appeller la portée d'une arme a feu y il faut confiderer
i° . la ligne droite par laquelle on voit l’objet vers
lequel on veut porter la balle ou boulet, laquelle
s’appelle ligne demire > z°. une autre ligne droite, qui
repréfente l’axe qu’on peut fuppofer au calibre ou
cylindre de l’arme, & que j’appellerai ligne de tire ;
30. la ligne que décrit le globe qui eft lancé par la
poudre hors le calibre de l’arme, vers le but qu’on
fe propofe de frapper.
F u s il à portée de but en blanc. Si la ligne <le
tire fe trouvoit parallèle avec la ligne de mire, jamais
la balle ou boulet ne pourroit arriver qu’au-
deflous du but ; car à chaque inftant après fa fortie,
la balle ou boulet s’éloigne de la ligne de tire, &
tend à fe rapprocher vers la terre ; aulîi la ligne de
mire & la ligne de tire, font-elles fécantes entre elles
dans toutes les armes à feu , & la ligne courbe que
décrit le boulet coupe d’abord la ligne de mire, s’élève
au-deflùs, & redefcend enfuite la recouper : le
point où la ligne courbe que décrit le boulet, recoupe
la ligne de mire, eft la portée de l’arme à feu , le
but en blanc. Ce point eft plus ou moins éloigné , à
proportion de l’amplitude de l’angle que forment
entre elles la ligne de mire & la ligne de tire & en
raifon de la force qui chaffe le boulet, de fa maffe,
de fon volume, de fa denfité, &c de celle du milieu
qu’il travérfe, & de la longueur du calibre.
Soit fuppofé le canon d’un fufil épais de quatre
lignes à fa culaffe, d’une ligne à fa bouche, qu’il ait
quatre pies de long, que le calibre foit de fix lignes,
la ligne de tire & celle de mire fe couperont à quatre
pies au-delà de la bouche du fufil, & l’angle que
les lignes de mire & de tire fermeront en fe rencontrant
, fera de od , io ou 1 5 '; la balle montera au-
deflùs de la ligne de mire, formant à bien peu de
chofe près, le même angle ; donc à douze piés au-
delà de la bouche du canon , elle fera fept lignes environ
au-deflùs de la ligne de mire. Pour calculer
à quel endroit on doit trouver le point du but en
blanc, il faut d’abord faire abftraâion de la force
d’inertie, centripète, ou pefanteur de la balle ou
boulet, & calculer l’élévation que prend la ligne de
tire au-deflùs du point vers lequel on v ile , eu égard
au plus ou moins d’éloignement de ce but, eftimer
la vîteffe à parcourir l’étendue fuppofée, & diminuer
fur l’élévation reconnue l’attrait occafionné
' par fa maffe , &c ce par les calculs des maffes &c des
vîteffes, &c.
Soit fuppofé, que pour parcourir cent toifes le
globe foit o' x " x " ‘ , &c. que la ligne de mire ( fui-
vant l’angle que nous avons fuppofé od, 10 ou 1 f ) ,
foit à ce but éloigné de 6 0 0 lignes, égales à 50 pouces
ou 4 piés z pouces. Si l’épreuve d’accord avec
le calcul, fait voir que le globe frappe le but vifé
à cefdites 100 toifes, il faudra en conclure qu’à 60
toifes environ, par exemple, la balle étoit élevée au-
deflùs de la ligne de mire d’environ z piés, ce qui
a été fa plus grande élévation : qu’il s’enfuit donc
que s’il s’étoit trouvé à ces 60 toifes un corps élevé
à deux piés, ou quelque chofe de moins, au-deflùs
rie la ligne de mire, ce corps eût été frappé par la
balle, quoique le coup ait été bien vifé au but : on
auroit dit à cela fans réfléchir : défi que le coup relevé
; mots vuides de fens. J’avoue qu’il y a beaucoup
d’expériences à faire, pour établir théoriquement
la portée des armes à feu ; j’en propoferai ci-
après quelques-unes pour la pratique ; on ne fait jufqu’à
préfent que l’eftimer à-peu-près, & l’on tombe
quelquefois dans des défauts que l’on n’imagine pas,
faute de connoître non-feulement le point de per-
fettion, mais même ce que peut indiquer la théorie
connue : par exemple on recommande fouvent aux
troupes de vifer vers le milieu du corps de l’ennemi ;
on leur preferit même de tirer bas, & plutôt plus que
moins. Certainement rien n’eft moins une loi générale
que ce prétendu axiome, fi ( fuivant la fuppo-
fition faite ci-deffus ) à 100 toifes l’on frappe un but
à l’endroit v ifé , quatre piés au-deflùs de l’horifon ,
à 60 toifes on paffera 6 piés au-deflùs de l’horifon ,
& l’on ne frapperoit pas un but M , N , qui feroit à
cette diftance, quand il auroit 5 piés 10 pouces de
hauteur depuis le niveau de l’horifon ; fi à 100 toifes
l’on a vifé précifément au pié du but i/ , B , l’on
n’arrivera qu’à ce point ; & fi le but eût été de quelques
pas plus éloigné, on ne l’auroit pas frappé.
Si à 60 pas, l’on a vifé deux piés plus bas que le
pié du but O K y c’eft-à-dire deux pies plus bas que
la ligne horifontale fur laquelle le but feroit planté ,
on n’atteindra pas encore ce but. 11 s’enfuit donc
qu’on ne peut jamais avec un fufil atteindre au but
quelconque , quand on vife deux piés plus bas que
l’extrémité inferieure du but, à quelque éloignement
qu’il foit ; que fi l’on vife au pié du bu t, on ne peut
le frapper que depuis ledit pié ou bafe, jufqu’à une
élévation de deux piés ; fi dans cette diftance de
100 toifes un but a d’élévation trois fois deux piés,
on le frappera dans la dimenfion du milieu, fi l’on
vife à deux piés au-deflùs de fa bafe ; & s’il eft à
60 toifes, on le frappera dans la dimenfion fupé-
rieure ; mais fi le but eft plus éloigné de 100 toiles ,
il faut vifer plus haut que lu i, pour le frapper dans
la dimenfion du milieu, & de plus en plus s’élever,
fuivant que le but feroit plus éloigné.
Je viens d’expliquer que ce qui raifoit qu’une balle
ou boulet arrive au but que l’on veut attraper, c’efl:
certainement à caufe qu’on l’a dirigé vers un autre
endroit ; car fans s’en appercevoir, on tire avec un
fufil ou canon vers un but, comme les Archers ou
Arbalétriers tirent vers celui où ils veulent faire arriver
leurs fléchés. Il eft démontré que la ligne par
laquelle un coup peut être lancé le plus loin pofli-
b le , eft la parabole qui formeroit à fes extrémités
un angle de 45 degrés avec l’horifon , abftraûioa
faite de l’effet de la pefanteur du coup lancé. C ’eft
parce qu’ils approchoient davantage de cette pro-
je&ion, que les Perles de Xenophon lançoient leurs
fléchés, qui portoient plus loin que celles de tous
les Grecs, excepté des Archers de Candie. Voye^
R e t r a it e d e s d ix m il l e . Les carabines pour-
roient bien n’avoir une plus longue portée que par
la même raifon ( leurs balles trouvant peut - etre
plus de difficulté à vaincre le milieu qu’elles traversent
par la perte qu’elles font de leur forme fphéri-
que ) ; & les gifpes du maréchal de Puifegur ( voye^
page j o i n - f . ) , dont il fouhaiteroit que plufieurs
foldats par compagnies fuffent armés, ne font encore
autre chofe que des armes renforcées par la
culaffe , & dont par conféquent les lignes de mire
& de tire formantes un angle plus ouvert, donnent
une portée plus longue que les armes ordinaires. Ce
n’eft point pour donner aucun blâme à ce grand maître
que j’oie le citer ic i, mais pour faire remarquer
aux Militaires l’avantage confidérable que peuvent
leur procurer les premières notions des Mathématiques,
dans les moindres comme dans les plus grandes
parties de leur art. J’obferverai encore que les plus
habiles tireurs au blanc ne peuvent le plus fouvent
tuer une piece de gibier à la chaffe, & les chaffeurs
: qui tuent à tout coup, ne tirent jamais, en ayant
parfaitement le gibier fur la ligne de mire de leurs
fufils ; non-feulement ils tirent à l’endroit où fera la
piece de gibier lorfque leur coup y arrivera, mais
ils vifent plus au-deffous ou au-deflùs, fuivant l’éloignement
du but qu’ils veulent frapper.
F u s i l . Sa portée poffible. Pour reconnoître la
plus grande portée poffible d’une balle ou boulet,
il faut déterminer les différentes portées, fuivant
l’élévation que l’on peut donner à la ligne de tire 3
il faut c o n n o ître le s lo is d e la p r o je û io n d e s co rp s ;
la p lu s lo n g u e e ft p a r l ’an g le d e 4 5 d e g r é s , & l’a n g
le d e 15 deg ré s d o n n e u n e p ro je& io n de m o itié
m o in s d ’é te n d u e . Vyyeç P r o j e c t io n .
Il doit y avoir une compenfation en progreffion,
depuis la plus grande portée jufqu’à la plus courte,
relativement à la longueur du calibre qui dirige la
balle ou boulet dans l’une ou l ’autre proje&ion. Les
expériences bien faites ne l’ont été qu’avec des
bombes ou des jets d’eau, ou l’équivalent ; & le calibre
plus ou moins long dans ces deux cas, n’a pas
dû faire une différence fenfible, ni des frottemens à
beaucoup près auffi grands que ceux qui fe rencontrent
par l’effet du calibre du fufil.-
Il faut obferver que les différens calibres des armes
ne font pas enfemble en même raifon de leur
diamètre à leur longueur : en général dans l’ufage des
armes à feu , plus le diamètre eft petit, plus le cylindre
ou calibre eft long en proportion ; plus le calibre
ou cylindre eft petit, plus les défauts en font
confidérables proportionnellement ; plus le calibre
a de longueur, plus il tend à donner une direfrion
droite ; plus le calibre eft petit, plus il y a de différence
entre le diamètre du boulet & le fien ; plus il
y a de différence entre le boulet & fon calibre, plus
les ondulations du boulet dans ce calibre peuvent
l’éloigner du but vers lequel il eft dirigé.
Seroit-il vrai que tout globe d’une denfité capable
de réfifter à la force qui le chaffe , dirigé par un
calibre ou cylindre en proportion femblable relativement
à fon volume, pouffé par une poudre d’une
force proportionnelle à fa maffe, lancé dans la même
proje&ion , parcourroit des diftances égales, &
peut-être même dans des tems égaux, & décrira la
même courbe? Les preuves pour ou contre ne peuvent
être aifément éclaircies ; il eft difficile de déterminer
exactement une force proportionnelle à la
maffe du boulet dans l’ufage de la poudre, non-feulement
parce que fa force augmente à-proportion de
la promptitude de fa dilatation, & que cette promptitude
dépend de fa qualité , de fon degré de ficci-
t é , de fa difpofition dans le calibre, du plus ou
moins de preffion de fes parties , & de la réfiftance
de la balle, mais encore par la difficulté dont il eft
de connoître la quantité de poudre qui s’enflamme
affez tôt pour donner au boulet toute l’impulfion
qu’il-acquiert, avant de quitter tel calibre qu’il parcourt.
La théorie peut faire reconnoître que pour que la
charge d’un fufil f ît tout l’effet que fa dilatation peut
produire, il faudroit que la longueur du canon d’un
fufil fut de 90 piés ; mais l’expérience a prouvé que
la balle chaffée par la même charge dans un fufil de
quatre piés de canon, peut aller à deux mille cent
loixante toifes : il s’enfuivroit donc , qu’avec cette
longueur fuppofée de 90 piés, la balle feroit portée
à 48600 toifes ; ce qu’il n’eft pas poffible d’expérimenter
, car on ne fera pas un canon àe fufil de 90
piéS. Ml 1
Si d’un côté la théorie prouve que la meilleure longueur
d’un fu fil, pour chaffer le plus loin poffible la
balle, eft de 90 piés ; que de l’autre , l’expérience
prouve que par une longueur de quatre pies de canon,
on chaffe la balle à z i6 o toifes: il doit donc
s’enfuivre, que chaque pouce de longueur de plus
ou de moins au canon, doit donner 45 toifes de plus
ou de moins de portée, & que le piftolet, qui eft
de 14 pouces de canon, auroit 630 toifes de portée:
mais des expériences faites avec des canons, des
coulevrines, & autres armes à feu , oht prouvé que
ces trois armes portent leurs globes à-peu-près à même
diftance entre zooo & z<joo toifes : donc on doit
conclure qu’il n’y a pas une proportion en progref-
iion connue, entre la force qui chaffe les balles ou
boulets, & la longueur des calibres qui les dirigent.
Il faut obferver que la proportion entre la longueur
du canon de Z4, & fon boulet, eft à-peu-près la même
que celle entre un petit piftolet de poche fort
court, & fa balle, c’eft-à-dire entre dix & douze
fois le diamètre refpefrif de leur calibre. Quand on
a fait des expériences pour conftater quelle étoit la
longueur de calibre la plus avantageufe à un canon,
on a été occupé principalement de voir la différence
que fes différentes dimenfionspourroientoccafionner
dans l’effet du boulet, lorfqu’il frappe le but : pour cela
, on a tiré d’abord avec le calibre qu’on avoit fait
le plus long poffible ; enfuite on l’a racourci à plufieurs
repriles, en feiant à chaque fois l’extrémité.Le
réfultat pour la force a été établi, mais celui pour
la portée ne l’a point été : vraiffemblablement ,
pour la portée du but en blanc, il auroit dû être, à
bien peu de chofe près, le même : mais pour la plus
longue portée poffible, le réfultat auroit dû être différent
à chaque fois, & relatif à celui de la force du
choc, & par les mêmes raifons , une certaine longueur
donnant le tems à plus d’effet de la poudre,
qu’une moindre ; & l’étendue de la portée de but en
blanc, n’eft pas comparable à la plus longue portée
poffible. D ’ailleurs , les lignes de tire & de mire
étoient toûjours les mêmes dans les canons d’épreuv
e ; au lieu que dans les canons de différentes longueurs
, elles forment des angles plus ouverts, à-
proportion que les calibres font plus courts.
Pour déterminer quelle eft la courbe que décrit
la balle d’un fufil de munition, de la dimenfion fixée
par les ordonnances, & dont les troupes font ou fe*
roient armées ; il faudroit fixer un de ces fufils dans
la pofition horifontale qu’on choifira ; placer enfuite
fur la ligne de mire donnée plufieurs efpeces de
grands tamis placés verticalement entre 300 toifes à
diftance les uns des autres, & faire feu : la balle tirée
perceroit les toiles, crins, taffetas, ou papiers dont ces
tamis feroient faits ; & ces points-là reconnus déter-
mineroient la courbe qu’auroit décrit cette balle. Si
l’on ne vouloit que trouver feulement le point le
plus haut de cette courbe, on pourroit faire tirer défi
fous une voûte dont le faîte feroit de niveau, en plaçant
la ligne de mire parallèlement au-deffous de
cette voûte, à un pié, un pié & demi, ou deux piés;
& remarquant enfuite l’endroit où la balle ne feroit
qu’effleurer le deffous de ladite voûte.
Les épreuves exaftes de la plus longue portée
poffible, ne peuvent fe faire fans rifque que fur des
canaux glacés de deux à trois mille toiles de longueur
environ, & affez larges pour efpérer que la direction
de la balle ne fera pas trop détournée par les diver-
fes réfiftances qu’elle peut éprouver dans les cinq
à fix mille toifes d’atmofphere qu’elle parcourroit.
Des hommes placés à diftance l’un de l’autre, fous
des efpeces de guérites, le long des bords du canal,
remarqueroient où la balle tomberoit.
Toutes çes épreuves pourroient fe faire avec les
différens calibres, & dans diverfes dimenfions de cu-
laffes. Il eft à croire ‘que les expériences, en fixant
les idées fur les différentes portées des armes à feu ,
fourniroient les moyens d’en faire un ufage à-peu-
près femblable à celui que l’on fait des fléchés. La
pratique en feroit vraiffemblablement beaucoup plus
difficile à perfectionner ; parce qu’une balle n’étant
point vifible comme le peut être une fléché, & fa
portée étant beaucoup plus étendue, celui qui auroit
tiré ne pourroit pas reconnoître aifément quel
effet auroit fait fa balle : mais la théorie pourroit faire
tirer parti de cette connoiffance, pour faire porter
des balles à des éloignemens où l’on n’auroit pas
lieu d’en craindre fans cela.
Les militaires inftruits du réfultat de ces expériences
fur la partie du but en blanc & la plus longue