Liant : or comme c ’eft par l’agitation de l ’air, par le
renouvellement continuel de la partie de ce fluide
qui nous environne, que le froid eft le plus fenfible,
tout étant égal ; le .premier moyen que les hommes
nés nuds & laiffés à-peu-près fans défenfe à cet égard,
-ont trouvé de fe garantir un peu de cette impremon
defagréable, a été vraisemblablement de fe mettre
à couvert du vent derrière des arbres ou tout autre
corps, qui pouvoient être interpofés entre eux & le
courant d’air. On eut enfuite bien-tôt occafion de
découvrir quelque creux de rocher, quelque caverne
, où l’on pouvoit encore fe mettre plus aifement à
l’abri de toutes les injures de l’air ; mais on ne pou-
voit fou vent pas y relier autant qu’elles duroient ; il
falloir pafler d’un lieu à un autre pour pourvoir à les
befoins. On s’apperçut que la nature avoit donné aux
bêtes différens moyens attachés à leur individu, tels
que les poils, les plumes, dont le principalufage pa-
roiffoit être de couvrir la furface de leur corps, 8c
de la défendre des impreflions fâcheufes que pouvoient
leur caufer les corps ambians : envier cet
avantage 8c fentir que l’on pouvoit fe l’approprier,
ne furent prefqu’une même réflexion. En effet l’homme
ne tarda pas à fe procurer par art ce dont la nature
ne l’avoit fans doute laiffé dépourvu, que parce
qu’elle lui avoit donné d’ailleurs bien fupérieurement
à tous les animaux, l’intelligence néceflaire non feulement
pour fe défendre de toutes les incommodités
■ de la v ie , mais encore pour trouver tous les moyens
poffibles de fe la rendre agréable, & par eonféquent
celui de fe garantir du plus grand inconvénient de fa
nudité, en le couvrant contre le froid, & de la faire
fervir par le moyen d’un taft plus fin 8c plus étendu,
à des délices de differentes efpeces (que les animaux
ne font pas difpofés à goûter), dans bien des circon-
flances où il pouvoit defirer d’avoir la furface de fon
corps découverte 8c expofee au contaft d autres
corps propres à lui procurer des fenfations agréables
comme dans les chaleurs de l’é té, où il lui étoit
facile de fe dépouiller de tout ce qui pouvoit l’empêcher
de fentir la fraîcheur de l’air, lorfque l’occafion
s’en préfentoit ; il fe détermina donc bien tôt à facri
fier au befoin qu’il avoit de fe défendre du froid les
bêtes, auxquelles il crut voir les couvertures les plus
convenables qu’il pût convertir à fon ufage. 11 n’eut
pas à balancer pour le choix ; les animaux dont les
fourrures font les plus fournies, dûrent avoir tout-
de-fuite la préférence : c’eft-là vraiflemblablement
le premier motif qui a porté les hommes à égorger
des animaux ; ils pouvoient s’en pafler à l’égard de
la nourriture, les fruits pouvoient leur fuffire ; mais
il ne fe préfentoit rien d’auflî propre à les couvrir, &
qui demandât moins de préparation, que la peau garnie
de poil, dont la nature avoit couvert un grand
nombre d’animaux de differentes grandeurs. *
L ’art ajouta enfuite beaucoup à ce vêtement Ample
, pour le rendre plus commode ; il ne fer vit d’abord
qu’à envelopper le tronc ; on ne parvint pas
fi-tôt à trouver le moyen de couvrir les extrémités
féparément. Tout ce qu’on fe propofa d’abord en
cherchant à le perfectionner, fut d’en rendre l’application
plus intime fur les parties que l’on en cou-
v ro it , & d’empêcher qu’il ne reftât des ifliies à l’air
pour pénétrer jufqu’à la peau. On s’apperçut bientôt
que plus la fubftance du vêtement eft compacte
, plus elle garantit du froid: la chaleur du corps
animal fe répandant autour de lui, échauffe ce qui
l’environne jufqu’à une certaine diftance : ainfi l’air
ambiant participe à cette chaleur, d’autant plus qu’il
eft appliqué plus long-tems à ce corps chaud fans être
renouveîlé, & il lui rend de cette chaleur empruntée
à proportion de ce qu’il en a reçû. Mais comme
les corps en général retiennent 8c communiquent
plus de chaleur félon qu’ils font plus denfes, l’air
étant de tous les corps celui qui a le moins de den-
fité, ne peut donc retenir 8c communiquer que très-
peu de la chaleur qu’il a reçue de notre corps : c’eft
donc en fixant davantage cette chaleur exhalée hors
de nous, & en nous la rendant pour ainfi dire rever-
fible, que les vêtemens nous fervent d’autant plus
qu’ils font plus compares, & plus exaûement appliqués
à la furface de notre corps ; de maniéré qu’ils
empêchent le contaft de l’air, qui eft plus propre à
enlever de la chaleur animale, qu’à en rendre la dif-
fipation profitable, 8c qu’ils absorbent eux - mêmes
en bonne partie, ce qui s’échappe ainfi continuellement
de cette chaleur, pour la réfléchir fur le corps
qui l’a produite, pour contribuer par-là à empêcher
les effets du froid fur la furface du corps, & s’oppo-
fer au trop grand reflerrement des vaiffeaux capillaires
cutanés, à la trop grande condenfation des humeurs
qui y font contenues, d’où fuivroit la difpo-
fition contre nature, à laquelle eft attachée la fenfa-
tion du froid.
Ainfi c’eft par le moyen des habits que l’on con-
ferve la chaleur des parties qui en font couvertes ,
que l’on garantit ces parties des effets du froid externe;
c’eft aufli l’inconvénient de cette précaution qui
les rend plus fenfibles, tandis que le vifage, les
mains, ou toute autre partie qui eft expofée au con-
taô immédiat de l’air, peuvent être très -froides en
comparaifon de celles-là, fans qu’il en réfulte une
fenfation aufli defagréable, ab ajfuetis non fit pajfo«
Le plus fouvent les premières ne deviennent froides
que par la communication fympathique dont il a été
traité ci-devant, 8c non pas par l’impreflion immédiate
du froid externe, qui pénétré difficilement lorf-
qu’on eft bien v êtu, lorfque les habits font d’un tiffu
ferré 8c qu’ils enveloppent le corps bien exa&ement.
Ils rendent au corps la chaleur dont ils font imbus,
& qu’ils retiennent d’autant plus qu’ils y parti-;
cipent, qu’elle leur eft communiquée fans interruption,
à-mefure par eonféquent qu’elle s’engendre 8c
qu’elle fe diffipe. Ainfi le reflerrement caufé par le
froid n’eft jamais fi confidérable dans les parties couvertes
; il s’y engendre donc moins de chaleur animale
,à-proportion que dans celles où il y a plus d’effets
du froid, telles que le vifage, que l’on n’habille
jamais; celles-là confervent leur chaleur par le
moyen des corps chauds qui leur font continuellement
appliqués ; celles-ci en engendrent davantage,'
à-proportion qu’elles en perdent davantage; ou elles
fe refroidiffent lorfque le reflerrement des capillaires
y eft fi fort, qu’il empêche le mouvement des humeurs
, 8c par eonféquent la génération de la chaleur
animale; on peut encore dire à l’égard de l’effet
des habits, en tant qu’ils fervent à la conferver,’
qu’ils y contribuent peut-être aufli un peu par leur
poids, en ce qu’ils compriment la furface du corps,’
: & qu’en refferrant ainfi les vaiffeaux, ils favorifent
le frottement des humeurs contre leurs parois, auquel
eft attaché de reproduire la chaleur; il eft certain
que des couvertures pefantes contribuent autant
à défendre du froid, que des couvertures d’un
tiffu bien denfe ; mais celles-là produifent cet effet
d’une maniéré très-incommode.
Ce n’eft pas encore le tout d’être bien couvert,*
bien vêtu pour fe garantir du froid externe ; il faut
de plus, que comme on fe propofe par le moyen des
habits d’empêcher la diflipation immédiate de la chaleur
animale, l’on empêche aufli l’enlevement de
celle qui eft communiquée aux habits ou autres différentes
couvertures ; au-moins eft il befoin de s’op-
pofer par des moyens convenables à Ce qu’ils ne perdent
pas abfolument toute celle qu’ils reçoivent ; ce
qui arrive lorfque l’air ambiant fe renouvelle continuellement
par agitation ou par l’effet du vent; on
ne peut empêcher cette diflipation de la chaleur
fléchie des- vêtemens, qu’en fe tenant dans un lieu
bien fermé ; en rendant autant qu’il eft poffible l’air
comme immobile autour de foi par les paravents,
les rideaux, les alcôves, &c. ce qui procure alors
une atmofphere toujours chaude, parce qu’on réchauffe
foi-même, 8c que l’on fe fait de cette maniéré
, pour ainfi dire, un poîle naturel dont le foyer de
la chaleur animale eft lui-même le fourneau ; on fe
procure encore plusfûrement cette atmofphere chaude
par le moyen des poîles proprement dits ( hypo-
caufld), des chambres échauffées avec les différentes
matières combuftibles dont on forme 8c entretient le
feu domeftique ; il n’eft pas hors de propos d’obfer-
ver ici que cette chaleur artificielle ne doit jamais
être affez confidérable pour faire monter le thermomètre
au-deffus de 60 degrés du thermomètre de
Farenheit, parce qu’étant jointe à celle que nous engendrons
en tems froid, qui eft beaucoup plus confidérable
qu’en tems chaud, elle feroit exceflive, 8c
relâcheroit trop vîte l’habitude du corps ; d’ailleurs,
quoique la chaleur de l’été éleve fouvent fo thermomètre
bien au-deffus du terme qui vient d’être indiqué
pour les poîles, il y a cette différence, qu’on ne
refte pas en cette faifon dans un lieu ferme, dont 1 air
ne foit pas renouvellé ; c’ éft le renouvellement de
l’air auquel on s’expofe tant qu’on peut pendant les
chaleurs de l’été, qui contribue le plus à les rendre
fupportables, attendu que l’ air n’y participe jamais
à un degré fupérieur, 8c même égal à celui de la chaleur
animale dans ce teras-là; par eonféquent l’air
agité, le changement d’atmofphere propre ou du
fluide qui la forme, enlevent continuellement de
cette chaleur, qui n’eft pas alors bien plus confide-
rable que celle de l’atmofphere en général , parce
qu’il s’en engendre d’autant moins en nous, comme
il a été établi dans l’article précédent, que l’air eft
plus échauffé & communique davantage de fa chaleur
à notre corps.
Tous les moyens que nous employons pour nous
garantir ou pour nous délivrer des effets du froid externe
, tendent donc tous à opérer les mêmes chan-
gemens en nous 8c autour de nous, qui fe font par
le paffage de l’hy ver à l’été ; nous échauffons l’air
qui nous environne, les corps qui nous enveloppent,
& par-là même la furface de notre corps mé-
diatement ou immédiatement ; ainfi nous ne faifons
autre chofe qu’empêcher ou faire ceffer le trop grand
reflerrement de nos folides, la conftri&ion de nos
vaiffeaux capillaires, fur-tout de ceux de la peau,
qui font le plus expofés ; la condenfation exceflive de
nos humeurs, leur difpofition à une coagulation prochaine,
qui font cpnftamment les effets d’un trop
grand fo id , bien marqués par tous les fymptomes
qui s’enfuivent, dont la caufe leur a été attribuée ci-
devant à jufte titre; & par les douleurs que l’on ref-
fent en rechauffant des parties bien froides; douleurs
qui ne font produites que parce que le relâchement
caufé par la chaleur dans les folides, favorife le mouvement
progrefîif, le flottement des humeurs presque
coagulées, qui roulent durement, pour ainfi dire
, dans les vaifleaux qui les contiennent, 8c cau-
fent conféquemment de l’irritation dans leurs tuniques
; enforte que cette fenfation defagréable dure
jufqu’à ce que la chaleur extérieure ait ramolli, dif-
fous ces humeurs en les pénétrant, 8c leur ait rendu
leur fluidité naturelle ; les friâions fur les parties af-
fe&ées du froid faites avec des linges chauds, font
plus propres à les difliper fans douleur de l’efpece
dont on vient de parler, que de fe préfenter tout-à-
coup à un grand feu.
La fenfation & les autres effets du froid animal cau-
fés par communication (des parties affe&ées immédiatement
par le froid externe à celles qui ne le font
pas, & qui en reçoivent cependant les impreflions,)
Tome H
ne font fufceptibles d’être corrigés par les mêmes
moyens que lorfqu’ils proviennent entièrement de
quelque caufe externe immédiate que ce puiffe ê t r e ;
mais il n’ en eft pas tout-à-fait de même des caufes internes
du froid animal, c’eft-à-dire de celles qui font
indépendantes du froid externe ; le plus fouvent elles
font de nature à ne pas céder à l’application extérieur
re des m oyens propres à difliper les effets du froid exte
rn e; ainfi lorfque la maffe des humeurs eft tellement
épaiflie, a contra&é une fi grande force de co-
héfion dans fes parties intégrantes, qu’elle ne cede
point à l’attion diflolvante des v aiffeau x, ni à celle
des particules ignées dont on les pénétré, comme i l
arrive dans le froid d e la f ie v r e , particulièrement de
certaines fievres malignes, peftilentielles, de celles
qui'font caufées par l’effet de certains poifons ou v e nins
coagulans, de quelques efpeces de fievres intermittentes
( voyei à l'article Fie v r e ce qui concerne
le froid fébrile) : dans ces différens c a s , on réuflît
mieux le plus fouvent à faire ceffer les effets du froid
par tout ce qui eft propre à ranimer, à exciter l ’action
des organes v ita u x , le m ouvement, le cours des
humeurs ; à fa vorifer le rétabliffement de leur fluidité
, comme les cord iaux, lesdélayans aromatiques,'
les ftimulans tant internes qu’externes ; 8c ceux-ci
particulièrement à l’égard du froid des parties affectées
de rhumatifme, que par quelqu’autre moyen que
ce fo it , appliqué à l ’extérieur pour procurer de la
chaleur.
Le vice des folides peut aufli être tel qu’ils manquent
des qualités qu’ils doivent avoir pour co-opé-
rer à la génération de la chaleur animale ; ils peuvent
donc aufli contribuer à difpofer à la fenfation:
du froid; c’eft ainfi que dans le corps des vieillards
les tuniques des vaiffeaux deviennent fi folides, f ï
peu flexibles, qu’elles ne peuvent pas fe prêter aux
mouvertiens, à l’aétion néceflaire, pour entretenir
le cours des humeurs avec la force 8c la vîteffe ,
d’où dépendent l’intenfité du frottement des globules
fangiiins dans les vaiffeaux capillaires, 8c les au-,
très effets qui concernent la chaleur naturelle; en-
forte que la vieilleffe établitdans les folides une diA
pofition contraire à la génération de la chaleur; tout
comme lé grand froid : fenefeere yficut frigefeere eft con- ,
tinuo rigefeere. C ’eft pourquoi l’ufage modéré du v in,1
des liqueurs fpiritueufes , & de tout ce qui peut fournir
aux organes vitaux des aiguillons pour exciter
leurs mouvemens, eft fi falutaire aux gens âgés
pour l’entretien ou le rétabliffement de leur chaleur
naturelle ; 8c quant aux moyens externes qu’il convient
d’employer pour le même effet, il eft certain'
que la chaleur douce 8c humide des jeunes perfon-
nes long-tems couchées avec les vieilles gens, eft
plus efficace, & leur eft plus utile que la chaleur fe-
che du feu artificiel : attendu que celle-ci raccornit
toûjours plus les fibres,& augmente par-là le vice qui
empêche . la production de la chaleur naturelle ; 8c.
que celle-là, en fuppléant à ce'défaut, affoupiit les
folides, ou au-moins entretient le peu de flexibilité
qui leur refte.
Mais le Jroid animal le plus rebelle à l’aûion du
feu artificiel appliqué tant extérieurement qu’inté-
rieurement fous quelque forme que ce foit, 8c à quelque
degré que Fon le porte, c’eft le froid caufé par
le fpafme de caufe interne, l’érétifme du genre nerveux
: puifque la chaleur, fur-tout lorfquelle eft exceflive
, ne fait qu’augmenter le Jlimulus qui en eft la
caufe ; par eonféquent la difpofition, le refferremenfc
des vaiffeaux qui s’oppofent au cours des humeurs,
d’où dépend la génération de la chaleur animale. Il
n’y a que le relâchement procuré par la eeffation du
Jlimulus, de la caufe qui irrite les nerfs, de l’influx
irrégulier des efprits animaux, qui én augmentent la
tenfion contre nature , félon le langage des écoles,
* T t ii