
& dépendante de conventions libres & muahles,'
& ne font d’ufage que chez les peuples qui lès ont
adoptés librement, fans perdre le droit de les changer
ou de les abandonner, quand il plaira à l’ufage
de les modifier ou de les profcrire. Les premiers
condiment la Grammaire génerale, les autres font
L’objet des diverfes Grammaires particulières.
La Grammaire générale eft donc la fcience raifon-
née des principes immuables & généraux de la parole
prononcée ou écrite dans toutes les langues.
Une Grammaire particuliere eft l’art d’appliquer aux
principes immuables & généraux de la parole prononcée
ou écrite, les inftitutions arbitraires &uluel-
les d’une langue particuliere.
La Grammaire générale eft unefcience , parce qu’elle
n’a pour objet que la fpéculation raifonnée des principes
immuables & généraux de la parole ; une Grammaire
particuliere eft un art, parce qu’elle envifage
l’application pratique des inftitutions arbitraires &
ufuelles d’une langue particuliere aux principes généraux
de la parole ( voyeç Art ). La fcience grammaticale
eft antérieure à toutes les langues, parce
que fes principes font d’une vérité éternelle, & qu’ils
ne fuppofent que la poflibilité des langues : l’art
grammatical au contraire eft poftérieur aux langues
, parce que les ufages des langues doivent exi-
fter avant qu’on les rapporte artificiellement aux
principes généraux. Malgré cette diftinûion de la
fcience grammaticale &c de l’art grammatical, nous
ne prétendons pas infinuer que l’on doive ou que
l’on puiffe même en féparer l’étude. L’art ne peut
donner aucune certitude à la pratique, s’il n’eft éclairé
& dirigé par les lumières de la fpéculation ; la
fcience ne peut donner aucune confiftance à la
théorie , fi elle n’obferve les ufages combinés & les
pratiques différentes, pour s’élever par degrés juf-
qu’à la généralifation des principes. Mais il n’en eft
pas moins raifonnable de diftinguer l’un de l’autre ,
d’affigner à l’un & à l’autre fon objet propre, de
preferire leurs bornes refpeélives, & de déterminer
leurs différences.
C ’eft pour les avoir confondues que le P. Buffier,
( Gramm.fr. n°. <). & fuiv.) regarde comme un abus
introduit par divers Grammairiens, de dire : Vufage
ejl en ce point oppofé à la Grammaire. *< Puifque la
» Grammaire, dit-il à ce fujet, n’eft que pour four-
» nir des regies ou des réflexions qui apprennent à
» parler comme on parle ; fi quelqu’une de ces re-
» gles ou de ces réflexions ne s’accorde pas à la ma-
» niere de parler comme on parle, il eft évident
» qu’elles font fauffes & doivent être changées ». Il
eft très-clair que notre Grammairien ne penfe ici
qu’à la Grammaire particuliere d’une langue, à celle
qui apprend à parler comme on parle, à celle enfin
que l ’on défigne par le nom d’ufage dans l’expreflion
cenfurée. Mais cet ufage a toujours un rapport né-
ceffaire aux lois immuables de la Grammaire générale
, & le P. Buffier en convient lui-même dans un
autre endroit. « Il fe trouve effentiellement dans
» toutes les langues, dit-il, ce que la Philofophie y
» confidere, en les regardant comme les exprefïïons
» naturelles de nos penfées : car comme la nature
» a mis un ordre néceffaire dans nos penfées, elle a
» mis, par une conféquence infaillible, un ordre né-
» ceffaire dans les langues ». C’eft en effet pour cela
que dans toutes on trouve les mêmes efpeces de
mots ; que ces mots y font affujettis à-peu-près aux
mêmes efpeces d’accidens ; que le difeours y eft fournis
à la triple fyntaxe, de concordance, de régime,
& de conftruétion, &c. Ne doit-il pas réfulfer de tout
ceci un corps de doôrine indépendant des dédiions
arbitraires de tous les ufages, & dont les principes
font des lois également univérfelles & immuables ?
Or c’eft à ces lois de la Grammaire générale, que
les ufages particuliers des langues peuvent fe conformer
ou ne pas fe conformer quant-à la lettre, quoi-
qu’effeftivement ils en fuivent toujours & néceffai-
rement l’efprit. Si l’on trouve donc que l’ufage d’une
langue autorife quelque pratique contraire à quelqu’un
de ces principes fondamentaux, on peut le dire
fans abus, ou plutôt il y auroit abus à ne pas le dire
nettement ; & rien n’eft moins abufif que le mot de
Cicéron (oral. n. 47.) Impetratum ejl à confuetudine ut
peccareJuavitatis causa liceret: c’eft à l’ufage qu’il attribue
les fautes dont il parle , impetratum ejl à confuetudine
; & conféquemment il reconnoît une réglé indépendante
de l’ufage & fupérieure à l’ufage ; c’eft la nature
même, dont les dédiions relatives à l’art de la parole
forment le corps de la fcience grammaticale.Con-
fultons de bonne foi ces décifions, & comparons-y
fans préjugé les pratiques ufuelles; nous ferons bientôt
en état d’apprécier l’opinion du P. Buffier. Les
idiotifmes fuffiroient pour la fapper jufqu’aux fonde-
mens, fi nous voulions nous permettre une digref-
fion que noûs avons condamnée ailleurs (yoyt{ G all
i c i sm e & Id io tism e) : mais il ne nous faut qu’un
exemple pour parvenir à notre but, & nous le prendrons
dans l’Ecriture. Que fignifient les plaintes que
nous entendons faire tous les jours fur les irrégularités
de notre alphabet, fur les emplois multipliés
de la même lettre pour repréfenter divers élémens
de la parole, fur l’abus contraire de donner à un même
élément plufieurs caraûeres différens, fur celui
de réunir plufieurs caraéleres pour repréfenter un
élément fimple, &c? C ’eft la comparaifon fecrete
des inftitutions ufuelles avec les principes naturels,
qui fait naître ces plaintes ; on v o it , quoi qu’on en
puifle dire, que l’ufage autorife de véritables fautes
contre les principes immuables diétés par la nature.
Eh ! comment pourroit-il fe faire que l’ufage des
langues s’accordât toûjours avec les vues générales
& fimples de la nature ? Cet ufage eft le produit du
concours fortuit de tant de circonftances quelquefois
très-difeordantes. La diverfité des climats ; la
conftitution politique des Etats ; les révolutions qui
en changent la face;, l’état des fciences, des arts,
du commerce ; laïeligion & le plus ou le moins d’attachement
qu’on y a ; les prétentions oppofées des
nations, des provinces, des v illes, des familles même
: tout cela contribue à faire envifager les chofes,
ici fpus un point de vue , là fous un autre, aujourd’hui
d’une façon, demain d’une maniéré toute différente
; & c’eft l’origine de la diverfité des génies des
langues. Les différens réfultats des combinaifons infinies
de ces circonftances, produifent la différence
prodigieufe que l’on trouve entre les mots des divef-
fes langues qui expriment la même idée, entre les
moyens qu’elles adoptent pour défigner les rapports
énonciatifs de ces mots, entre les tours de phrafe
qu’elles autorifent, entre les licences qu’elles fe permettent.
Cette influence du concours des circonftances
eft frappante, fi l’on prend des termes de
comparaifon très-éloignés, ou par les lieux, ou par
les tems, comme de l’orient à l’occident, ou du
régné de Charlemagne à celui de Louis le bien-aimé :
elle le fera moins, fi les points fontplus voifins, comme
d’Italie en France, ou du fiecle de François I. à
celui de Louis X IV : en un mot plus les termes comparés
fe rapprocheront, plus les différences parox-
tront diminuer; mais elles ne feront jamais totalement
anéanties : elles demeureront encore fenfibles
entre deux nations contiguës, entre deux provinces
limitrophes, entre deux villes voifines, entre deux
quartiers d’une même ville, entre deux familles d’un
même quartier : il y a plus, le même homme varie
fes façons de parler d’âge en âge, de jour en jour.
De là la diverfité des diàleôes d’une même langue,
fuite naturelle de l’égale liberté & de la différente
pofition des peuples & des Etats qui compofent une
même nation : de-là cette mobilité, cette fucceflion
de nuances, qui modifie perpétuellement les langues
, & les métamorphofe infenfiblement en d’autres
toutes différentes : c ’eft encore une des principales
caufes des difficultés qui peuvent fe trouver
dans l’étude des Grammaires particulières.
B • m n’eft plus aifé que de fe méprendre fur le
véri le ufage d’une langue. Si elle eft morte, on
ne p u que conjetturer ; on eft réduit à une portion
bornée de témoignages confignés dans les livres du
meilleur fiecle. Si elle eft vivante, la mobilité perpétuelle
de l’ufage empêche qu’on ne puiffe l’affigner
d’une maniéré fixe ; fes oracles n’ont qu’une vérité
momentanée. Dans 1 un & dans 1 autre cas, il ne
faut négliger aucune des reffources que le hafard
peut offrir, ou que l’art d’enfeigner peut fournir.
Le moyen le plus utile & le plus avoué par la
raifon & par l’expérience, c’eft de divifer l’objet
dont on traite en différens points capitaux, auxquels
on puiffe rapporter les différens principes & les diverfes
obfervations qui concernent cet objet. Chacun
de ces points capitaux peut être foudivifé en
des parties fubordonnées, qui ferviront à mettre de
l’ordre dans les matières relatives aux premiers chefs
de diftribution. Mais les membres de ces divifions
doivent effeâivement préfenter des parties différentes
de l’objet total, ou les différens points de vue
fous lefquels on fe propofe de l’enyifager ; il doit y
en avoir affez pour faire connoître tout l’objet, &
affez peu pour ne pas furcharger la mémoire, & ne
pas diftraire l’attention. Voici donc comment noiis ,
croyons devoir diftribuer la Grammaire, foit générale,
foit particulière.
La Grammaire confidere la parole dans deux états
différens, ou comme prononcée, ou comme écrite :
la parole écrite eft l’image, de la parole prononcée,
& celle-ci eft l’image de la penfée. Ces deux points
de vue peuvent donc être comme les deux principaux
points de réunion, auxquels on rapporte toutes
les obfervations grammaticales ; & toute la Grammaire
fe divife ainfi en deux parties générales, dont
la première qui traite de la pafole, peut être appel-
lée Orthologie; & la fécondé, qui traite de l’écriture
fe nomme Orthographe. La néceffité de caraüéri-
fer avec précifion les points faillans de notre fyftème
grammatical, & la liberté que l’ufage de notre langue
paroît avoir laiffée fur la formation des termes
techniques, nous ont détermines à en rifquer plufieurs,
que l’on trouvera dans le tableau que nous
allons préfenter de la diftribution de la Grammaire.
Nous ferons en forte qu’ils foient dans l’analogie des
termes didaâiques ufités, & qu’ils expriment exactement
toute l’étendue de l’objet que nous prétendons
leur faire défigner : à mefure qu’ils fe préfen-
teront, nous les expliquerons par leurs racines.
Ainfi le mot Orthologie a pour racines cp-^oV, reclus,
& Aoyo; ,fermo; ce qui fignifie maniéré de bien parler.
- De l 'Orthologie. Pour rendre la penfée fenfible par
la parole, ôn eft obligé d’employer plufieurs mots,
auxquels on attache les fens partiels que l’analyfe démêle
dans la penfée totale. C ’eft donc des mots qu’il
eft queftion dans la première partie de la Grammaire,
& on peut les y confidérer ou ifolés, ou raiTembles,
c’eft-à-dire, ou hors <Je l’élocution, ou dans l’enfemr
ble de l’élocution ; ce qui partage naturellement le
traité de la parole en deux parties, qui font la Lexicologie
& la Syntaxe. Le terme de Lexicologie fignifie
explication des mots; R. R. , vocabulum, ÔCXÔyos,
fermo. Ce mot a déjà été employé par M. l’abbé G irard,
mais dans un fens différent de celui que nous
lui affignons, & que lès racines mêmes paroiffent
indiquer. M. Duclps femble divifer comme nous l’objet
du traité de la parole ; il commence ainfi fes remarques
fur le dernier chap. de la Grammaire générale :
« La Grammaire de quelque langue que ce foit, a
» deux fondemens, le Vocabulaire &C la Syntaxe ».
Mais le Vocabulaire n’eft que le catalogue des mots
d’une langue, &c chaque langue a le lien ; au lieu
que ce que nous appelions Lexicologie, contient fur
cet objet des principes raifonnés communs à toutes
les langues.
I. L’office de la Lexicologie eft donc d’expliquer
tout ce qui concerne la connoiffance des mots; &
pour y procéder avec méthode, elle en confidere
le matériel, la valeur, du. l’étymologie.
i°. Le matériel des mots comprend leurs, élémens
& leur profodie.
Les fons & les articulations font les parties élémentaires
des mots, & les fyllabes qui réfultent de
leur combinaifon, en font les parties intégrantes &
immédiates. Voye{ S o n & Sy l l a b e .
. La Profodie fixe les décifions de l’ufage par rapport
à l’accent & à la quantité. L’accent eft la mefure
de l’élévation, comme la quantité eft la mefure
de la durée du fon dans chaque fyllabe. Voye^ Pros
o d i e , A c c e n t , & Q u a n t i t é .
Les mots ne confervent pas toûjours la forme matérielle
que l’ufage vulgaire leur a affignée primitivement
; fouvent il fe fait des changemens, ou dans
les parties élémentaires, ou dans les parties intégrantes
qui les compofent, fans que ces licences
avouées de l’ufage en altèrent la lignification : comme
dansles mots relligio, amajli, amarier, au lieu de
religioy amavifiiy amari. On donne communément le
nom dt figures aux divers changemens qui arrivent
à la forme matérielle des mots. Voye^au mot Fig u r e
l’article des figures de diétion qui regardent le ma?
tériel du mot.-
z°. La valeur des mots confifte dans la totalité des
idées que l’ufage a attachées à chaque mot. Les différentes
efpeces d’idées que les mots peuvent raffem-
bler dans leur lignification; donnent lieu à la Lexicologie
de diftinguer dans la valeur des mots trois fens
différens; le J'ens fondamental, le fensfpècifiquç, &
le fens accidentel.
Le fens fondamental eft celui qui réfulte de l’idée
fondamentale que l’ufage a attachée originairement
à la lignification de chaque mot : cette idée peut être
commune à plufieurs mots, qui n’ont pas pour cela
la même valeur, parce que l’efprit l’envifage dans
chacun d’eux fous des points de vue différens. Par
rapport à cette idée primitive, les mots peuvent être
pris ou dans le fens propre, ou dans le fens figuré.
Un mot eft dans le fens propre, Iorfqu’il eft employé
pour réveiller dans l ’efprit l’idée qu’on a eu intention
de lui faire lignifier primitivement ; & il eft dans
le fens figuré, lorfqu’il eft employé pour exciter dans
l’efprit une autre idée qui ne lui convient que par
fon analogie avec celle qui eft l’objet du fens propre.
On donne communément le nom de tropes aux
divers changemens de cette efpeçe, qui peuvent fe
faire dans le fens fondamental des mots. Voye^SENS
& T r o p e .
Le fens fpécifique eft celui qui réfulte de la différence
des points de vue, fous lefquels l’efprir peut
envifager l ’idée fondamentale, relativement à l’analyfe.
de la penfée. De-là les différentes efpeces de
mots, les noms, les pronoms, les. adjectifs, &c.
(yoyei Mot, Nom , Pronom , &c.) On trouve fou-
vent, des mots de la même efpeçe, qui femblent ex-
.primer la même idée fondamentale & le même point
de vûe analytique de l’efprit; on donne à ces mots
la qualification de fynonypits, pour faire entendre
qu’ils ont précisément la même lignification ; & pn
appelle fynonymie la.propriété qui les fait ainfi quali-
-fier. Nous examinerons ce qu’il y a de vrai & d’utile
fur eette matière aux articles Synonymes & Syn©.«
n y m i e ,