'GRAILLE, voyez Corneille.
* GRAIN, (d/ww».) il s’eft dit d’abord des petits
corps ou fruits que les arbres & les plantes produi-
fent ; qui leur fervent de femences, ou qui les contiennent.
Ainfi on dit un grain de raijin, un grain de
-bléf d ’orge , d’avoine, de feigle. On a étendu cette
dénomination à d’autres petits corps, à des frag-
mens, -à des configurations ; & on a dit un grain d’or
pour une petite portion d’or: la molécule différé du
grain, en ce qu’elle eft plus petite ; il faut plufieurs
molécules réunies pour faire un grain. On a dit le
grain de l’acier, pour ces inégalités qui offrent à la
frafture d’un morceau d’acier l’image d’une cryftal-
lifation régulière, fur-tout fi le refroidiffement n’a
pas été fubit ; car le refroidiffement précipité gâte
cette apparence, de même que l’évaporation hâtée
altéré la régularité des cryftaux: un grain de chapelet
, pour un petit corps rond de verre, d’ivoire, de
bois, ou d’autre matière, percé de part en part d’un
trou qui fert à l’enfiler avec un certain nombre d’autres,
à l’aide defquels celui qui s’en fert fait le compte
exaft des pater & des ave qu’il récite : les grains,
pour la colleftion générale des fromentacés qui
fervent à la nourriture de l’homme & des animaux ;
les gros grains font ceux qui fervent à la nourriture
de l’homme ; les menus, ceux qui fervent à la nourriture
des animaux: un grain de métal, pour un petit
globule rond de métal qu’on obtient dans la réduction
d’une petite portion de mine ou de chaux
métallique, & qu’on trouve à la pointe d’une des
matières qui ont fervi de flux ou de fondant : un
grain de vérole, pour une puftule confidérée fépa-
rément ; il fe dit & de la puftule & de la tache
qu’elle laiffe communément. Grain a encore d’autres
acceptions ; c ’eft un poids, une monnoie, &c.
Voye^ les articles fuiv an s , mais fur-tout l’article
Grains {Economie p o liû q .), oit ce terme eft confi-
déré félon fon objet le plus important.
Grains , (Economie polit.) Les principaux objets
du Commerce en France, font les grains, les vins &
eaux-de-vie, le fel,le$ chanvres & les lins, les laines,
& les autres produits que fourniffent les bef-
tiaux : les manufactures des toiles & des étoffes communes
peuvent augmenter beaucoup la valeur des
chanvres, des lins, & des laines, & procurer la fub-
fiftance à beaucoup d’hommes qui feroient occupés
à des travaux fi avantageux. Mais on apperçoit
aujourd hui que la production & le commerce
de la plûpart de ces denrées font prefque anéantis
en France. Depuis long-tems les manufactures de
luxe ont féduit la nation ; nous n’avons ni la foie ni
les laines convenables pour fabriquer les belles étoffes
& les draps fins ; nous nous fommes livrés à une
induftrie qui nous étoit étrangère ; & on y a employé
une multitude d’hommes, dans le tems que le royaume
fe dépeuploit & que les campagnes devenoient
defertes. On a fait baiffer le prix de nos blés, afin
que la fabrication & la main-d’oeuvre fuffent moins
cheresque chez l’étranger : les hommes & les richef-
fes fe font accumulés dans les villes ; l’Agriculture
la plus féconde & la plus noble partie de notre commerce
, la fource des revenus du royaume, n’a pas
été envifagée comme le fond primitif de nosrichef-
fes ; elle n’a paru intéreffer que le fermier & le pay-
fan : on a borne leurs travaux à la fubfiftance de la
nation , qui par l’achat des denrées paye les dépen-
fes de la culture ; & on a crû que c’étoit un commerce
ou un trafic établi fur l’induftrie , qui devoit
apporter l’or & l’argent dans le royaume. On a défendu
de planter des vignes ; on a recommandé la
culture des mûriers; on a arrêté le débit des productions
de 1 Agriculture & diminué le revenu des terres
pour favorifer des manufa&ures préjudiciables à notre
propre commerce.
La France peut produire abondamment toutes les
matières de premier befoin ; elle ne peut acheter de
l’étranger que des marchandifes de luxe : le trafic mutuel
entre les nations eft néceffaire pour entretenir le
Commerce. Mais nous nous fommes principalement
attaches à la fabrication & au commerce des denrées
que nous pouvions tirer de l’étranger ; & par un commerce
de concurrence trop recherché, nous avons
voulu nuire à nos voifins, & les priver du profit qu’ils
retireroient de nous par la vente de leurs marchandifes.
Par cette politique nous avons éteint entre eu x&
nous un commerce réciproque qui étoit pleinement
à notre avantage ; ils ont interdit chez eux l’entrée
de nos denrées, & nous achetons d’eux par contrebande
& fort cher les matières que nous employons
dans nos manufactures. Pour gagner quelques millions
à fabriquer & à vendre de belles étoffes, nous
avons perdu des milliards fur le produit de nos terres
; & la nation parée de tiffus d’or & d’argent, a
crû joiiir d’un commerce floriffant.
Ces manufactures nous ont plongés dans un luxe
defordonné qui s’eft un peu étendu parmi les autres
nations, & qui a excite leur émulation : nous les
avons peut-etre furpaffées par notre induftrie ; mais
cet avantage a été principalement foûtenu par notre
propre confommation.
La confommation qui fe fait par les fujets eft la
fource des revenus du fouverain; & la vente du fu-
perflu à l’étranger augmente les richeffes des fujets.-
La profpérité de l’état dépend du concours de ces
deux avantages : mais la confommation entretenue
par le luxe eft trop bornée ; elle ne peut fe foûtenir
que par l’opulence ; les hommes peu favorifés de la
fortune ne peuvent s’y livrer qu’à leur préjudice &:
au defavantage de l’état.
Le miniftere plus éclairé fait que la confommation
qui peut procurer de grands revenus au fouverain
, & qui fait le bonheur de fes fujets, eft cette
confommation générale qui fatisfait aux befoins de
la vie. Il n’y a que l’indigence qui puiffe nous réduire
à boire de l’eau , à manger de mauvais pain, & à
nous couvrir de haillons ; tous les hommes tendent
par leurs travaux à fe procurer de bons alimens
de bons vêtemens : on ne peut trop favorifer leurs
efforts ; car ce font les revenus du royaume, les gains
& les dépenfes du peuple qui font la richeffe du fouverain.
Le détail dans lequel nous allons entrer fur lesre-'
venus que peuvent procurer d’abondantes récoltes
de grains, & fur là liberté dans le commerce de cette
denrée, prouvera fuffifamment combien la production
des matières de premier befoin , leur débit &
leur confommation intéreffent tous les différens états
du royaume, & fera juger de ce que l’on doit aujourd’hui
attendre des vûes du gouvernement fur le
rétabliffement de l’Agriculture.
Nous avons déjà examiné l’état de l’Agriculture en
France, les deux fortes de culture qui y font en ufa-
g e , la grande culture ou celle qui fe fait avec les
chevaux, & la petite culture ou celle qui fe fait
avec les boeufs, la différence des produits que donnent
ces deux fortes de culture, les caufes de la dégradation
de notre agriculture, & les moyens de la
rétablir. Voye^ Fermiers , (.Economie politiq.)
Nous avons vû que l’on cultive environ 36 millions
d’arpens de terre, & que nos récoltes nous
donnent, année commune, à-peu-près 45 millions de
feptiers de blé ; favoir 11 millions produits par la
grande culture , & 34 millions par la petite culture
(a ) . Nous allons examiner le revenu que 45 mil-
(a) Si les cultivateurs étoient affez riches pour traiter les
36 millions darpens par la grande culture > conformément
aux fix millions qui font traités a&uellement par cotte culture,»
H®
lions de feptiers de blé peuvent procurer a*u Roi, conformément
aux deux fortes de culture qui les produis
fient: nous examinerons aufli ce qu’on en retire pour
la dixme, pour le loyer des terres, & pour le gain
du cultivateur; nous comparerons enfuite ,ces revenus
avec ceux que produiroit le rétabliffement parfait
de notre agriculture, l’exportation étant permi-
fie ; car fans cette condition, nos récoltes qui ne
font deftinées qu’à la confommation du royaume,
ne peuvent pas augmenter, parce que fi elles étoient
plus abondantes, elles feroient tomber le blé en non-
valeur ; les cultivateurs ne pourroient pas en foûtenir
la culture, les terres ne produiroient rien au Roi
ni aux propriétaires. Il faudrait donc éviter l’abondance
du blé dans un royaume où l’on n’en devroit
recueillir que pour la fubfiftance de la nation. Mais
dans ce cas, les difettes font inévitables, parce que
quand la récolte donne du blé pour trois ou quatre
mois de plus que la confommation de l’année,
il eft à fi bas prix que ce fuperflu ruine le laboureur,
& néanmoins il ne fuffit pas pour la confommation
de l’année fuivante, s’il furvient une mauvaife récolte
: ainfi il n’y a que la facilité du débit à bon
prix , qui puiffe maintenir l’abondance & le profit.
Etat de la grande culture des grains. La grande culture
eft aftuellement bôrnéè environ à fix millions
d’arpens de terre, qui" comprennent principalement
les provinces de Normandie, de la Beauce,de l’Ifle-
de-France, de la Picardie, de la Flandre françoife,
la récolte annuelle feroit environ de 6 6 millions de feptiers,
au lieu de 44 millions, comme on va le prouver par l’examen
de l’état aétuel de la grande culture.
du Hainauît, & peu d’autres. Un arpent de bonne
terre bien traité par la grande culture, peut produire
8 feptiers & davantage, mefure de Paris, qui eft
240 livres pefant ; mais toutes les terres traitées paf
cette culture, ne font pas également fertiles ; car
cette culture eft plûtôt pratiquée par un relie d’ufa-
ge confervé dans certaines provinces, qu’à raifon de
la qualité des terres. D ’ailleurs une grande partie de
ces terres eft tenue par de pauvres fermiers hors d ’état
de les bien cultiver : c’eft pourquoi nous n’avons
évalué du fort au foible le produit de chaque arpent
dé terre qu’à cinq feptiers, femence prélëvée. Nous
fixons l’arpent à 100 perches, & la perche à 22 pies.
0
Les fix millions d’arpens de terre traités par cette
culture entretiennent tous les ans une foie de deux
millions d’arpens enfemencés en blé ; une foie de
deux millions d’arpens enfemencés en avoine & autres
grains de Mars ; & une foie de deux millions
d’arpens qui font en jachères, & que l’on prépare
à apporter du blé l’année fuivante.
Pour déterminer avec plus d’exaâitude le prix
commun du blé dans l’état aétuel de la grande culture
en France, lorfque l’exportation eft défendue,
il faut faire attention aux variations des produits
des récoltes & des prix du blé, félon que les années
font plus ou moins favorables à nos moiffons.
(b) C’eft un cinquième plus par arpent, que la mefure de
l'arpent donnée par M. de Vauban ; ainfi les récoltes doivent
produire, félon cette mefure , un cinquième de plus de grain
que cet auteur ne l’a eftimé par arpent.
A N N É E S , Septiers
par arpent.
Prix
du feptier.-
Total
par arpent.
Frais
par arpent.
Reste
par arpent.
Abondante.......................... 7 liv.
B onne.................................d
Moyenne. .- . .................. 5
F o ib le ................................ 4
Mauvaife............................. 3 ( 0
Total pour les cinq années (d) 25
10 liv.
12
g |
20
30
87
70 liv.
7 1
75
80
90
387
do liv.
«
10 liv.
12
»5
20
3 0
( B
Les 87 liv. total des cinq années, frais déduits,
divifées en cinq années, donnent par arpent 17 liv.
8 f. de produit net.
Ajoûtezà ces . . . .^..................
Les frais montant à .........................
Cela donnera par chaque arpent au
t o t a l .........................................................
17 liv. 8 f.
60
77 liv. 8 f.
Les cinq années donnent 25 feptiers, ce qui fait
cinq feptiers année commune. Ainfi pour favoir le
prix commun de chaque feptier, il faut divifer le total
ci-deffus par 5, ce qui établira le prix commun
dé chaque feptier 'de blé à 15 liv. 9 f.
Chaque arpent produit encore la dixme, qui d’ abord
a été prélevee fur la totalité de la récolte, &
qui n’eft point entrée dans ce calcul. Elle eft ordi-
( c) Le prix commun réglé, comme on fait ordinairement,
fur les prix différens des années, fans égard aux frais, & au
plus ou moins de récolte chaque année, n eft un prix commun
que pour les acheteurs qui achètent pour leur fubfiftance la
même quantité de blé chaque année. Ce prix eft ici le cinquième
de 87 liv. qui eft 17 liv. 8 f. C’eft a-peu-pres le prix
commun de la vente de nos blés à Paris depuis long-tems ;
mais le prix commun pour les fermiers, qui font les vendeurs,
n'eft qu’enviFon 1 j liv. 9 fois, à caufe de l’inégalité des ré-
Cd) On ne parle point ici des années ftériles, parce qu’elles
font fort rares, & que d’ailleurs on ne peut déterminer le
prix qu’elles donnent aux blés.
(e) Voycç le détail de ces frais, aux articles Fermiers 6 -
Fermbs.
nairement le treizième en-dedans de toute la récolte
ou le douzième en-dehors. Ainfi, pour avoir le produit
en entier de chaque arpent, il faut ajoûter à
77 liv. 8 f. le produit de la dixme, qui fe prend fur
le total de la récolte, femence comprife. La femence
évaluée en argent eft 10 liv. d f. qui avec 77 liv.
8 f. font 87 liv. 14 f. dont -A pris en-dehors pour la
dixme, eft 7 livres. Ainfi avec la dixme le produit
total, femence déduite, eft 84 liv. 16 f.
Ces 84 liv. 16 f. fe partagent ainfi:
Pour la dixme . . . . 7 liv. ?
Pour les frais . . . . do > 84 liv. 8 f.
Pour le produit n et. . 17 8
La culture de chaque arpent qui produit la récolte
en blé, eft de deux années. Ainfi le fermier
paye deux années de fermage fur les 17 liv. 8 f. du
produit net de cette récolte ; il doit aufli payer la
taille fur cette même fomme, & y trouver un gain
pour fubfifter.
Elle doit donc être diftribuée à-peu-près ainfi :
Pour le propriétaire f ou 10 7 7 /
Pour la taille . . . . f ou 3 9 d > 17 8
Pour le fermier . . . f ou 3 9 6 (ƒ )
( ƒ) Nous ne nous réglons pas ici fur l’impofitiôn réelle de
la taille ; nous fuppofons une impofition qui laiffe quelque profit
au fermier, & un revenu au propriétaire, qui loûtienne un
peu les richeffes de la nation & l’entretien des terres..