Obftrvations fur les avantages de la culture des grains.
Les frais de la culture relient dans le royaume,
& le produit total ell tout entier pour l’état. Les
befti.uix égalent au-moins la moitié de la richefle
annuelle des récoltes ; ainfi le produit de ces deux
parties de l’Agriculture feroient environ de trois
milliarts: celui des vignes -ell de plus de cinq-cents
millions, & pourroit être beaucoup augmenté, fi la
population s’accroiffoit dans le royaume, & fi le
commerce des vins & eaux-de-vie étoit moins gêné
(jy ). Les produits de l’Agriculture leroient au-
moins de quatre milliarts, fans y comprendre les produits
des chanvres, des bois, de la pêche, &c. Nous
ne parlons pas non plus des revenus des maifons ,
des rentes, du fe l, des mines, ni des produits des
Arts & Métiers, de la Navigation, &c. qui augmen-
teroient à-proportion que les revenus & la population
s’accroîtroient ; mais le principe de tous ces
avantages ell dans l’Agriculture, qui fournit les matières
de premier befoin, qui donne des revenus au
roi & aux propriétaires, des dixmes au cierge, des
profits aux cultivateurs. Ce font ces premières ri-
cheffes, toujours renouvellées, qui foûtiennent tous
les autres états du royaume, qui donnent de l’aCti-
vité à toutes les autres profeflions, qui font fleurir
le Commerce, qui favoril'ent la population, qui animent
l’indullrie, qui entretiennent la profperité de
la nation. Mais il s’en faut beaucoup que la France
joiiiffe de tous ces milliarts de revenus que nous avons
entre-vû qu’elle pourroit tirer d’elle-même. On n’ef-
time guere qu’à deux milliarts la confommation ou
( y ) L ’auteur du livre intitulé le financier citoyen, dont les intentions
peuvent être loüables, eft trop attaché aux droits
des aides : il paroit n’avoir pas envilàgé dans le vrai point d e
v u e les iriconvéniens de ces droits ; il ne les regarde que du
côté des confommateurs , qui font libres , dit - i l , de faire
plus ou moins de dépenfe en vin. Mais ce plus ou moins de.
dépente eft un objet important par rapport aux revenus des
v igne s , & aux habitans occupés à les cultiver. C e tte culture
employé beaucoup d’hommes, & peut en employer encore
davantage'; ce qui mérite une grande attention par rapport à
la population : d’ailleurs les terres employées en vignes font
d ‘un grand produit. L e grand objet du gouvernement eft de
veiller à l'augmentation des revenus, pour le bien de l’état
& pour le fonds des impofitions ; car les terres qui prpduifeqt
beaucoup, peuvent foùtenir une forte impofition. L e s vignes
produifent tous les an s , ainfi chaque arpent peut fournir pour
la taille le double de chaque arpent d e terre cultivé en blé ;
c e qui produiroit au roi à-peu-près autant que les d roits des aides
, qui ruinent un commerce eflentiel au royaume, & defo-
lent les vignerons par les rigueurs de la régie & les vexations
des commis. Dans le fyftème d’une bonne culture, la
taille bien régie doit être la principale fource des revenus du
roi. C ’eit une partie qu’on n’a point approfondie, & qui n’eft
connue que par les abus deflruétifs contre lefquels on s’eft
toujours^ ré c r ié , & auxquels on n’a point encore remédié.
V. Impôts. Il paroît que l’auteur tient aufïî un p eu au p réjugé
vulgaire par rapport à l’induftrie. L ’induftrie p rocure la fub-
fiftanee à une multitude d’hommes, par le payement de la
main- d’oeuvre ; mais elle ne produit point de revenus, &
e lle ne peut fe foùtenir que par les revenus des citoyens qui
achètent les ouvrages des artifàns. Il défend l’impolition fur
l’induftrie, dans la crainte de l’anéantir ; mais l'induftrie fob-
fiftera toujours dans un royaume à raifon des revenus, par
rapport aux ouvrages néceflaires, & par rapport aux ouvrages
de lu x e : l’impofition peut feulement en augmenter
un peu le prix. Mais cette partie intérèfle fort peu le commerce
e x tér ieu r , qui ne peut nous enrichir que par la vente
de nos produirions. L ’auteur eft entièrement décidé en faveur
des fermes générales bien ordonnées ; il y trouve les
revenus du roi aflurés, des intérêts pour les feigneurs fous
des noms empruntés, des fortunes honnêtes pour les fermiers
& fous-fermiers, des appointemens pour les commis ; mais
il veut que les financiers ayent de la probité. Un autre avantage
qu’il apperçoit dans les fermes, c ’eft qu’elles peuvent
s’augmenter fans nuire à l’Agriculture, à l’induftrie , ni au
Commerce. Il eft vrai du-moins que dans des royaumes incultes
, c’eft peut-être le feul moyen pour tirer des revenus
pour le fouverain, & des intérêts pour les feigneurs ; mais
dans un état riche par fes biens êç par le commerce; de fes
productions, ce moyen onéreux n’eft pas néceflaire, & les
feigneurs foûtiennent leurs clépenfes par les produits de leurs
terres.
la dépenfe annuelle de la nation. Or la dépenfe eft
à-peu-près égale aux revenus, confondus avec les
frais de la main-d’oeuvre, qui procurent la fubfiftan-
ce aux ouvriers de tous genres, & qui font prefque
tous payés par les productions de la terre ; car, à la
referve de la pêche & du fel., les profits de la navigation
ne peuvent être eux-mêmes fort confidéra-
bles, que par le commerce des denrées de noire cru.
On regarde continuellement l’AgricuIture& le Commerce
comme les deux reflources de nos richefles ;
le Commerce , ainfi que la’ main - d’oeuvre, n’eft
qu’une branche de l’Agriculture : mais la main-d’oeuvre
eft beaucoup plus étendue & beaucoup plus
confidérable que le Commerce. Ces deux états ne
fubfiftent que par l’Agriculture.. C ’eft l’Agriculture
qui fournit la matière de la main-d’oeuvre & du Commerce,
& qui paye l’une 6c l’autre: mais ces deux-
branches reftituent leurs gains à l’Agriculture, qui
renouvelle les richefles, qui fe dépenfent & fe con-
fomment chaque année. En effet, fans les produits
de nos terres, fans les revenus & les dépenfes des
propriétaires & des cultivateurs, d’où naîtroit le
profit du Commerce & le falaire de la main-d’oeuvre
? La diftinCtion du Commerce d’avec l’Agriculture,
eft une abftraCtion qui ne préfente qu’une idée
imparfaite, & qui féduit des auteurs qui écrivent
fur cette matière, même ceux qui en ont la direction
, & qui rapportent au commerce productif le
commerce intérieur qui ne produit rien, qui fert la
nation, & qui eft payé par la nation.
On ne peut, trop admirer la fupériorité des vûes
de M. de Sully : ce grand miniftre a voit faifi les
vrais principes du gouvernement économique du
royaume, en établiffant les richefles du roi, la puif-
fance de l’état, le bonheur du peuple, fur les revenus
des terres, c’eft-à-dirè fur l’Agriculture & fur le
commerce extérieur de fes productions ; il difoit que
fans l’exportation des blés, les fujets feroiènt bientôt
fans argent & le fouverain fans revenus. Les
prétendus avantages des manufactures de toute ef-
pece ne l’avoient pas féduit ; il ne protegeoit que
celles des étoffes de laine, parce qu’il avoit reconnu
que l’abondance des récoltes dépendoit du débit des
laines, qui favorife la multiplication des troupeaux
néceflaires pour fertilifer les terres.
Les bonnes récoltes produifent beaucoup de fourrages
pour la nourriture des beftiaux ; les trente millions
d’arpens de terres médiocres feroient en partie
deftinés aufîi à cet ufage. L’auteur des Prairies artificielles
décide très-judicieufement qu’il faut à-peù-
près la même quantité d’arpens de prairies artificielles
qu’il y a de terre enfemencée en blé chaque année.
Ainfi pour trente millions d’arpens, il faudroit dix
millions d’arpens de prairies artificielles pour nourrir
des beftiaux qui procureroient affez de fumier
pour fournir un bon engrais aux terres qui chaque
année doivent être enfemencées en blé. Cette pratique
eft: bien entendue ; car fi on fe procure par l ’engrais
de la terre un feptiet de blé de plus par chaque
arpent, on double à-peu-près le profit. Un arpent
de blé qui porte cinq feptiers à 1 5 liv. le feptier,
donne, tous frais déduits, 20liv. de revenu; mais
un feptier de plus doubleroit prefque lui feul le revenu
d’un arpent; car fi un arpent donne f ix feptiers,
le revenu eft 3 5 liv. & s’il en portoit fept, le revenu
feroit 50 liv. ou y de revenu de plus que dans le
premier cas : le revenu n’eft pas Amplement à raifort
du produit, mais à raifon du produit & des frais. Or
l’augmentation des frais eft en beftiaux qui ont aufli
leur produit; ainfi les profits d’une culture imparfaite
ne font pas comparables à ceux d’une bonne
culture.
Ainfi on voit que la fortune du fermier en état de
faire les frais d’une bonne culture, dépend du pro-
Unît d’un feptier ou deux de plus par arpeiitde terre
; & quoiqu’il en partage la valeur pour la taille fic
pour le fermage,,fon:gain en eft beaucoup plus con.
fiel érable & la meilleure portion eft toujours pour
lui; car il recueille des fourrages à-proportion avec
lefquels il nourrit des beftiaux qui augmentent fon
profit.
Il ne peut obtenir cet avantage que par le moyen
des beftiaux ; mais il gagneroit beaucoup aufli fur
le produit de ces mêmes beftiaux. Il eft vrai qu’un
fermier borné à l’emploi d’une charrue, ne peut prétendre
à un gain confidérable ; il n’y a que ceux qui
font affez riches pour fe former de plus grands éta-
bliffemens, qui puiffent retirer un bon profit, & mettre
par les clépenfes qu’ils peuvent faire, les terres
dans la meilleure valeur.
Celui qui n’occupe qu’une charrue, tire fur ce petit
emploi tous les frais néceflaires pour la fubfiftan-
ce & l’entretien de fa famille ; il faut, même qu’il
faffe plus de dépenfe à proportion pour les différens
objets de fon entreprife : n’ayant qu’une charrue il
ne peut avoir, par exemple, qu’un petit troupeau
de moutons, qui ne lui coûte pas moins pour le
berger, que ce que coûteroit un plus grand troupeau
qui produiroit un plus grand profit. Un petit emploi
& un-grand emploi exigent donc, à bien des égards,
des dépenfes qui ne font pas de part & d’autre dans
la même proportion avec le gain. Ainfi les riches laboureurs
qui occupent plufieurs charrues, cultivent
beaucoup plus avantageufement pour eux & pour
l ’état, que ceux qui font bornés à une feule charrue ;
car il y a épargne d’hommes, moins de dépenfe, &
un plus grand produit : or les frais & les travaux des
hommes ne font profitables à l’état, qu’autant que
leurs produits renouvellent & augmentent les. richefles
de la nation. Les terres ne doivent pas nourrir
feulement ceux qui les cultivent, elles doivent
fournir à l’état la plus grande partie des fubfides,
produire des dixmes au clergé, des revenus aux
propriétaires, des profits aux fermiers, des gains à
ceux qu’ils employent à la culture. Les revenus du
ro i, du clergé, des propriétaires, les gains du fermier
& de ceux qu’il employé, tournent en dépenfes
, qui fe diftribuent à tous les autres états & à toutes
les autres profeflions. Un auteur * a reconnu ces
vérités fondamentales lorfqu’il dit: « que l’affembla-
» ge de plufieurs riches propriétaires de terres qui ré-
» fident dans un même lieu, fuffit pour former ce
,, qu’on appelle une v ille, où les marchands, les fabri-
'» quans , les artifans, les ouvriers, les domeftiques
- » fe raffemblent, à proportion des revenus que les
» propriétaires y dépenfent : auquel cas la grandeur
» d’une ville eft naturellement proportionnée au
» nombre des propriétaires des terres, ou plutôt au
» produit des terres qui leur appartiennent. Une ville
» capitale fe forme de la même maniéré qu’une ville
» de province ; avec cette différence que les gros
» propriétaires de tout Fétat réfident dans la capi-
» taie.
Les terres cultivéés en détail par de petits fermiers
, exigent plus d’hommes & de dépenfes, & les
profits font beaucoup plus bornés. Or les hommes
& les dépenfes ne doivent pas être prodigués à des
travaux qui feroient plus profitables à l’etat, s’ils
étoient exécutés avec moins d’hommes & moins de
frais. Ce mauvais emploi des hommes pour la culture
des terres feroit préjudiciable., même dans un
royaume fort peuplé ; car plus il eft peuple, plus il
eft néceflaire de tirer un grand produit de la terre :
mais il feroit encore plus defavantageux dans un
royaume qui ne feroit pas affez peuplé ; car alors il
* Cantillon, cfai furie Commerce» chap. v. vj%r ,
aux trâvaux les plus néceflaires & les plus profitables
à la nation. Les avantages de l’Agriculture dépendent
donc beaucoup de la réunion des terres en
groffes-fermes, mifes dans la meilleure valeur par
de riches fermiers.
La culture qui ne s’exécute que par le travail des
hommes, eft celle de la vigne; elle pourroit occuper
un plus grand nombre d’hommes en F rance, fi
on favorifoit la vente des vins, & fi la population
augmentoit. Cette culture & le commerce des vins
& des eaux-de-vie font trop gênés ; c’eft cependant
un objet qui ne mérite pas moins d’attention que la
culture des grains.
Nous n’envifageons pas ici le riche fermier comme
un ouvrier qui laboure lui - même la terre ; c’eft
un entrepreneur qui gouverne & qui fait valoir fon
entreprife par fon intelligence & par fes richefles..
L ’agriculture conduite par de riches cultivateurs eft
une profeflïon très-honnête & très-lucrative , refer-
vée à des hommes libres en état de faire les avances
des frais confidérables qu’exige la culture de la terre,
& qui occupe les payfans & leur procure toû*
jours un gain convenable & affûré. Voilà, félon l’idée
de M. de Sully, les vrais fermiers ou,les vrais
financiers qu’on doit établir & foùtenir dans un royaume
qui poffede un grand territoire ; car c’éft de leurs
richefles que doit naître la fubfiftance de la nation ,
l’aifance publique, les revenus du fouverain, ceux
des propriétaires, du clergé, une grande dépenfe di-
ftribuée à toutes les profeflions, une nombreufe po-,
pulation, la force & la pro/périté de l’état.
Ce font les grands revenus qui procurent les grandes
dépenfes ; ce font les grandes dépenfes qui augmentent
la population, parce qu’elles étendent le
commerce & les travaux, & qu’elles procurent des
gains à un grand nombre d’hommes. Ceux qui n’en-
vifagent les avantages d’une grande population que
pour entretenir de grandes armées, jugent mal de la
force d’un état. Les militaires n’eftiment les hommes
qu’autant qu’ils font propres à faire des foldats ; mais
l ’homme d’état regrette les hommes deftinés à la
guerre, comme un propriétaire règrette la terre employée
à former le foffé qui eft néceflaire pour con-
lèrver le champ. Les grandes armées l’épuifent ; une
grande population & de grandes richefles le rendent
redoutable. Les avantages les plus effentiels qui ré-
fultent d’une grande population, font les productions
& la confommation, qui augmentent ou font
mouvoir les richefles pécuniaires du royaume. Plus
une nation qui a un bon territoire & un commerce
facile,eft peuplée, plus elle’eft riche; & plus elle eft
riche, plus elle eft puiffante. II n’y a peut - être pas
moins aujourd’hui de richefles pécuniaires dans le
royaume, que dans le fiecle paffé : mais pour juger,
de l’état de ces richefles, il ne faut pas les confidé-
rer Amplement par rapport à leur quantité, mais aufli
par rapport à leur circulation relative à la quantité,
au débit & au bon prix des productions du royaume.
Cent feptiers de blé à 20 liv. le feptier, font primitivement
une richefle pécuniaire quatre fois aufli grande
que 5.0 feptiers à 10 livres le feptier : ainfi la quantité
des richefles exifte aufli réellement dans la valeur
des productions, que dans lés efpeces d’or &
d’argent, fur-tout quand le commerce avec l’étranger
affüre le prix & le débit de cés productions. .
Les revenus font le produit des terres & des hommes.
Sans le travail deshommes, les terres n’ont aucune
valeur. Les biens primitifs d’un-grand état font les
hommes, les terres & les beftiaux. Sans les produits
de l’agriculture, une nation ne peut avoir d’autre
reffourée que la fabrication & le commerce de trafic
; mais l’une & l’autre ne peuvent fé foùtenir que
par les .richefles de l’étranger : d’ailleurs.de telles ref