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difficiles d’ avec les oeuvres faciles, & exigeant pour ;
les premières feulement une grâce efficace par elie-
même, 8e pour les autres une grâce Jumlante. Yoy.
Suffisante & Augustiniens. . ,
Les Congruiftes croyent que l’efficacite de la grâce
vient de la combinaifon avantageufe de toutes les
circonftances dans lefquelles elle eft accordée. Dieu,
dans ce fyftème, prévoit en quel tems ,en quel lieu,
& en quelles circonftances la volonté fera d humeur
de confentir ou de ne pas confentir à la grâce, & par
pure bonté il la place dans le moment favorable :1e-
lon eux, la grâce efficace & la grâce fuffifante ne différent
point effentiellement l’une de l’autre; mais
feulement en ce que la grâce efficace elt un plus grand
bienfait, eu égard aux circonftances, que n elt la
grâce fuffifante : à-peu-près comme le don d une cpee
fait à une perfonne eft toujours un don, foit en tems
de paix foit en tems de guerre ; cependant relativement
à cette derniere circonftance, l’ epee étant plus
utile en tems de guerre cju’en tems de paix, le don
qu’on en fait eft plus précieux dans une circonftance
que dans l’autre. Voye{ Congruisme. ^
Les Moliniftes penfent que l’efficacite de la grâce
vient du confentement de la volonté ; que Dieu en
donnant à tous indifféremment la même grâce, laide
à la décifion de la volonté humaine de la rendre efficace
par fon confentement ou inefficace par fon refus
; enforte qu’à proprement parler , ils ne recon-
noiffent point de grac« efficace par elle-même, ou ce
que les autres théologiens appellent, gratiaperfe &
ab incrinfeco efficax. .
Le P. Thomaffin (dogmat. tkeolog. t. I I I . tract, jv .
c. xv iij.') fait confifter l’efficacité de la grâce dans un
affemblage de plufieurs fecours furnaturels, tant intérieurs
qu’extérieurs, qui preffent tellement la volonté,
qu’ils obtiennent infailliblement fon confentement
; de maniéré cependant que chacun de ces fecours
pris féparément peut êire privé de fon effet,
& même en eft fou-vent privé par la réfiflance de la
volonté ; mais colleâivement pris, ils l’attaquent
avec tant de force qu’ils en demeurent vidorieux,
en la prédéterminant non phyfiquement, mais moralement.
,
Les erreurs fur la grâce efficace condamnées par
l’Eglife, font celles de Luther, de Ca lvin, & de J an-
fémus : Luther foûtenoit quelagrâce agiffoit avec tant
d’empire fur la volonté de l’homme, qu’il ne lui rel-
toit pas même le pouvoir de réfifter. Calvin dans fon
injlit. L. I I I . c. x x iij. s’attache à prouver quela volonté
de Dieu apporte dans toutes chofes, 6c même dans
nos volontés, une néceffité inévitable. Selon Luther
& Calvin, cette néceffité n’eft point phyfique,
totale, immuable, effentielle, mais une néceffité relative,
variable ,& paffagere. Calv. injlit. Liv. I I I .
chap. ij. n. //. & i z . Luther, de ferv. arbitr.foL. 4^4.
Les Arminiens 6c plufieurs branches des Luthériens
ont adouci cette dureté de la dodrine de leurs maîtres.
y^oye^ Arminiens , Luthériens.
Les Arminiens foûtiennent comme les Catholiques
, la néceffité de la grâce efficace en ce fens,
que cette grâce ne manque jamais aux juftes que par
leur propre faute, qu’ils ont toujours dans le befoin
des grâces intérieures vraiment 6c proprement fuffi-
fantes pour attirer la grâce efficace, & qu’elles l’attirent
infailliblement quand on ne les rejette pas ; mais
qu’au contraire elles demeurent fouvent fans effet,
parce qu’au lieu d’y confentir, comme on le pourront,
on y réfifte.
Janfénius 6c fes difciples croyent que l’efficacité
de la grâce vient de l’impreffion d’une déledation cé-
Jefte indélibérée qui l’emporte en degrés de force
fur les degrés de la concupifcence qui lui eft oppo-
fée. Voye^ JANSÉNISME.
Toutes ces opinions fe réduifent, comme nousl’a-
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vons dit plus haut, à deux fyftèmes diamétralement
oppofés , dont l’un favorife le libre arbitre 6c l’autre
la puiffance de Dieu ; 6c dans chacune de ces deux
claftés en particulier, les opinions ne font féparées
fouvent que par des nuances legeres & prefque imperceptibles.
Les fémi-Pélagiens admettoient, au-
moins pour les bonnes oeuvres, une grâce verfatile &
que Dieu accordoit après avoir confulté la volonté 6c
prévû fon confentement. Il feroit difficile d’affigner
une différence à cet égard entre eux & les Moliniftes
&les Congruiftes : il eft vrai qu’ils prétendoient ,di-
fent lesThéologiens,que ce confentement prévû étoit
pour Dieu un motif déterminant, une raifon de l’accorder;
mais les Thomiftes 6c les autres Théologiens
catholiques partifans de la grâce efficace par fa nature
, reprochent tous les jours aux Congruiftes & aux
Moliniftes , que c’eft là une conféquence néceffaire
de leur opinion.
Les Moliniftes & les Congruiftes entre eux font
à-peu-pres dans les mêmes termes. Molina n’a jamais
nié la congruité de la grâce ; 6c Suarès en difant
qu’elle tire fon efficacité des circonftances, ne peut
pas difconvenir que le confentement ou le diffenti-
ment de la volonté rend en dernier reffort la grâce efficace
ou inefficace: c’eft la remarque de Tourneli,
de gratiâ Chrijli, tom. I I . p . 6 y 4.
Le fentiment du P. Thomaffin peut encore être
rappellé au Molinifme ou au Congruifme ; car la
motion morale qui réfulte de la muitiiude des grâces,
avec quelque force qu’elle preffe la volonté, eft toujours
diftinguée du confentement, n’opere pas physiquement
le confentement : c’eft donc toujours ce
meme confentement qui rendra la grâce efficace.
D ’autre part, toutes les opinions qui prêtent à la
. grâce une efficacité indépendante du confentement,
rentrent les unes dans les autres ; les noms n’y font
rien: qu’on appelle la grâce une délectation, une prémotion
, 6cc. cela ne fera rien à là queftion capitale,
qui eft de favoir fi le confentement de la volonté
fous fon empire eft libre ou néceffaire..
L ’Eglife fe met peu en peine des opinions abftrai-
tes fur la nature de la grâce ; mais attentive à con-
ferver le dogme de la liberté , fans lequel il n’y a
ni religion ni morale, elle condamne les expreffions
qui y donnent atteinte. Il eft difficile de croire qu’aucun
théologien, fans en excepter Luther 6c Calvin ,
ayent fait de l’homme un être absolument deftitué
de tout pouvoir d’agir, incapable de mérite & de de-
mérite, le joiiet de la puiffance de D ieu , 6c devenant
au gré de l’Être fuprème un vafe d’honneur ou
un vafe d’ignominie, un élu ou un réprouvé : mais
leurs expreffions abufives & contraires au langage
reçu, étoient condamnables ; 6c c’eft cela même que
l’Eglife a condamné.
On trouvera aux articles particuliers, M O L IN IS ME,
Congruisme, T hom ism e , & c. des détails
dont nous nous abftenons ici.
D ’ailleurs on a tant écrit fur cette matière fans rien
éclaircir , que nous craindrions de travailler tout
auffi inutilement : on peut lire fur ces matières les
principaux ouvrages des Théologiens des divers partis
; les difcuffions auxquelles ils fe font livrés, fort
fouvent minutieufes 6c futiles, ne méritent pas de
trouver leur place dans un ouvrage philpfophique,
quelque encyclopédique qu’il foit.
On a donné à S. Auguftin le nom de docteur de la
grâce, à caufe des ouvrages qu’il a compofés fur cette
matière : il paroît qu’effe&ivement on lui eft redevable
de beaucoup de lumières fur cet article important
: car il affûre lui-même que Dieu lui avoit révé-*
lé la dottrine qu’il développe. D ix i hoc apojlolicopra-
cipuc tejlunonio ctiam me ipfumj'uijfe conviclum, cum in
hâc quajlioneJblycndâ (comment la foi vûent de Dieu)
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m n i epiftopum SSiplicianumTcriUrm , révélait.
S. Auguftin, M- ieprtei. fancl. c .jv .
G r â c e , (Droit polieiq.) pardon, rémiffion, accordée
par le fouverain à un ou à plufieurs .coupai
t droit de faire grâce eft le plus bel attribut de la
fouveraineté. Le R n B d’être oblige de punir
toujours les fautes puniffables, peut faire gmcc par
de très - bonnes raifons ; comme, par exemple, s il
revient plus d’utilité du pardon , que de [a peine ;
fi le coupable ou les coupables ont rendu de grands
fervices à l’état ; s’ils poffedent des qualités emmen-
tes; fi certaines circonftances rendent leurs fautes
plus excufables ; s’ils font en grand nombre,; s ils ont
été féduits par d’autres exemples ; fi la raifon particulière
de la loi n’ a point lieu à leur e g f d: dans
tous ces cas 8c autres femblables, le fouverain peut
faire grâce, 8c il le doit toûjourspour le bien public,
parce que l’utilité publique eft la mefure des peines ;
I lorfqu’il n’y a point de fortes raifons au fouverain
de faire la grâce entière, il doit pencher à modérer
fa juftice. . ,
A plus forte raifôniBe prince dans une monarchie
ne peut pas juger lui-même ; s’il le v o û ta i, la
conftitution de l’état feroit détruite.: les pouvons
intermédiaires dépendans feroient anéantis ; la crainte
s'emparerait de tous les coeurs ; on verrait la pâleur
8c l’effroi fur tous les vifages, 8c perfonne ne
fauroit s’il feroit abfous, ou s’il recevrait fa grâce :
c’eft une excellente remarque de 1 auteur de 1 elprit
des El. Lorfque Louis XIII. ajoûte-t-il pour la confirmer
, 'voulut être juge dans le procès du duc de la
Valette, le préfident de Bellievre déclara,« quil
j> voyoit dans cette affaire une chofe inouïe, un
-» prince fonger à opiner au procès d’un de fes lujets ;
», que les rois ne s’étoient refervés que les grâces, 6c
» renvoyoient toûjours les condamnations vers leurs
» officiers : votre majefté, continua-t-il , voudroit-
» elle voir fur la fellette un homme devant e lle , qui
» par fon jugement irait dans une heure à la mort.
* que bien au contraire, la vite feule des rois por-
,, toit les grâces, 8c levoit les interdits des eglifes ».
Concluons que le throne eft appuyé fur la clemence
comme fur la juftice. Voye^-en les preuves uu mot
Clémence. I , . , • I
La rigueur de la juftice eft entre les mains des ju-
2es'; la faveur ou le droit de pardonner appartient
lu monarque; s’il puniffoit lm-meme, fon afpeft feroit
terrible ; fi'fa clémence n avoit pas les mains
liées , fon autorité s'avilirait. Il faut, je 1 a voue, des
exemples de févérité pour contenir le peuple ; mais
■ en faut également de bonté pour affermir le throne.
Si le monarque ne fe fait pas aimer, il ne régnera
pas fong-tems, ou fon long régné ne lera que plus
— H B 8 Les dons 8cbrevets, penfions,
privilèges accordés par le prince, font des grâces qui
doivent toûjours être favorablement interprétées, àmoins
qu’elles ne faffent préjudice à un tiers. I
Grâce, en matière criminelle, fe prend en geneial
pour toutes lettres du prince qui déchargent un ac-
eufé de quelque crime, ou de la peine à laquelle il
aurait été fujet. On fe fervoit autrefois de ce.terme
‘grâce dans lé ftyie de chancellerie ; mais prelente-
mc.it on dit a bolit ion, rimijfion, & pnrdon : 8c quoique
ces termes paroiffent d’abord lynonymes pour
/unifier grâce, ils ont cependant chacun leur lignification
propre. Ab olition eft lorfque le prince eftace
le crime & en remet la peine, de manière qu il ne
refte aux juges aucun examen à faire des circonltan-
èes. Rémijfton eft lorfqu’il remet leulement la peine :
ces lettres s’accordent pour homicide involontaire,
Au m m m t Ç n a t
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oh il n’échet pas peine de mort, qui néanmoins ne
peuvent pas être exeufés.
Il n’appartient qu’au roi de donner des grâces.
Néanmoins anciennement plufieurs feigneurs 6c
grands officiers de la couronne, s’étoient arroge le
droit d’en donner ; tels que le connétable, les maréchaux
de France, le maître des arbalétriers, & les
capitaines ou gouverneurs des provinces; ce qui leur
fut d’abord défendu par Charles V . alors régent du
royaume, par une ordonnance du 13 Mars 1359»
Cette défenfe fut réitérée pour toutes fortes de per-
fonnes par Louis X II. en 1499.
Le chancelier de France les accorde, mais c’eft
toûjours au nom du roi. Ce privilège fut accordé au
chancelier de Corbie par Charles VI. le 13 Mars
1401. Les lettres portent, qu’en tenant les requêtes
générales avec tel nombre de perfonnes du granff-
confeil qu’il voudra, il pourra accorder des lettres
de grâce en toute forte de cas, 6c à toutes fortes de
perfonnes.
Suivant l’ordonnance de 1670, les lettres d abolition
, celles pour efter à droit après les cinq ans de
la contumace, de rappel de ban ou de galeres, de
commutation de peine, réhabilitation du condamne
en fes biens 6c bonne renommée, 6c de révifion de
procès , ne peuvent être fcellées qu’en la grande
chancellerie.
Les lettres de rémiffion qui s’accordent potif homicide
involontaire, ou commis dans la ^neceffite
d’une légitime defenfe de la v ie , peuvent etre fcellées
dans les petites chancelleries.
On peut obtenir grâce par un fimple brevet, 6C
fans qu’il y ait dans le moment des lettres de chancellerie
; favoir, quand les rois font leur entrée pour
la première fois, après leur avènement à la couronne
, ils-ont coûtume de donner grâce à tous les criminels
qui font détenus dans les prifons de la ville ou le
roi fait fon entrée : mais fi les crkninçls ne lèvent pas
leurs lettres en chancellerie fix mois après la date du
brevet du grand-aumônier, ils en font déchus.
Le roi accorde auffi quelquefois de femblables gra-
cei à la naiffance des fils de France, & aux entrées des
reines. Lorfque Charles VI. établit le duc de Berri
fonfrere, pour fon lieutenant dans le Languedoc en
1380, il lui donna, entre autres chofes , le pouvoir
d’accorder des lettres de grâce. ? A
Louis XI. permit auffi à Charles duc d’Angoule-
me d’en donner une fois dans chaque ville où il fe-,
roit fon entrée.
Mais aucun prince n’a ce droit de fon chef; 6c
quelqu’étendue de pouvoir que nos rois accordent
dans les apanages aux enfans de France, le droit de
donner des lettres de grâce n’y eft jamais compris.
Louife de Savoie ayant obtenu le privilège de donner
des lettres de grâce dans le duché d’Anjou, s en
départit , ayant appris que le parlement de Paris
avoit délibéré de faire au roi des remontrances a ce
Il eft quelquefois arrivé que dans les facultés des
légats envoyés en France par la cour de Rome,
on a inféré le pouvoir d’abolir le crime d’herefie
dont les accufés pourroient être prévenus. Les par-
lemens ont toûjours rejetté c-es fortes de claufes. Le
cardinal de Plaifance légat, ayant en l’annee 1547
donné des lettres de grâce à un clerc qui avoit tue
un foldat ; par arrêt du 5 Janvier 1548, il fut dit
qu’il avoit été mal, nullement & abufivement procédé
à l’entérinement de telles lettres par le juge
eccléfiaftique, 6c que nonobftant ces lettres, le procès
feroit fait &,parfait à l’accufé. 1
Les évêques d’Orléans donnoient autrefois des
lettres de grâce à tous les criminels qui venoient fe
rendre dans les prifons d’Orléans lors de leur entrée
folennelle à Orléans: il ne s’en trouva d abord que