
avec lui ; qu’ils ayent l’air de venir plutôt pour s’informer
de fa conduite que pour le careffer ; qu’ils
ne badinent point avec lui d’une maniéré indécente,
comme avec un perroquet ou une poupée. Quand
on eft pere, peut-on ne pas fentir le refpeél qu’on doit
à fon fils ? Que tous les jours l’enfant aille rendre à
fes parens ce qui leur eft dû ; qu’il y relie peu , à-
moins que ce ne foit par récompe'nle ; fi vous êtes
contente de lu i, qu’il y foit reçu avec bonté, qu’on
lui faffe quelques careffes , qu’on lui donne quelques
avis toujours conformes à ceux que vous lui
aurez donnés : car il faut qu’il y ait une correfpon-
dance exaûe entre tous les difcours qu’il entendra.
Pour cela il eft à-propos que quelqu’un d’intelligent
vienne tous les matins favoir de vous ce qui s’eft
palfé, ce que vous avez dit à l’enfant, ce que vous
jugez à-propos qu’on lui dife. Si vous n’êtes pas contente
de lu i, qu’il fe préfente toujours, c’eft un
devoir auquel il ne doit jamais manquer; mais qu’a-
lors la fatisfaélion de voir fes parens lui foit refufée.
Il eft vraiffemblable qu’il fondra en larmes. S’il eft
touché comme il doit l’être, ne joignez point d’autre
peine à cette punition, au contraire il faut le con-
ïoler. Entrez dans la douleur, dites-lui qu’elle eft
jufte , mais qu’il s’y eft expolé, & qu’il ne tient qu’à
lui de rentrer en grâce par une meilleure conduite : fi
au contraire il n’eft pas affez fenfible à cette difgra-
c e , joignez-y toutes les privations capables de la lui
faire fentir, impofez-les lui non comme la peine de
fa première faute, mais comme celle de fon inienfi-
bilité : au relie , dans une éducation bien faite, ce
dernier cas ne peut guere arriver ; il faudroit que
l’enfant eût été bien gâté, pour que fon ame fe fût
endurcie à ce point-là.
Je n’ai point parlé de l’obéiffance, quoiqu’elle foit
la bafe de toute éducation ; fans elle, il eft impofli-
ble de fixer aucun principe dans l’elprit d’un entant ;
elle doit être établie dans fon coeur avant même qu’il
fâche ce que c’eft qu’obéir, & je l’ai iuppofée en
parlant des devoirs précédens. Les enfans ne font
defobéiffans qu’autant qu’on veutbienqu’ilslefoient;
il n’en eft aucun qui oie réfifter foit à ce qu’on lui
ordonne foit à ce qu’on lui défend, quand il eft fûr
d’être puni ; il ne faut pas fouffrir qu’il balance ; la
plus legere defobéiffance doit être punie. Si dès la
première enfance on ne l’accoûtume point à fuivre
la raifon d’autrui, on peut-être fûr qu’il ne fuivra pas
la fienne quand il fera plus avancé en âge.
Au lieu de nourrir fon orgueil en portant fes regards
fur les avantages de fa fortune & de fon rang,
fixez-les fur fon état préfent ; faites lui voir qu’il eft
dépourvû de tout ce qui mérite l ’eftime des hommes;
qu’il n’a ni fcience, ni raifon, ni vertus ; qu’il ne
peut rien pour lui-même, & que perfonne n’a befoin
de lui ; ne lui donnez point de titres & ne fouffrez pas
qu’on lui en donne ; s’il en a , il fera tems qu’il les
connoiffe quand il entrera dans le monde.
Qu’il foit attentif & p o li, qu’il reçoive avec re-
connoiffance les bontés qu’on aura pour lui ; que
perfonne ne foit fon complaifant ni fon adulateur :
fi fon rang ne vous permet pas de le garantir de certains
refpefts, qu’il faehe que c’eft à fes parens qu’ils
s’adreffent, & qu’ils font le prix de leurs bienfaits ou
de leurs vertus. Qu’il ne commande à perfonne, qu’il
demande avec douceur, qu’il remercie avec politef-
fe ; s’il commande, que tout le monde foit fourd, &
que le mot j e v e u x , s’il fort de fa bouche, foit un arrêt
de refus prononcé par lui-même.
Qu’il ne foit point, comme tous les enfans, avide
de recevoir, éloigné de donner: qu’il donne de bonne
grâce, finon qu’il foit privé de ce qu’il a refufé
de donner ; qu’il reçoive difficilement, qu’il ne demande
jamais. Onne peut lui apprendre trop tôt qu’il
eft humiliant de recevoir, qu’il eft doux de donner,ôc
que c’eft un devoir pour ceux qui font dans l’abondance
par rapport à ceux qui lont dans le befoin.
S’il rencontre un pauvre ou un malheureux, qu’il
lui donne quelque fecours : s’il reçoit un fervice ou
un préfent de gens au-deffous de lui, qu’il les récom-
penfe ou leur rende au-delà de ce qu’il a reçû : s’il
brife quelque chofe qu’on lui aura confié, qu’il répare
le dommage par un préfent qui y foitfupérieur;
que tout cela fe faffe par fes mains & de fon argent:
c’eft ainfi qu’on lui en apprendra l’ufage, & qu’en
même tems on lui infpirera les premiers fentimens
d’humanité, de générofité, de juftice. Puifqu’on donne
de l’argent aux enfans, il ne faut pas que ce ifoit
pour l’amaflér, comme quelques parens l’exigent, ni
pour le dépenfer en fantaifies, comme c’eft l’intention
de beaucoup d’autres, à-moins qu’on n’ait envie
de les rendre avares ou diflipateurs.
Il femble qu’on ne fâche louer les enfans que fur
leur efprit fk. fur leur figure : font-ce là les objets
qu’il faut leur préfenter comme louables ? Veut-on
les rendre fats, préfomptueux, frivoles? Ces loiian-
ges font d’autant plus ridicules , qu’elles font presque
toûjours faufl'es. Ce qu’il faut loiier devant eu x,
ce font les chofes véritablement louables : ce qu’on
doit loiier en eux, c’eft leur douceur, leur obéiffance,
leur exa&itude à remplir leurs devoirs, leur refpeft
& leur attachement pour les perfonnes qu’ils doivent
aimer ; il ne faut les loiier qu’autant qu’ils le méritent.
Dites à votre éleve que lorfqu’on loue un enfant
fur fon efprit & fur fa figure, c’eft qu’on le mé-
prife, & qu’on ne voit rien en lui qui mérite d’être
loué.
Veillez fur les perfonnes qui l’approcheront; ne
le laiffez jamais entre les mains des valets, ou d’autres
gens imprudens & grofiiers ; que l’entrée de fa
chambre ne foit permife qu’à des perfonnes prudentes
& polies , qui, quand elles joueront avec lu i,
fâchent conferver de la décence ; & q ui, lorfqu’elles
lui parleront raifon, ne s’écartent jamais de Ja morale
la plus exafte.
Faites enforte qu’il ne foit point dans le fallon
quand il y aura beaucoup de monde ; il n’y trouve-
roit que des complaifans ou des gens qui en feroient
leur joiiet : ni l’un ni l’autre ne doivent convenir à
des parens fenfés. Les exemples qu’il verroit ne feroient
point affez bons ; les converfations qu’il en-
tendroit ne feroient point affez exaftes ; beaucoup
d’afiions fans conféquence, ne le font point pour un
enfant ; beaucoup de difcours, irrepréhenfibles pour
des gens faits, pourroient l’induire en erreur. Peu de
gens font capables de fentir tout le refpeél qu’on
doit à l’enfance ; aucun n’eft capable de s’y plier
à-moins qu’il n’en fafle fon unique affaire. Les parens
eux - mêmes ne le pourroient pas ; & leurs difcours
& leurs exemples feroient un piège d’autant
plus dangereux pour l’enfant, qu’il a plus de relpeéfc
pour eux.
Il fera des fautes, il eft de l’humanité d’en faire ;
mais fi vous êtes attentive, il en fera peu. Les enfans
ne font prefque jamais puniffables, qu’il h’y ait plus
de la faute de ceux qui les conduifent que de la leur.
Plus votre conduite fera égale & foûtenue, moins il
ofera s’écarter de ce que vous lui preferirez ; plus
vous mettrez de douceur, d’affeflion & de bonté dans
vos leçons & dans vos remontrances, plus il lui fera
facile de s’y conformer ; plus vous l’avertirez de fes
devoirs, moins il fera en danger d’y manquer.
Il fera des fautes par ignorance, il oubliera ce que
vous lui aurez dit, parce qu’on l’aura diftrait ; il bri-
fera ou. renverfera quelque chofe par étourderie ; il
ménagera peu fes vêtemens. &c. Ces bagatelles viennent
de l’âg e, & ne tirent point à conféquence pour
l’avenir : il faut l’en avertir ; mais il ne faut pas l’en
punir, à-moins qu’il n’y eût mauvaife intention.
: * Une defobéiffance, un trait d’humeur, un mot qui
n’eft pas conforme à la v érité, une parole malhonnête
, un coup donné, une dilputé avec fes freres ou
foeurs, tout ce qui peut être le germe d’un vice, tout
ce qui annonce de la baffeffe ou de 1 infenfibihte,
voilà des fautes puniffables.
Ces mêmes fautes deviendront des crimes du premier
o rdre, quand il y aura intention marquée, récidivé
ou habitude ; car il faut confidérer les fautes
d’un enfant, moins par ce qu’elles font, que par leur
principe & par les lûites qu’elles peuvent avoir.
La punition des fautes legeres , ce fera d’en avertir
les parens, & de les lui reprocher devant tout le
monde. Il vous priera de n’en rien faire ; foyez inexorable:
bien loin de diflimuler fes fautes, il faut
les exagérer. Il faut le rendre fenfible à la honte, fi
vous voulez qu’il le devienne à l’honneur. Les fautes
les plus legeres deviendront graves , à mefure
qu’il y fera moins fenfible : ce fera, par exemple, un
crime du premier ordre, que de n’avoir pas ete fenfible
à la honte d’une petite faute.
La punition des grands crimes fera la privation des
careffes de fes parens, même la privation totale du
bonheur de les voir. On y joindra , fuivant 1 énormité
de la faute, toutes les autres privations pofli-
blés, non comme ajoûtant à la première , mais comme
en étant la fuite. L’enfant fêla négligé dans fon
extérieur, comme il convient à un entant difgracie
de fes parens. Tout le monde faura qu il eft en dif-
grace, & tout le monde le fuira. Vous ne lui accorderez
d’amufemens qu’autant qu’il en faut pour 1 empêcher
de tomber dans la langueur & dans 1 abattement.
Vous-même vous ferez froide avec lu i , mais
fans ceffer d’être douce. Vous lui ferez faire fur fon
état les remarques les plus propres à le lui rendre
amer; vous lui rappellerez qu’iî eft puni, dans les
momens où il feroit le plus tente de 1 oublier. La
durée de fa punition dépendra du befoin qu il a d e-
tre puni; elle fera s’il le faut de plufieurs jours : il
vaut mieux qu’elle foit plus longue, & n’être pas
obligé d’y revenir. Il aura beau promettre d’être
p lu s raifonnable, fes promeffes ne feront point écoutées.
Pour obtenir fa grâce, il faudra qu il la mérité
, & elle ne fera jamais accordée qu’à l’excès de
fa douleur & à fa bonne conduite.
En lui annonçant que fes parens confentent de le
revoir, faites lui valoir l’excès de leurs bontés ; rappeliez
lui la grandeur de la faute qu’il a voit com-
mife ; attendriffez fon ame, pour y porter plus avant
la reconnoiffance & le repentir. Dès que leurs careffes
auront mis le fceau à fon pardon , il rentrera
en poffeflion de fon état naturel, & tout reprendra
fa face accoûtumée : mais ayez foin qu’il y ait une fi
grande différence entre cet état & celui de difgrace,
que l’enfant tremble toûjours d’encourir le dernier.
J’ai parlé de cette grande punition,perfuadé qu’elle
ne peut avoir lieu que rarement. Si l’on a été attentif
à punir l’enfant des petites fautes,il ne s’expofera pas
à en faire de plus grandes. A l’égard des verges, je
n’en ai rien dit, parce qu’il n’en doit pas être quef-
tion dans une éducation bien faite, fi ce n’eft peut-
tre dans le tems où la douleur eft le feul langage que
l’enfant puiffe entendre ; ou bien lorfqu’ayant été
précédemment gâté, foit parce quil a ete malade,
foit par négligence, il eft parvenu a ce point d opiniâtreté
de dire affirmativement, non; alors, comme
il eft de la plus grande importance de ne lui pas
céder, c’eft avec la verge qu’il faut lui repondre. Il
feroit à fouhaiter qu’on le fit fans humeur ; mais fi je
conleillois d’attendre que la colere fût paflee, je fe-
rois sûr que la faute feroit oubliée, & que l’enfant
ne.feroit pas puni. A l’âge où il e ft , il vaut mieux
qu’il foit puni avec un peu d’humeur, que de ne l’être
pas.
Dans tout autre cas, & dès que l’enfant eft capable
d’un fentiment honnête, les verges doivent être
bannies. On n’en fait ufage fi fouvent que par négligence
, par humeur, ou par incapacité ; on rend ce
châtiment inutile par la maniéré dont on l’employe ;
on n’y attache pas affez de honte. Il faudroit qu’il
fût l’annonce & le prélude de toutes les autres punitions
poflibles, que ces punitions lui fuffent impo-
fées parce qu’il s’eft fait traiter comme un enfant
fans ame & fans honneur : alors ce châtiment de-
viendroit pour lui un événement unique , dont la
feule idée le feroit frémir ; au lieu que de la façon
dont on s’y prend, il s’accoûtume à cette punition
comme à toute autre chofe, & n’y gagne qu’un défaut
de plus.
Les coups font un châtiment d’efclave, & je veux
que votre éleve foit un enfant bien-né. Ménagez la
fenfibilité de fon ame, & vous aurez mille moyens
de le punir ou de le récompenfer; accoûtumez-le à
penfer noblement, cela n’eft pas fi difficile qu’on le
croit. Le principe de l’honneur eft dans les enfans
comme dans les hommes faits, puifque l’amour-propre
y eft ; il n’eft queftion que de le bien diriger, ôà
de l’attacher invariablement à des objets honnêtes.
Les enfans font incapables de difeuflion ; ils ne jugent
des chofes que par le prix qu’on y met ; mettez
à un haut prix celles que vous voudrez qu’il efti-
me, & vous verrez qu’il les eftimera ; faites-lui faire
une chofe louable pour mériter d’en faire une autre ,
c’eft une excellente économie. Accordez-lui les chofes
de fon âge, non comme bonnes, mais comme né-
ceffaires à fa foibleffe ; refufez-les lu i, non comme
eftimables, mais parce qu’il les aime, & qu’on ne
doit point avoir d’indulgence pour un enfant qui fe
conduit mal ; ne les lui propofez jamais comme des
récompenfes dignes de lui ; cherchez ces récompen-
fes dans des objets qu’il doive aimer, & dont il doive
faire cas toute fa vie ; placez-les dans les careffes
de fes parens, dans quelque devoir de religion qu’il
n’ait point encore rempli, dans quelque a&ion fupé-
rieure à fon âge qu’il n’ait point encore faite, dans
le plaifir d’apprendre quelque chofe qu’il ignore,
dans la confidération, dans l’eftime , dans les louanges
; car il faut lui faire aimer les loiianges pour l’amener
au goût des chofes loiiables.
Quand il s’eft diftingué par quelque qualité loiia-
ble, qu’eft-ce qui empêcheroit qu’on ne lui donnât
un furnom qui exprimât cette qualité ; qu’on ne l’ap-
pellât le raifonnable , le véridique, fe bienfaifant, le
p o li ; qu’on ne lui écrivît, foit pour le loiier de ce
qu’il auroit fait de bien, foit pour lui reprocher fes
défauts, en mettant en tête de la lettre les titres qu’il
auroit mérités, ou en le menaçant de les lui fuppri-
mer, s’il continuoit à s’en rendre indigne ?
C ’eft ainfi qu’on peut élever fon ame au - deffus
des fentimens de fon âge ; échauffée par l’émulation
& par l’amour de la gloire, elle s’ouvrira d’elle-même
à toutes les femences de raifon & de vertu que
vous y voudrez répandre; toute l’attivité qui l’au-
roit entraînée vers le mal, la portera vers le bien ;
à-mefure que vous y verrez croître les femences pré-i
cieufes que vous y aurez verfées, cultivez - les par
les mêmes moyens que vous les aurez fait naître.
Careffez, louez, applaudiffez. Dès que de fon propre
mouvement il aura fait ou penfé quelque chofe
de louable, imaginez-en quelqu’autre à lui faire faire
pour le récompenfer. Que tout le monde vienne
lui faire compliment avec un air de confidération.
J’ai recommandé aux parens d’aller rarement chex,
leurs enfans, & d’être ménagers de leurs careffes ,
mais ceci eft un cas à part ; c’eft le feul où il leur
foit permis de laiffer éclater toute leur tendreffe j
puifque l’enfant a été capable d’un fentiment vertueux
, il faut pour l’inftant le regarder comme un