
font dérivésphilofophiquement de cancre; parce que
l ’idée primitive exprimée par canert y eft modifiée
en elle-même, & fans aucun rapport à l’ordre de
Pénonciation. Felicior tefeliciffimus font aufli dérivés
philofophiquement de felix , pour les mêmes raisons.
. * .
La dérivation grammaticale eft la maniéré de taire
prendre à un m ot, au moyen de fes diverfes inflexions,
les formes établies par l’ufage pour exprimer
les idées acceffoires qui peuvent préfenter l’idée
principale , fous différens points de vue relatifs à
l ’ordre de l’énonciation : ainfi canis , canit, canimus
canitis, canuni, canebam, canebas , & c . font dérivés
grammaticalement de cano; parce que l’idée principale
exprimée par cano y eft modifiée par différens
rapports à l’ordre de l’énonciation, rapports de nombres
, rapports de tems, rapports de perfonnes : can-
tatoris, cantatori, cantatorem , cantatores , cantatorum,
&c. font àuflî dérivés grammaticalement de canta-
tor, pour des raifons toutes pareilles.
Pour la facilité du commerce des idées, & des fer-
vices mutuels entre les hommes , il feroit à defirer
qu’ils parlaffent tous une même langue, & que dans
cette langue, la compofition & la dérivation, foit
philofophique foit grammaticale, fuffent afliijetties
à des réglés invariables & univerfelles : l’étude de
cette langue fe réduiroit alors à celle d’un petit nombre
de radicaux, des lois de Information, & dés réglés
de lafyntaxe. Mais les diverfes langues des ha-
bitans de la terre font bien éloignées de cette utile
régularité : il y en a cependant qui en approchent
plus que les autres.
Les langues greque &c latine, par exemple, ont
un fyftème de formation plus méthodique & plus fécond
que la langue françoife, qui forme fes dérivés
d’une maniéré plus coupée, plus embarraffée, plus
irrégulière, & qui tire de fon propre fonds moins de
mots compofés, que de celui des langues greque &
latine. Quoi qu’il en foit, ceux qui défirent faire quelque
progrès dans l’étude des langues, doivent donner
une attention finguliere au ^.formations des mots;
c’eft le feul moyen d’en connoître la jufte valeur, de
découvrir l’analogie philofophique des termes , de
pénétrer jufqu’à la métaphyfique des langues, &
d’en démêler le cara&ere & le génie ; connoiffances
bien plus folides & bien plus précieufes que le ftéri-
le avantaged’en pofféder le pur matériel, même d ’une
maniéré imperturbable. Pour faire fentir la vérité
de ce qu’on avance ic i, nous nous contenterons
de jetter un iimple coup-d’oeil fur l’analogie des formations
latines ; & nous fommes fûrs que c’eft plus
qu’il n’en faut, non-feulement pour convaincre les
bons efprits de l’utilité de ce genre d’étude, mais encore
pour leur en indiquer en quelque forte le plan,
les parties , les fources même, les moyens & la
fin.
. Il faut donc obferver, i° . que la compofition &
la dérivation ont également pour but d’exprimer des
idées accelfoires ; mais que ces deux efpeces de formations
employent des moyens différens & en un
fens oppofe.
Dans la compofition, les idées acceffoires s’expriment,
pour la plupart , par des noms ou des pré-
pofitions qui fe placent à la tête du mot primitif ; au
lieu que dans la dérivation elles s’expriment par des
inflexions qui terminent le mot primitif : fidi-ctn, ti-
bi-cinium, vati-cinari, vati-cinatio ,ju-dex.ju-dicium,
ju - dicare , ju - dicatio ; parti - ceps , parti - cipium ,
patti - cipare, parti - cipatio ; ac - cintre, con - cintre ;
in-cinere, inter - cintre ; ad - dicere , con-dictrt, in-di-
çtre , inter-dicere ; ac-cipere, con-cipert, in-cipere, inter-
ciperc : voilà autant de mots qui appartiennent à la
compofition. Canert, canax, cantio, cantus, cantor,
sçarurix, cantate, cantatio, cantator, cantatrix , çantitare,
ùantttritt cantillàre ; dicere, dicax, dicacitas, ditX
tio, diclum , diclor, diclare, dicta t io, dicta tor,, dictatrix*
diclatura, diSitare, dicturirc; çapere, capax, capacitas,
capeffere, cap tio , cap tus, captura , capture, captatio ,
captator, captatrix, &c. ce font des mots qui Font-
du reffort de la dérivation.
Il faut obferver, i° . qu’il y a deux fortes de racines
élémentaires qui entrent dans la formation des.
compofés; les unes font des mots qui peuvent égale-,
ment paraître dans le difeours fous la figure fimple
& fous la figure compofée, ç’eft-à-dire feuls ou joints
à un autre mot : telles font les racines élémentaires
des mots magnanimus, refpublica yfenatufconfultum
qui font magnus &. animus, res & pttblica ,fenatus &
confultum : les autres font abfolument inufitées hors,
de là compofition, quoiqu’anciennement elles ayent.
pu être employées comme mots fimples: telles font;
ju x & jugium,fes & fidium, ex & igium, pltx & pli-
cium,fpex & fpicium ,Jles & fiitium, que l’on trouve,
dans les mots conjux, conjugium ; preefes , proefidium ;
remex , rtmigium ; fupplex , fupplicium ; extifpex ,
frontifpicium ; antijles ffolfitium.
Il faut obferver, 30. qu’il y a quantité de mots réellement
compofés, qui au premier afpeâ peuvent paroître
fimples, à caufe de ces racines élémentaires,
inufitées hors de la compofition ; quelque fagacité &
un peu d’attention fuffifent pour en faire démêler l’origine
: tels font les mots judex , juflus, jujlitia ,juve-.
nis, trinitas, oeternitas; & une infinité d’autres. Judex
renferme dans fa compofition les deux racines ju s &
dex: cette derniere fe trouve employée hors de la.
compofition dans Cicéron ; dieu gratiâ, par maniéré
de dire : judex fignifie donc / 'us dicens, ou qui jus di-,
cit; & c’eft effectivement l’idée que nous avons de
celui qui rend la juftice: ce qui prouve, pour le dire,
en paffant, que la définition de nom, comme parlent,
les Logiciensdifféré affez peu, quand elle eft exac-.
te , de la définition de chofe. Il en eft de même de la
définition étymologique de jujîus & de jujlitia : le
premier fignifie in jure flans, & le lecond , in jure
conjlantia ; expreffions conformes à l’idée que nous
avons de l’homme jufte & de la juftice.
Quant à juvenis, il paroît fignifier juvando ennis;
& cet ennis eft un adjeftif employé dans bi-ennis, tri-
ennis, & c . pour fignifier qui a des années : perennis pa-
roît n’en être que le fuperlatif, tant par fa forme que
par fa lignification : ainfi juvenis veut dire juvando
ennis , qui a affez d’années pour aider ; cela eft d’autant
plus probable, que juvenis eft effectivement relatif
au nombre des années ; & que tout homme parvenu
à cet â g e , eft dans l’obligation réelle de mériter
par fes propres fervices les fecours qu’il tire de la
fociété. Au relie la fuppreflion d’une n dans juvenis
ne le tire pas plus de l’analogie, que le changement
de cette lettre en m n’en tire le mot.defolemnis , qui
femble être formé de folitb ennis, & fignifie folitus
quot annis , quiJieri folet quot annis ; & de fa it, dans
plufieurs bréviaires on trouve le mot d'annuel pour
celui de folemnel, dans la qualification des fêtes.
Les mots trinitas & oeternitas font également compofés:
trinitas n’eft autre chofe que trium imitas - ex*
preflîon fidele de la foi de PEglife catholique fur la
nature de Dieu; trinus & umts ; trinus in perfonis,
unus in fubjlantid. Pour ce qui eft du mot oeternitas
il fignifie oevi-trinitas, ou oevi triplicis unitas y la trini--
té du tems qui réunit & embraffe tout à la fois le pré-
fent, le paffé, & le futur.
Il faut obferver, 40. que la compofition & la dérivation
concourent fouvent à Information d’un même
mot ; enforte que l’on trouve des primitifs fimples
& des primitifs compofés, comme des dérivés
fimples & des dérivés compofés. Capio eft un primin
tif fimple ;particeps eft un primitif compofé ; capax
eft un dérjyç fimple ■, particïpart eft un dérivé com»
pofé. Les uns & les autres font également fufeepti-
bles des formes de la dérivation philofophique &: de
la dérivation grammaticale : capio , capisf capit ;
particeps, participis, participé ; capax, capacis , capaci ;
participo, participas , participât.
Il faut obferver, 50. que les primitifs n’ont pas tous
le même nombre de dérivés, parce que toutes les
idées primitives ne font pas également fufceptibles
du même nombre d’idées modificatives ; ou que l’ufage
n’a pas établi le même nombre d’inflexions pour
les exprimer. D ’ailleurs un même mot peut être primitif
fous un point de vue, & dérivé fous un autre :
ainfi amabo eft primitif relativement ^am/tbiHs, ama-
bilitaSy & il eft dérivé d'amo: de même affcclare eft
primitif relativement à ajfeciatio, affeclator, & il eft
dérivé du fupin, qui en eft le générateur immédiat.
Ainfi un même primitif peut avoir fous lui différens
ordres de dérives, tirés immédiatement d’autant de
primitifs fubalternes & dérivés eux-mêmes de ce
premier.
Il faut obferver, 6°. que comme les terminaifons
introduites par la dérivation grammaticale forment
ce qu’on appelle déclinaifon &c conjugaifon, on peut
regarder aufli les terminaifons de la dérivation philofophique
comme la matière d’une forte de déclinaifon
ou conjugaifon philofophique. Ceci eft d’autant
mieux fondé, que la plupart des terminaifons
de cette fécondé efpece font foûmifes à des lois générales
, & ont d’ailleurs, dans la même langue ou
dans d’autres, des racines qui expriment fondamentalement
les mêmes idées qu’elles défignent comme
acceffoires dans la dérivation.
Nous difons en premier lieu , que ces terminaifons
font foûmifes à des lois générales, parce que telle ter-
minaifon indique invariablement une même idée ac-
ceffoire, telle autre terminaifon une autre idée ; de
maniéré que fi on cdnnoît bien la deftination ufuelle
de toutes ces terminaifons , la connoiffance d’une
feule racine donne fur le champ celle d’un grand
nombre de mots. Pofons d’abord quelques principes
ufuels fur les terminaifons ; & nous en ferons enfuite
l ’application à quelques racines.
i°. Les verbes en are, dérivés du fupin d’un autre
verbe, marquent augmentation ou répétition ; ceux
en effere, ardeur & célérité ; ceux en urire, defir v if ;
ceux en illare, diminution.
- i ° . Dans les noms ou dans les adjeûifs dérivés
des verbes, la terminaifon tio indique Paêtion d’une
maniéré abftraite ; celle entus ou entum en exprimé
le produit ; celle en tor pour le mafeulin, & en trix
pour le féminin, défigne une perfonne qui fait profef-
fion ou qui a un état relatif à cette a£Hon ; celle en
ax, une perfonne qui a un penchant naturel; celle
en acitas marque ce penchant même.
On pourroit ajoûter un grand nombre d’autres
principes femblables; mais ceux-ci font fuflifans pour
ce que l’on doit fe propofer ici : un plus grand détail
appartient plutôt à un ouvrage fur les analogies de la
langue latine , qu’à l’Encyclopédie ; & il eft vraif-
femblable que c’étoit la matière des livres de Céfar
fur cet objet.
Eprouvons maintenant la fécondité de ces principes.
Dès que l’on fait, par exemple, que canert fignifie
chanter, on en conclut avec certitude la lignification
des mots cantare, chanter à pleine voix ;
eantitare, chanter fouvent ; canturire, avoir grande
envie de chanter ; cantillare, chanter bas & à différentes
reprifes ; cantio, l’aftion de chanter ; cantus ,
le chant, l’effet de cette aélion; cantor & cantrix, un
homme ou une femme qui fait profeflion de chanter,
un chanteur , une chanteufe ; canax, qui aime à
chanter.
Pareillement, de capere, prendre , on a tiré par
analogie capture, capeffere, faifir ardemment, fe hâter
de prendre.; captlo, captus, captatio, captator, cap-
tatnx, capax, capacitifs'*
De la différente deftination des terminaifons d’une
meme racine, naiflent les différentes dénominations
des mots qu’elles conftituent : de-là les diminutifs,
les augmentatifs, les incèptifs, les inchoarifs, les
fréquentatifs, les defideratifs, &c. félon que l’idée
primmve eft modifiée par quelqu’une des idées ac-
cefloires que ces dénominations indiquent.
Nous difons en fécond lieu, que ces terminaifons
ont dans la même langue, ou dans quelqu'autre aes racines
qui expriment fondamentalement les mêmes idées
qu elles défignent comme acceffoires dans la dérivation-
nous allons en faire l’effai fur quelques-unes, oit la
chofe fera affez claire pour faire préfumer qu’il peut
en être ainfi des autres dont on ne connoîtroit plus
l’origine.
i° . Dans les noms, les terminaifons men & men-
tum lignifient chofe,fignefenfible par lui-même ou par
les effets : 1 une Ôc I autre paroiffent venir du verbe
rninere dont Ltcrece s’eft fervi, & qu’on retrouve
dans la compofition des verbes e-minere, im-minere ■
pro-minere, & qui tous renferment la fignification
que nous prêtons ici à men & à mentum ; la voici
juftifiée par l’explication étymologique de quelques
noms :
Flumen, (men ou r« quoe fluit,)
Fulmen , ( méh qüod ftilget.j Y '
Lumen , (fnén quod lucetj\
Semen, (men quod feritur.')
Vimen, (nren vinciens , quod yinciti)
Carmen, peigne à carder, (men quod carpit.)
Il eû vraiffemblable que les Romains donnèrent le
meme nom à leurs pôëmes ; parce que les premiers
qu’ils connurent étoient fatyriques & picquans comme
les dents du peigné à" carder, & avoient une deftination
analogue , celle de corriger.
Armentum , (mentum quod arat, ou aràre pa-
«ƒ•)
Jumentum , (mentum quod juvat, ou mentum
jugatorium.j
Monumentum , (mentum quod mouet.}
Alimentum , (mentum quod alit.')
Tejlamcntum, (mentum quod tejlatur.)
Tormentum, (mentum quod torqiiet, )
La terminaifon culum femble venir de colo, j’habite
, & fignifie effectivement une habitation, ou du
moins un lieu habitable :
Cubiculum , (cubandi locus.)
Coenaculuni, (ccenandi locus. )
Habitaculum , (habitandi locus.j
Propugnaculum , (pro-pugnandi locus j)
II faut cependant obferver, pour la vérité de ce
principe, que cette terminaifon n’a le feris & l’origine
que nous lui donnons ic i, que quand elle eft
adaptée à une racine tirée d’un verbe: car fi on l’ap-
pliquoit à un nom, elle en feroit un fimple diminutif
; tels font les mots corculum, opufiulum, corpufcu-
lum , &c.
z°. Dans les adje&ifs, la terminaifon undus défigne
abondance & plénitude, & vient düunda, onde,
lymbole d’agitation ; ou du mot undare, d’où abun-
dare, exundare. Ordinairement cette terminaifon eft
jointe à une autre racine par l’une des deux lettres
euphoniques b ou c.
Cogita-b-undus, (cogitationibus undansjj
Furi-bXundus, (furore ou fur iis undans.)
Fce-c-undus, (fietu abundans.')
Fa-c-undus , (fandi copia abundans.)
La terminaifon fins venue de fio, marque fiabilité
habituelle.
Juflus , (in jure confiant.)