publique romaine, comme les fleuves vontfe perdre
dans la mer.
Après la défaite de Philippe, de Perfée, & d’An-
tiochus, Rome prit l’habitude de régler par elle-même
les différends de toutes les villes de la Grece. Les
Lacédémoniens, les Béotiens, les italien s , & la Macédoine
, étoient rangés fous fa puiflance ; les Athéniens
fans force par eux-mêmes, & fans alliés, n’é-
îonnoient plus le monde que par leurs baffes flate*-
ries; & l’on ne montoit plus fur la tribune où Dc-
mofthene avoit parlé, que pour propofer les decrets
les,plus lâches. Les feuls Achéens oferent fe piquer
d’un relie d’indépendance, lorfque les Romains leur
ordonnèrent par des députés de léparer de leur corps
Lacédémone, Corinthe, Argos, & Orcomene d’Arcadie.
Sur leur refus, le fénat leur déclara la guerre,
&£. le Préteur Métellus remporta fur eux deux victoires
: l’une auprès des Thermopyles, & l’autre dans
la Phocide. Enfin, Rome bien réfolue de faire ref-
peéler fa puiflance & de poufler fes avantages aufli
loin qu’il lui feroit poflible, envoya le conful Mum-
mius avec les légions, pour fe rendre maître de toute
l’Achaïe. Le choix étoit terrible, & le fuccès af-
fûré.
Ce conful célébré par la rufticitë de fes moeurs,
par la violence & la dureté de fon caraflere, par fon
ignorance dans les Arts qui charmoient la Grece, défit
pour la derniere fois les Achéens & leurs alliés.
II paffa tout au fil de l’épée, livra Corinthe au pillage
& aux flammes. Cette riche capitale de l’Achaïe,
cette ville qui fépara les deux mers, ouvrit & ferma
le Péloponnefe ; cette ville de la plus grande importance,
dans un tems où le peuple grec étoit un monde,
& les villes grcquts des nations ; cette ville, dis-
je , fi grande & fi fuperbe., fut en un moment pillée,
ravagée, réduite en cendres ; & la liberté des Grecs
fut à jamais enfevelie fous fes ruines. Rome viêlo-
rieufe & maîtreffefouveraine, abolit pour lors dans
toutes les villes le gouvernement populaire. En un
mot, la Grece devint province romaine, fous le nom
de province d ’Achaie. C e grand événement arrival’an
de Rome 608, & l’an du monde 3838.
Durant ce quatrième âge que nous venons de parcourir
, la Grece fit toûjours éclore des héros ,.mais
rarement plufieurs à-la-fois' comme dans les fiecles
précédens. Lors de là bataille de Marathon, on avoit
vû dans un même tems Léonidas, Paufanias, Miltia-
des, Thémiftocle, Ariftide, Léotichides, & plufieurs
autres hommes du premier ordre. On vit dans cet
âge-ci, un Phocion, un Aratus, & enfuite un Philo-
poëmen, après lequel la Grece ne produifit plus de
héros dignes d’elle, comme fi elle étoit épuifée. Quelques
rois, tels que Pyrrhus d’Epire, Cléomene de
Sparte, fe fignalerent à la vérité par leur courage :
mais la conduite, les vertus, & la morale, ne ré-
pondoient pas en eux à la valeur.
Il fe trouve dans cet âge quantité dephilofophes célébrés
, &entr’autresTnéophrafte, fucceffeur d’Arif-
tote : Xénocrate , fucceffeur de Platon , & maître
de Polémon, dont Cratès fut le difciple ; celui-ci forma
Crantor, qui eut pour éleve Arcéfilaiis, fondateur
de la moyenne académie; Epicure, difciple de
Cratès ; Zénon, fondateur de la feéle des Stoïciens •
Chryfippe & Cléante qui fuivirent fes fentimens ;
Srraton deLampfaque péripatéticien, fucceffeur de
Théophrafte ; &c Lycas, fucceffeur de Straton. Je ne
dois pas oublier Démétrius de Phalere, forti de la
même école, depuis fait archonte d’Athenes, qu’il
gouverna pendant dix ans; au bout defquelles le crédit
de fes ennemis l’obligea de fe fauver chez le roi
Ptolomée : j’ajoute encore Diogene le ftoïcien, différent
deDiogene le cynique; Critolaiis, péripaté-
tjcien ; Carnéades, académicien ; Lacyde, fondateur
jdc la nouvelle académie, b c *
5 Entre les Poètes, on diftingue Aratus, qui a trait<î
de l’Aftronomie en vers ; Calliniaque, poëte élégia-
que ; Ménandre, poëte comique ; Théocrite, Bion,'
& Mofchus, poètes bucoliques.
L ’hiftorien Timée, le géographe Eratofthene, &
quelques autres, fe firent aulfi beaucoup de réputation
par leurs ouvrages.
Mais il faut convenir qu’on s’apperçevoit déjà de
la décadence des lettres; aufli le cinquième âge dont
nous parlerons très-brievement,ne peutguere vanter
que Métrodore, philofophe feeptique ; Geminus,
mathématicien ; & Diodore de Sicile, hiftorien. Les
Sciences abandonnant la Grece, prenoientleur vol
vers l’Italie, qui produifit à fon tour la foule d’écrivains
célébrés du fiecle d’Augufte.
Cinquième âge de La Grece. Pendant cet âge qui commença
l’an du monde 383 8, & qui dura jufqu’à l’empire
d’O û a v e , c’eff-à-dire 116 ans, les Romains apportèrent
peu de changemens dans les lois municipales
des villes greques; ils fe contentèrent d’en tirer
le tribut annuel, &c d’exercer la fouveraineté par urt
préteur. Un gouvernement fi doux pour un pays
épuifé par de longues guerres, retint la Grece fous
la dépendance de la republique, jufqu’au régné de
Mithridate, qui fit fentir à l’univers qu’il étoit ennemi
de Rome, & qu’il le feroit toûjours.
De tous les rois qui attaquèrent la puiflance romaine,
Mithridate ieul la combattit avec courage.
Il eut de grands fuccès fur les premiers généraux
romains ; conquitune partie de l’Afie, laThra-
c e , la Macedoine, & la Grece , & ne put être réduit
à fes anciennes limites que par les viftoires de Sylla.
Ce fameux capitaine qui ternit par fa barbarie la
gloire que fes grandes qualités pouvoient lui procurer,
n’eut pas plutôt obtenu, malgréMarius,le commandement
de l’armée contre le roi de Pont, qu’ayant
appris qu’il avoit fait d’Athenes fa fortereffe.
6 fa place d’armes, il réfolut de s’en emparer ; mais
comme il n’avoit point de bois pour fes machines de
guerre, & que rien n’étoit facré pour lui, il coupa
les fuperbes allées de l’académie & du Lycée, qui
étoient les plus beaux parcs du monde ; bien-tot
après il fit le fiége, & fe rendit maître d’Athenes
où il abandonna le pillage à la licence de fes troupes*'
pour fe concilier leur attachement. Il avoit déjà pillé
lui-même les thréfors des temples d’Epidaure d’O-
lympie,de Delphes, 6-c. auxquels ni Fia minius, ni.
Paul-Emile,ni les autres capitaines romains n’avoient
ofé toucher; Cependant » Mithridate, tel qu’un lion
« qui regardant fes bleflùres, n’en eft que plus indi-
» gné,formoit encore le deffein de délivrer la Grece '
» déporter la guerre en Italie, &c d’aller à Rome avec
» les autres nations qui l’affervirent quelques fiecles
» après, & par les mêmes chemins ; mais indigne-
» ment trahi par Pharnace fon propre fils, & par une
» armée effrayée des hafards qu’il alloit chercher
» il perdit toute efpérance, & termina fes jours eii
» roi magnanime ».
La prife d’Athenes, les viéloires d’Orcomene &c
de Cheronee, toutes deux gagnées par S ylla, l’an
87 avant Jefus-Chriff ; & pour dire encore plus, la
mort de Mithridate, rendirentla Grece aux Romains,
fans qu’elle ait eflùyé de nouvelles viciflitudes pendant
les diffenfions de Céfar & de Pompée. Enfin '
après les guerres civiles qui firent paffer l’empire du
monde entre les mains d’Augufte, il créa trois préteurs
l’an 727 de Rome, pour affluer davantage lo
repos de la Grece, ou plutôt fa fervitude, dont la
durée s’eft perpétuée jitfqu’â nos jours.
Je n ai pas le courage de fuivre les malheurs qu’elle
a éprouvés fous les fucceffcurs d’Augufte, & depuis
la translation du fiége impérial de R o m e à Bi-
zance. Je dirai feulement que mille fois envahie, pillée,
ravagée par cent nations différentes, Goths.
Scythes, AlainS , Gépides, Bulgares, Afriquaîns ;
Sarrazins, Croifés ; elle devint enfin la proie des
Turcs au commencement du xjv. fiecle; toûjours gé-
miffante depuis cette époque, fous le joug de la porte
ottomane, elle n’offre actuellement à la vûe des
voyageurs, que des pays incultes, des mafures , &
de pauvres habitans plongés dans la mifere, l’ignorance,
& la fuperftition.
Réflexionsfur La prééminence des Grecs dans Les Sciences
& dans les A n s . Tel a été le fort d’un des plus
beaux pays du monde, & de la nation la plus illuftre
de l’antiquité ; quoi qu’en dife un des judicieux écrivains
de Rome, qui cherche à diminuer la gloire des
Grecs, en avançant que leur hiftoire tire fon principal
luftre du génie & de l’art des auteurs qui l’ont
écrite, peut-on s’empêcher de reconnoître que leurs
citoyens s’élèvent quelquefois au-deffus de l’humanité?
Marathon, les Thermopyles, Salamine, Platée
, Mycale, la retraite des dix mille &: tant d’autres
faits éclatans, exécutés dans le fein même de la
Grece pendant le cours de fes guerres domeftiques,
ne font-ils pas dignes, ne font-ils pas même au-deffus
des loiianges que leur ont donné les Hiftoriens ?
Mais un éloge particulier que mérite la Grece,
c’ eft d’avoir produit les plus grands hommes, dont
l ’hiftoire doit garder le fouvenir. Rome ne peut rien
oppofer à un Lycurgue, à un Solon, à un Themifto-
c le , à un Epaminondas, & à quelques autres de cet
ordre. On ne voit guere de citoyens de Rome s’élever
au-deffus de leur fiecle & de leur nation, pour
prendre un nouvel effor, & lui donner une face nouvelle.
Dans la Grece au contraire, je vois fouVent
de ces génies vaftes, puiffans, & créateurs, qui s’ou-
vrent un chemin nouveau, & qui pénétrant l’avenir
, fe rendent les maîtres des évenemens.
La Grece abattue, confervamême une forte d’empire
bien honorable fur fes vainqueurs ; fes lumières
dans lés Lettres & dans les Arts, foûmirentl’orgueil
des Romains. Les vainqueurs devenus difciples des
vaincus, apprirent une langue que les Homere, les
Pindare, les Thucydide, les Xénophon, les Démof-
thene, les Platon, les Sophocle , & les Euripide
avoient enrichie par leurs ouvrages immortels. Des
orateurs qui charmoient déjà Rome, allèrent puifer
chez les Grecs ce talent enchanteur de tout embellir,
ce goût fin & délicat qui doit guider le génie, & ces
fecrets de l’art qui lui prêtent une nouvelle force.
Dans les écoles de Philofophie, où les citoyens les
plus diftingués de Rome fe dépouilloient de leurs préjugés,
ils apprenoient à refpeûer les Grecs ; ils rap-
portoient dans leur patrie leur reconnoiffance Scieur
admiration; & leur république craignant d’abufer
des droits de la victoire, tâchoit par fes bienfaits de
diftinguer la Grece des autres provinces qu’elle avoit
ïoûmifes. Quelle gloire pour les lettres, d’avoir épargné
au pays qui les a cultivées, des maux dont fes le-
giflateurs, fes magiftrats, & fes capitaines n avoient
pû le garantir ? Vengées du mépris que leur témoigne
l ’ignorance, elles font fûres d’être refpeftees tant
qu’il fe trouvera d’aufli juftes appréciateurs du mérité
, que l’étoient les Romains.
Si des Sciences nous paffons aux Beaux-Arts,
nous n’héfiterons pas d’aflurer que les Grecs n’ont
point eu de rivaux en ce genre. C ’eft fous le ciel de
la Grece, on ne peut trop le répéter,- que le feul goût
digne de nos hommages & de nos études, fe plut à
répandre fa lumière la plus éclatante. Les inventions
des autres peuples qu’on y tranfportoit, n’étoient
qu’une première femcnce, qu’un germe groflier, qui
changeoit de nature & de forme dans ce terroir fertile.
Minerve, à ce que difent les anciens, avoit elle-
même choifi cette contrée pour la demeure des Grecs;
la température de l’air la lui faifoit regarder comme
le fol le plus propre à faire éclore de beaux génies.
Cet ëîogeeft une fiction, on le fait : mais cette fiction
même eft une preuve de l’influence qu’on attribuoit
au climat de la Grece; & l’on eft autorifé à croire
cette opinion fondée, lorfqu’on voit le goût qui régné
dans les ouvrages de cette nation, marqué d’un
fceau caraCtériftique, & ne pouvoir être tranfplanté
fans fouffrir quelqu’altération. On verra toûjours,
par exemple, entre les ftatues des anciens Romains
& leurs originaux, une différence étonnante à l’avantage
de ces derniers. C ’eft ainfi que Didon avec fa
fuite , comparée à Diane parmi fes Oréades, eft une
copie affoiblie de la Nauficaa d’Homere, que Virgile
a tâché d’imiter. On trouve, il eft vrai, des négligences
dans quelques fameux ouvrages des Grecs qui
nous relient : le dauphin & les enfans de la Vénus de
Médicis, laiffent quelque chofeà defirer pour la perfection
; les acceffoires du Diomede de Diofcoride
font dans le même cas ; mais ces foibles parties ne
peuvent nuire à l’idée que l’on doit fe former des ar-
tiftes grecs. Les grands maîtres font grands jufque
dans leurs négligences, & leurs fautes même nous
inftruifent. Voyons leurs ouvrages comme Lucien
vouloit que l ’on vît le Jupiter de Phidias ; c’eft Jupiter
lui-même, & non pas fon marche-pié, qu’il faut
admirer.
Il feroit aifé de faire valoir les avantages phyfiques
que les Grecs avoient fur tous les peuples ; d’abord
la beauté étoit un de leurs apanages ; le beau fang
des habitans de plufieurs villes greques fe fait même
remarquer de nos jours, quoique mêlé depuis des
fiecles avec celui de cent nations étrangères. On fe
contentera de citer les femmes de file de Scio j les
Géorgiennes, & les Circafîiennes.
Un ciel doux & pur contribuoit à la parfaite conformation
des Grecs, & l’on ne fauroit croire de combien
de précautions pour avoir de beaux enfans, ils
aidôient cette influence naturelle. Les moyens que
Quiilet propofe dans fa callipédie, ne font rien en
comparaifon de ceux que les Grecs mettoient en ufa-
ge. Ils portèrent leurs recherches jufqu’à tenter de
changer les yeux bleus en noirs ; ils inftituerent des
jeux où l’on fe difputoit le prix de la beauté ; ce prix
confiftoit en des armes que le vainqueur faifoit fuf-
pendre au temple de Minerve.
Les exercices auxquels ils étoient accoutumés dès
l’enfance, donnoient à leurs vifages un air vraiment
noble, joint à l’éclat de la fanté. Qu’on imagine un
fpartiate né d’un héros & d’une héroïne, dont le corps
n’a jamais éprouvé la torture des maillots, qui depuis
fa feptieme année a couché fur la dure, & qui depuis
fon bas âge s’eft tantôt exercé à lutter, tantôt à la
courfe, & tantôt à nager ; qu’on le mette à côté d’un
fibarite de nos jours, & qu’on juge lequel des deux
un artifte choifiroit pour être le modèle d’un Achille
ou d’un Théfée. Un Théfée formé d’après le dernier,
feroit un Théfée nourri avec des rôles, tandis que
celui qui feroit fait d’après le fpartiate, feroit un
Théfée nourri avec de la chair, pour nous fervirde
l’expreflion d’un peintre grec, qui définit ainfi deux
repréfentations de ce héros.
Les Grecs étoient d’ailleurs habillés de maniéré ^
que la nature n’étoit point gênée dans le développement
des parties du corps ; des entraves ne leur 1er-
roient point comme à nous le cou , les hanches, les
cuiflès, & les piés. Le beau fexe même ignorojt toute
contrainte dans la parure ; & les jeunes Lacédémo-
niennes étoient vêtues fi legerement , qu’on les ap-
pelloit montre-hanches. En un mot, depuis la naiflan-
ce jufqu’à l’âge fait, les efforts de la nature & de l’art
tendoient chez ce peuple à produire, a conferver,
& à orner le corps.
Cette prééminence des Grecs en fait de beaute une
fois accordée, on fent avec quelle facilité les maîtres
de l’art durent parvenir à rendre la belle nature. Elle