Il y a beaucoup d’apparence que les Hiftoriens d’Alexandre
auront grofli les objets, & qu’ils auront mis au nombre des
chariots de guerre ces petites voitures ou efpèces de charrettes
à deux roues appelées garis, attelées chacune de deux boeufs,
& qui portent trois à quatre perfonnes avec une vîteflè
fmgulière, & telle qu’ils fuivent les chevaux au grand trot.
Ces voitures dont les Mogols fur-tout fe fervent, font fort
en uiàge dans l’Inde ; elles font faites en forme de pavillon,
où l’on eft garanti de l’ardeur du foieil, mais dans lefquelles
on doit être bien fecoué ; j’en ai vu à Pondichéry attelées
de boeufs fuperbes ; les Mogols font vanité fur-tout à avoir
une belle paire de boeufs, qui foient exactement pareils en
tout ; on leur peint les cornes : il y a de ces boeufs qui
coûtent jufqu’à deux & trois mille livres la paire; ils vont
le grand trot, & fuivent facilement les chevaux qui vont ce
T e n même train, ce dont j’ai été plus d’une fois témoin : Tavernier
fagc 24 de fes j-apporte que ces boeufs font forts, & qu’ils font des voyages de
foixante journées à douze & dix-huit lieues par jour, oc toujours
au trot, que fa voiture étoit attelée de deux de ces boeufs , qui
lui avoient coûté près de fix cents roupies ( quatorze cents
quarante livres de notre monnoie). Rien n’eft fi aifé de les
conduire, iis fe lailfent manier comme nos chevaux , au
moyen d’une corde qu’on leur paife par le tendon du mufle
ou narines ; mais j’avoue que j’ignore fi les Mogols ont
trouvé l’ulâge de ces garis établi dans l’Inde quand ils y
font venus, ou s’ils l’y ont apporté.
La note fuivante eft une fuite de ce que je viens de dire
fur les uiaoes & les coutumes' de l’Inde relatives au climat.
„ , L ’on trouve dans le fixième volume des Cérémonies reli- Partie IV ,
ch. xxxvui, meutes , la remarque fuivante ;
page j/j/, o s
Les chaînes des Indiens font encore dans leur entier, & ce
fera un bonheur pour eux fi quelque Nation civilifée peut jamais
les rompre en les foumettant à leur empire. Ils pensèrent, du temps
d’Alexandre, fortir de leur captivité ; fi les Grecs avoient fait un
plus long féjour dans lés Indes, ils leur auroient infailliblement
communiqué leur politejje & leurs belles connoiffances.
L ’auteur, lorfqu’il parle ainfi, ne connoît guère les Indiens
& le climat qu’ils habitent, je n’examine point fi ç’eût été
un bonheur pour eux d’être devenus auffi polis que les Grecs,
& d’avoir acquis toutes leurs belles connoifiànees ; mais quand
même les Grecs fuffent reftés les maîtres de l’Inde, ceux à
qui le pays eft bien connu, diront que ces fiers Conquérans
ne lui auroient rien pu faire changer de fa coutume ; il y
auroit eu bien plutôt tout à craindre pour les Grecs, le
climat les eût vaincus & fubjugués eux-mêmes : ce que l’auteur
dit un peu plus lo in , confirme cette opinion & contredit ce
qu’il vient d’avancer.
Ils négligent, dit-il, les feiences qui ne font point néceffatres
à la vie, les regardant comme des connoijfances qui rendent h la
vérité les hommes plus éclairés, mais fouvent aujft plus malheureux.
& prefque toujours plus vains.
Et pages 16 2 & / <fj , il continue :
On a toujours regardé les Afiatiques comme des gens mous ¿ fj
efféminés ; en cela on leur.a rendu jufhce, car ils n aiment guere
le travail, & ils font au contraire tout-à-fait amis du repos ;
lors même qu’ils font obligés de travailler, c’ejl avec une certaine
indolence qui fait voir qu’ils font hors de leur centre. Pour moi,
continue l’auteur, j ’attribue cette indolence à la chaleur du climat,
car j ’y ai vu des Européens qui en très-peu de temps y avoient
çontraélé Je même défaut.