
que confifte le grand myftere de la génération-, qui a
excité dans tous les tems la curiofité des Phyficiens,
6c les a portés à faire tant de recherches pour parvenir
à le pénétrer, tant d’expériences pour réuflir à
prendre la nature fur le fait ; c’eft: pour révéler fon
fecret que l’on a imaginé tant de différens fyftèmes,
qui fe font détruits les uns les autres,fans que du choc
des opinions li long-tems 6c fi violemment répété, il
en ait réfulté plus de lumières fur ce fujet : au contraire
il femble que l’on ne fait que fe convaincre de
plus en plus', que le voile derrière lequel la nature
le cache, eft effentiellement impénétrable aux yeux
de l’efprit le plusfubtil, & qu’il faut ranger la caule
de la formation de l’animal parmi les caufes premières
, telles que celles du mouvement 6c de la pefan-
teur, dont nous ne pourrons jamais connoître que les
réfultats, fans doute parce qu’il n’y a que cette con-
noiffance qui nous foit utile.
Nous nous bornerons donc à faire ici l’hiftoire des
différentes idées par lefquelles les Philofophes ont
tenté de repréfenter l’ouvrage de la nature dans la
■ génération (ouvrage qu’ils n’ont jamais vû) ; & afin
qUiil ne manque dans cet article rien de ce qui appartient
aux connoiffances humaines fur ce lujet,
ou pour mieux dire, aux efforts que l’on a faits dans
tous les tems pour étendre ces connoiffances fur
toute forte de matière, il fera joint à cette expoii-
tion des principaux fyftèmes fur la reproduction de
l ’homme, un précis des raifons qui ont été employées
ou qui peuvent l’être, pour réfuter ou pour faire
fentir l’infuffifance de ces explications.
Platon, dans le Timée , établit que la génération de
l’homme, des animaux, des plantes, des élémens, &
même celle du ciel 6c des dieux, fe fait par des fimula-
cres réfléchis, 6c par des images-extraites de la Divinité
créatrice, lefquellespar un mouvement harmonique
, fe font arrangées félon les propriétés des nombres
, dans l’ordre le plus parfait. L’effence de toute
génération confifte donc, félon ce philofophe, dans
l ’unité d’harmonie du nombre trois, ou du triangle ;
celui qui engendre, celui dans lequel on engendre,
6c celui qui eft engendré : c’eft pour cela qu’il a fallu
deux individus pour en produire un troifieme : e’eft-
là ce qui çonftitue l’ordre effentiel du pere 6c de la
mere, & la relation de l’enfant.
Quelle idée plus fublime, s’écrie à cette occafion
le célébré auteur moderne de YhiJloire naturelle !
quelles vues plus nobles ! mais quel vuide, quel de-
fert de fpéculations ! Nous ne fommes pas, en effet
de pures intelligences ; d’ailleurs le réel peut-il être
produit par l’abftrait ? Prendre les nombres pour des
êtres effeûifs, dire que l’unité numérique eft un individu
général, qui non-feiilement repréfente en effet
tous les individus, mais même qui peut leur communiquer
l’exiftence; prétendre que cette unité numérique
a de plus l’exercice aéhiel de la puiffance
d’engendrer réellement une autre unité numérique,
à-peu-près femblable à elle-même; conftituer par-
là deux individus, deux côtés d’un triangle qui ne
peuvent avoir de lien & de perfeâion que par le troir
fieme côté de ce triangle, par un troifieme individu
qu’ils engendrent néceffairement : n’eft-ce pas le plus
grand abus que l’on puifle faire de la raifon ? Mais
quand on accorderoit au divin Platon que la matière
n’exifte pas réellement, en peut-il réfulter aue nos
idées foient du même ordre que celles du créateur ;
qu’elles puiffent en effet produire des exiftences? la
fuppofition d’une harmonie triangulaire peut-elle
faire la fubftance des élémens ? le pere 6c la mere
n’engendrent-ils un enfant que pour terminer un
triangle ? Ces idées.platoniciennes, grandes au premier
coup-d’oe il, ont deux afpe&s bien différens;
dans la fpéculation, elles femblent partir de principes
nobles 6c fublimes ; dans l’application, elles ne
peuvent arriver qu’à des conféquences fauffes &
puériles, puifque nos idées ne viennent que par les
l'ens, 6c que par conféquent bien loin qu’elles puiffent
être les caufes des chofes, elles n’ en font que des
effets, & des effets très-particuliers, &c. Onpeut voir
une expofition plus étendue de ce fyftème fi fingu-
lierem'ent métaphyfiqué, à l’article oit il fera traité
de la philofophie de Platon en général. Voye^ Platonisme.
Les autres anciens philofophes, tels qu’Epicuré
au lieu de fe perdre comme Platon dans la région des
hypothèles , s’appuient au contraire fur dés obfer-
vations, raffemblent des faits, 6c patient un langage
plus intelligible. L’homme 6c la femme ayant l’un tk.
l’autre la faculté de répandre une liqueur dans le congrès
, elle fut d’abord regardée comme prolifique en.
tant que leur mélange le préfenta naturellement à
l’efprit, pour expliquer l’origine de l’homme: c’eft:
pourquoi tePfut le premier fyftème phyfique fur la
génération, qui eft reproduit de nos jours fous différentes
combinaifons. Lucrèce l’a décrit aufli clairement
qu’aucun philofophe de l’antiquité.
E t commifcendo , cumfemen forte virile
Ftxmina commuljit fubitâ vi , corripuitque ;
6cc. . . . . . . . .
Semper enitn partos duplici de femine confiât.
&Ç-;.
L 'tb, IV . de naturd rcrum*
Selon ce grand poëte philofophe lui-même, non-
feulement le fperme viril doit être mêlé avec celui
de la femme pour qu’elle conçoive, mais il ajoute:
encore deux lingularités frappantes par le rapport
qn’elles ont avec quelques fyftèmes modernes ; c’eft:
que chacune de ces femences a un caractère qui lui
eft propre, relativement ait fexe de l ’individu qui la
fournit ; enforte que fi dans le mélange qui s’en fait
dans le corps de la femme , la qualité de fa femence '
contribue plus à la formation de l’enfant, il a beaucoup
de reflemblance avec elle ; de même qu’il tient
beaucoup du pere, fi c’eft fa femence qui eft prédominante
par fës effets; & fi l’ouvrage fe forme également
des deux liqueurs, il arrive que le réfultat
de cette tendre alliance eft le portrait du pere 6c de
la mere : d’ailleurs pour la conftru&ion des différentes
parties du corps, les deux femences étant com-
pofées de parties hétérogènes * le concours de celles
qui ont de l’analogie entr’elles, forme les différens
organes,. comme le concours des atomes en général,
a pu former les différentes parties de l’univers.
Hippocrate paroît avoir adopté ce qu’il y a d’ef-
fentiel dans le lyftème d’Epicure, pour en former le-
fien, avec quelques legeres différences, qui confiftent-
principalement en ce qu’ilfaitdeplusgrandesrecher-
ches fur les caufes & fur les effets. Il fuppofe que la
femence vient de toutes les parties du corps, mais
particulièrement de la tête, d’où il la fait defcendi-e-
par la moelle épiniere dans les reins ; 6c en admettant
donc la liqueur prolifique de chaque fexe, il
prétend que ces :deux femences font chacune de
deux qualités différentes, dont l’une eft forte, a plus
de chaleur, c’eft - à - dire plus d’efprits ; l’autre foi-i
b le , chargée d’humidité, moins afrive ; que les mâles
fe forment lorfque la femence, tant du mâle que
de la femelle, fe trouve forte ; 6c les femelles, lorfque
lés femences dominantes font foibles ; & pour
la reflemblance de l’enfant au pere 6c à la mere, elle
dépend, comme dans le fyftème précédent, du plus
ou du moins de femence que l’un ou l’autre fournit.
Hippocrate, d’après le maître de Lucrèce, appuie
fon hypothèfe fur le fait fuivant ; favoir, que plu-
fieurs femmes, qui d’un premier mari, n’ont produit
que des filles., d’un fécond ont produit des garçons
; 6c que ces mêmes hommes, dont les premières
res femmes n’avoient produit que des filles, ayant
pris d’autres femmes, ont engendré des garçons,
félon, dit ce médecin philofophe , que la femence
forte ou foible du mâle ou de la femelle eft prédominante
dans ces différens cas ; mais s’il arrive que
le mélange des liqueurs prolifiques fe faffe en quantité
& en qualité égales, qui contribuent par conféquent
autant l’une que l’autre à l’oeuvre de la génération
, l’enfant participera-t-il également à la ref-
femblance 6c au fexe de fon pere 6c de fa mere ? Et
d’ailleurs, dans le cas même le plus ordinaire,à fup-
pofer où cette égalité dans les femences n’exifte pas,
& où la liqueur féminale d’un des deux individus générateurs
prédomine 6c influe le plus fur la re.ffem-
blance, pourquoi cette reflemblance n’eft-elle pas
autant dans le fexe, que dans les traits du vifage ?
L ’expérience démontre que ces deux chofes fe rencontrent
très-rarement enfemble ; ainfi cela feul
fembleroit fuffifant pour faire rejetter cette opinion
de l’exiftence des deux femences dans chaque fexe,
6c même d’une feule femence prolifique dans la femme
en particulier ; ce qui dans la fuite de cet article
fera encore réfuté par d’autres raifons.
Voici comment fe fa it , félon Hippocrate, la formation
du fétus : les liqueurs féminales s’étant mêlées
dans la matrice, s’y épaifliffent par la chaleur
du corps de la mere ; le mélange reçoit 6c tire l’efprit
de la chaleur ; & lorfqu’il en eft tout rempli >
l ’efprit, trop chaiid fort au-dehors : mais par la ref-
piration de la mere, il arrive un efprit froid ; 6c alternativement
il entre un efprit froid, & il fort un
efprit chaud dans le mélange ; ce qui lui donne la
v ie , & fait naître une pellicule à la fur face du mélangé
, qui prend une forme ronde ; parce que les ef-
prits agiffant du milieu comme centre, étendent également
de tous côtés le volume de cette matière. Il
fe forme peu-à-peu une autre pellicule, de la même
façon que la première pellicule s’eft formée ; le famj
menftruel dont l’évacuation eft fupprimée, fournit
abondamment à la nourriture : ce fang fourni par la
mere au fétus, fe coagule par degrés, 6c devient
chair ; cette chair s’articule à mefure qu’elle croît,
6c c’eft l’efprit qui donne cette forme à la chair : chaque
chofe prend fa place. Les parties folides fe joignent
aux parties folides ; celles qui font humides
aux parties humides : chaque chofe cherche à s’unir
à celle qui lui eft femblable ; 6c le fétus eft enfin entièrement
formé par ces caufes & cès moyens.
Ariftote, qui eft celui de tous les anciens qui a le
plus écrit fur la reproduftion des êtres organifes, 6c
qui a traité de ce fujet le plus généralement, établit
pour principe à. cet égard , que la matière n étant
qu’une capacité de recevoir les formes, prend dans
la génération une forme femblable à celle des indi-
vidus qui la fourniffent ; 6c par rapport aux animaux
qui ont des fexes, fon fentiment eft que le mâle
fournit feul le principe prolifique, 6c que la femelle
ne donne rien qu’on puifle regarder comme tel.
Voye? les oeuvres de ce philofophe, de generatione,
lib. 1. cap. xx. & Hb. II. cap, jv . Car quoiqu’il
dife ailleurs, en parlant des animaux en général,
que la femelle dans le coït répand une liqueur au-
dedans d’elle-même, il paroît qu’il ne regarde pas
cette liqueur comme un principe prolifique ; & cependant
félon lui, la femelle fournit toute la matière
néceflaire à la génération. Cette matière eft le fang
mcnftruèl, qui fert à la formation, à la nourriture
& au développement du fétus ; mais le principe efficient
exifte feulement dans la liqueur féminale,
laquelle n’agit pas comme matière , mais comme
caufe.
Averroès, Avicenne 6c plufieurs autres philofophes
, qui ont fuivi le fentiment d’Ariftote, ont cherché
des raifons pour prouver que les femelles n’ont
Tome
point de liqueur prolifique. Ils ont dit que comme
les femelles ont la liqueur menftruelle, 6c que cette
liqueur eft néceflaire & fuffifante à la génération, il
ne paroît pas naturel de leur en accorder une autre,
& qu’on peut penfer que le fang menftruel eft en effet
la feulé liqueur fournie par les femelles pour la
génération, puifqu’elle ne commence à paroître que
dans le tems de la puberté ; comme la liqueur prolifique
du mâle ne paroît aufli que dans ce tems. D ’ailleurs
, difent’-ils, fi la femelle a réellement une liqueur
féminale 6c prolifique, comme celle du mâle , pourquoi
les femelles ne produifent-elles pas d’elles-mêmes,
6c fans l ’approche du mâle, puifqu’elles contiennent
le principe de fécondation , aufli-bien que
la matière néceflaire pour former l’embryon ? Cette
raifon métaphyfiqué eft une difficulté très-confidé-
rable contre tous les fyftèmes de la génération, dans
lefquels on admet une femence prolifique, propre à
chaque individu des deux fexes. M. de Buffon en
traitant de ce fujet, dans fon grand Ouvrage de Yhif
toire naturelle y témoigne avoir fenti toute la force
de cette difficulté , à l’égard même de fon fyftème ,
qui eft un de ceux de ce genre ; mais cette obje&ion.
peut être encore étayée par bien d’autres que font
les Ariftotéliciens. Ils ajoutent donc, que s’il exiftoit
une liqueur prolifique dans les femelles , elle ne
pourroit être répandue que par l’effet du plaifir vénérien
, comme il arrive à l’égard de celle du mâle ;
mais qu’il y a des femmes qui conçoivent fans aucun
plaifir ; que ce n’eft pas le plus grand nombre
des femmes qui répandent de la liqueur dans l’aéte
de la copulation ; qu’en général celles qui font brunes
, 6c qui ont l ’air hommaffe, ne répandent rien ,
6c cependant n’engendrent pas moins que celles qui
font blanches, & dont l’air eft plus féminin , qui répandent
beaucoup ; qu’ainfi on peut conclure aifé*
•ment dé toutes ces raifons, que la liqueur que les
femmes répandent, ou qu’elles ont la faculté de répandre
dans le co ït, n’eftpoint effentielle à la génération
; qu’elle n’eft par conféquent point prolifique.1
N’eft-il pas en effet plus vraiffemblable qu’elle
n’eft que comme une falive excrémenteufe, deftinée
à lubrifier les cavités du vagin 6c de la matrice ; que
lorfquelle eft répandue d’une maniéré fenfible, ce
n’eft que par l’ effet d’une plus forte expreflion des
glandes Ou vaiffeaux qui la contiennent, excitée par
la tenfion ou la conftrifrion convulfive qu’y opéré
le prurit vénérien ?
Mais pour revenir aux raifonnemens des Péripa-
téticiens , ils penfent abfolument que les femelles ne
fourniffent rien que le fang menftruel, qui eft la matière
de la génération ; dont la liqueur féminale du
mâle eft la caufe efficiente, en tant qu’elle contient
; le principe du mouvement ; qu’elle communique aux
[ menftrues une efpece d’ame, qui donne la vie ; que
le coeur eft le premier Ouvrage de cette ame ; que
cet organe contient en lui-même le principe de fon
accroiffement ; qu’il a la puiffance d’arranger, de
réalifer fucceffivement tous les vifeeres, tous les
membres ; qu’ainfi les menftrues contiennent en puiffance
toutes les parties du fétus.
Voilà le précis du fyftème fur la génération, pro-
pofé par Ariftote , & étendu paries ièfrateurs: Hippocrate
6c lui ont eu chacun lés leurs. Prefque tous
les philofophes fcholaftiques, en adoptant la philofophie
d’Ariftote, ont aufli penfé comme lui à l’égard
de la reproduftion des animaux ; prefque tous les
médecins ont fuivi le fentiment d’Hippocrate fur ce
fujet; & il s’eft paffé dix-fept ou dix-huit fiecles fans
qu’il ait plus rien paru de" nouveau fur cette matière
, attendu la ftupide vénération pour ces deux maîtres
, que l’on a confervée pendant tout cet efpace
de tems, au point de regarder leurs produfrions comme
les bornes de l’elprit humain ; enforte qu’il ne.
B B b b