il fe contredifoit i c i , & qu’il auroit dû
dire plus haut que fi les Grecs furent reftés plus long-temps
'dans l’Inde, ils eulfent été forcés de prendre les ufages du
pays ; bien loin d’aflùrer, comme il le fa it , que les Indiens
fe fuffent affujettis à prendre leurs moeurs & leurs arts. '
Les Soldats d’Alexandre n’étoient-ils pas déjà plus qua
moitié vaincus, par la moileffe, quand ils arrivèrent dans
l’Inde l Où l’avoiént-ils puifée l A Babilone : un plus IflBg
féjour dans l’ Inde les auroit achevé d’éneryer.
II eft très-aile de vaincre les Indiens ; la chaleur du climat,
la nourriture, la molieffe & la foibleffe qui en font des fuites,
contribuent à les foumettre, & à leur faire porter le joug
des Conquérais. Ces deux caufes énervent les Soldats ; par
la même raifon, les Peuples qui les fubjugqent, ceffent à
la fin d’être en état de conferver leurs conquêtes.
Qu ’on faffe un moment réflexion fur les trois plus grands
hommes qui aient paru en Afie, Çengis-kan, Tamerlan &
Aureng-xfb.
Le premier, femblabie à un torrent qui -fe déborde, inonde
l’Europe & l’A fie , & trace à fes fucceffeurs la route de l’Inde.
H ne lui fut pas difficile de fe foutenir ; fon règne fut
une fuite de la vîteffe avec laquelle il a-voit conquis. Mais
qu’arri va- t - il à fes defcendans ! La molieffe afiatique s’en
empara; ils s’énervèrent dans leur férail, & devinrent bientôt
giiffi foibies que les Peuples qu’ils commandoient ; a peine
fe
fe foutiennent-ils deux fiècles, pendant lefquels loin de fuivre
la route de l’Inde que Gengis-kan leur avoit pour ainfi dire
ouverte, ils fe détruifirent mutuellement.
Tamerlan vient, & marchant fur les traces de Gengis-kan,
renverfe tout par où il paflè; il pénètre dans l’Indoftan,
s’y arrête, & fonde cet Empire jadis fi fameux, connu fous
le nom de grand Mogol.
Les defcendans de Tamerlan ternirent bientôt le luftre
que l’Empire avoit acquis fous ce grand Conquérant ; iis
négligèrent le métier de la guerre, & ne s’occupèrent que
du foin de leurs plaifirs , ne fongeant uniquement qu’à
mener une vie molle & déiicieufe, ils tombèrent dans le
même affoibliiTement que les defcendans de Gengis-kan; ils
facilitèrent par ce moyen, au bout de deux autres fiècles,
à Àureng-ieb, fon ufurpation.
On fait par quelle „route ce Prince rufe, & qui n’avoit
point pris la molleife indienne qui fut fi fatale à . fes prédé-
ceffeurs, parvint au trône des Mogôls en 1659.
On fait enfin que dans ce fiècle-ci, la Cour de D e lh i, fous
’Mahamet-Schaw, étoit devenue la plus voluptueufe & la plus
èfleminée peut-être dè toutes celles d’Afie ; auffi Mahamet-
Schaw fut détrôné en 1738 par Schaw-nadir, autrement
Thamas-koidi-kam, accoutumé à une vie dure & auftère dans
des climats plus tempérés , cette conquête ne lui coûta que la
peine de faire le voyage, & de fe préfenter aux portes de
l’Indoftan.
Depuis cette fameuferévolution, les Mogols nefe font pas
encore relevés ; bien loin de cela, ils font plus cbancelans que
Jamais fur leur trône , & la moindre petite fecouflè feroit
capable de faire crouler cet Empire, les Marattes & les
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