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La Géométrie , dit-on encore, doïme à l’efprit de
ia. iéchereffe ; oui , quand ony.eft déjàpréparé par
la nature : en ce cas, on ne feroit guere plus fenfiblc
^uix beautés des ouvrages d’imagination , quand
même on n’aùroit fait aucune-étude de la Géométrie
; mais celui à qui la nature aura donné avec le
talent des Mathématiques un efprit flexible à d’autres
objets,•& qui aura-foin d’entretenir dans fon efprit
cette heureufe flexibilité, en le pliant en tout
iens, en ne le tenant point toûjours courbé vers les
lignes & les calculs, & en l’exerçant à des matières
de littérature, de goût, & de philofophie, celui-là
confervera tout-à-la-fois la fenfibilité pour les choies
d’agrément, & la rigueur néceflaire aux démon-
ftrations ; il faura réfoudre un problème, & lire un
poète ; calculer les mouvemens des planètes, &
avoir du plaifir à une piece de théâtre.
- L’étude & le talent de la Géométrie ne nuifent
donc point par eux-mêmes aux talens & aux occupations
littéraires. On peut même dire en un fens ,
qu’ils font utiles pour quelque genre d’écrire que ce
puifle être ; un ouvrage de morale, de littérature ,
de critique, en fera meilleur, toutes chofes d'ailleurs
égales , s’il eft fait par un géomètre , comme M. de
Fontenelle l’a très-bien obfervé ; on y remarquera
cette jufteffe & cette liaifon d’idées à laquelle l’étude
de la Géométrie nous accoutume, & qu’elle
nous fait enfuite porter dans nos écrits fans nous
en appercevoir & comme malgré nous.
L’étude de la Géométrie ne peut fans doute rendre
l’efprit jufte à celui qui ne l’a pas; mais aufîiun
efprit fans jufteffe n’eft pas fait pour cette étude, il
n’y réuflira point ; c’eft pourquoi fi on a eu raifon de
dire que la Géométrie ne redrejfe que les efprits droits ,
on auroit bien fait d’ajouter que les efprits droits font
Us feuls propres à la Géométrie.
On ne peut donc avoir l’efprit géomètre, c’eft-à-
dire le talent de la Géométrie, fans avoir en même
tems l’efprit géométr ique, c’eft-à-dire l’efpritde
méthode & de jufteffe. Car l’efprit géomètre n’eft
proprement que l’efprit géométrique, appliqué à
la feule Géométrie , & il eft bien difficile quand
on fait faire ufage de cet efprit dans les matières
géométriques, qu’on ne puifle de même le tourner
avec un fuccès égal vers d’autres objets. Il eft
vrai que l’efprit géométrique pour fe développer
avec toute fa force & fon aô ivité , demande quel-
qu’exercice ; & c’eft pour cela qu’un homme concentré
dans l’étude de la Géométrie, paroîtra n’avoir
que l’efprit géomètre, parce qu’il n’aura pas appliqué
à d’autres matières le talent que la nature lui
a donné de raifonner jufte. De plus fi les Géomètres
fe trompent lorfqu’ils appliquent leur logique à d’autres
fciences que la Géométrie, leur erreur eft plutôt
dans les principes qu’ils adoptent, que dans les
conféquences qu’ils en tirent. Cette erreur dans ies
principes peut venir ou de ce que le géomètre n’a
pas les connoiflances préliminaires fuflifantes pour
le conduire aux principes véritables , ou de ce que
les principes de la fcience dont il traite ne fortent
point de la fphere des probabilités. Alors il peut arriver
qu’un efprit accoutumé aux démonftrations ri-
goureufes, n’ait pas à un degré fuffifant le tact né-
ceffaire pour diftinguer ce qui eft plus probable d’av
e c ce qui l’eft moins. Cependant j’oie penfer encore
qu’un géomètre exercé à l’evidence mathématique
, diftinguera plus aifément dans les autres fciences
ce qui eft vraiment évident d’avec ce qui n’eft
que vraiffemblable & conjeftural ; & que de plus
ce même géomètre avec quelque exercice & quelque
habitude, diftinguera auflî plus aifément ce qui eft
plus probable d’avec ce qui l’eft moins ; car la G éométrie
a aufli fon calcul des probabilités.
A l’occalion de ce calcul, je crois devoir faire une
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réflexion qui contredira un peu l’opinion CôftlrtlUtie
fur l’efprit du jeu. On imagine pour l’ordinaire qu’un
geometre , un favant exercé aux calculs, doit avoir
l’efprit du jeu dans un degré fupérieur ; il me fem-
ble que ces deux efprits font fort différens, fi même
ils ne font pas contraires. L’efprit géomètre eft fans
doute un elprit de calcul & de combinaifon, mais
de combinaifon fcrupuleufe & lente , qui examine
l’une après l’autre toutes les parties de l’objet, & qui
les compare fucceflivement entr’elles, prenant garde
de n’en omettre aucune, &c de les rapprocher par
toutes leurs faces ; en un mot ne faifant à - la - fois
qu’un pas, & ayant foin de le bien aflurer avant que
de paffer au fuivant. L’efprit du jeu eft un efprit de
combinaifon rapide, qui embraffe d’un coup-d’oeil
& comme d’une maniéré vague un grand nombre
de cas, dont quelques-uns peuvent lui échapper,
parce qu’il eft moins aflujetti à des réglés, qu’il n’eft
une elpece d’inftinâ perfectionné par l’habitude.
D ’ailleurs le géomètre peut fe donner tout le tems né-
ceflairë pour réfoudre fes problèmes ; il fait un effort,
fe repofe, & repart de-là avec de nouvelles
forces. Le joiieur eft obligé de réfoudre fes problèmes
fur le champ, & de faire dans un tems donné
& très-court tout l’ufage poflible de fon efprit. Il
n’eft donc pas furprenant qu’un grand géomètre foit
un joiieur très-médiocre ; & rien n’eft en effet plus
commun.
La Géométrie a parmi nous des cenfeurs de
tous les genres. Il en eft qui lui conteftent jufqu’à
fon utilité ; nous les renvoyons à la préface fi connue
de l’hiftoire de l’académie des Sciences, où les
mathématiques font fuffifamment vengées de ce reproche.
Mais indépendamment des ufages phyfiques
& palpables de la Géométrie, nous envifagerons ici
fes avantages fous une autre face, à laquelle on n’a
peut-être pas fait encore affez d’attention : c’eft l ’utilité
dont cette étude peut être pour préparer comme
infenfiblement les voies à l’eijjritphilofophique
& pour difpofer toute une nation à recevoir la lumière
que cet efprit peut y répandre. C ’eft peut-être
le feul moyen de faire fecoiier peu-à-peu à certaines
contrées de l’Europe, le joug de l’opprefîion & de
l’ignorance profonde fous laquelle elles gémiflent.
Le petit nombre d’hommes éclairés qui habitent certains
pays d’inquifition, fe plaint amerement quoi-
qu’en fecret, du peu de progrès que les Sciences ont
fait jufqu’ici dans ces triftes climats. Les précautions
qu’on a prifes pour empêcher la lumière d’y pénétrer
, ont fi bien réufli, que la Philofophie y eft à-
peu-près dans le même état où elle étoit parmi nous
du tems de Louis le Jeune. II eft certain que les abus
les plus intolérables d’un tribunal qui nous a toûjours
fi juftement révoltés, ne fe font produits & ne s’entretiennent
que par l’ignorance & la fuperftition.
Eclairez la nation, & les miniftres de ces tribunaux
renonceront d’eux-mêmes à des excès dont ils auront
les premiers reconnu l’injuftice & les inconvéniens.
C’eft ce que nous avons vû arriver dans les pays où
le goût des Arts & des Sciences & les lumières de la
Philofophie fe font confervés. On étudie & on raifon-
ne en Italie; & l’inquifition y a beaucoup rabattu de
la tyrannie qu’elle exerce dans ces régions, où l’on
fait encore prêter ferment de ne point enfeigner d’autre
philofophie que celle d’Ariftote. Faites naître, s’il
eft poflible, des géomètres parmi ces peuples ; c’eft
une femence qui produira des philofophes avec le
tems, &prefque fans qu’on s’en apperçoive. L ’orthodoxie
la plus délicate & la plus fcrupuleufe n’a rien à
démêler avec la Géométrie. Ceux qui croiroient avoir
intérêt de tenir les efprits dans les ténèbres, fuffent-
ils affez pré voya ns pour preffentir la fuite des progrès
de cette fcience, manqueroient toûjours de prétexte
pour l’empêcher de fe répandre. Bien-tôt l’étude de '
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îa Géométrie conduira à celle de la mêchanique ; cel-
le-ci mènera comme d’elle-même & fans obftacle, à
l’étude de la faine Phyfique ; & enfin la faine Phyfi-
que à la vraie Philofophie, qui par la lumière générale
& prompte qu’elle répandra , fera bien-tôt plus
puiffante que tous les efforts de la fuperftition ; car
ces efforts, quelque grands qu’ils foient, deviennent
inutiles dès qu’une fois la nation eft éclairée.
C roira -t-on que nous parlons férieufement, fi
nous employons les dernieres lignes de cet article à
juftifier les Géomètres du reproche qu’on leur fait
d ’ordinaire, de n’être pas fort portés à la foûmiflion
eh matière de foi ? Nous aurions honte de répondre à
cette imputation, fi elle n’étoit malheureufement
aufli commune qu’elle eft injufte. Bayle qui doutoit
& fe moquoit de tout, n’a pas peu contribué à la répandre
par les réflexions malignes qu’il a hafardées
dans l’article Pafcal, contre l’orthodoxie des Mathématiciens,
& par fes lamentations fur le malheur
que les Géomètres ont eu jufqu’ici de ne voir aucun
de leurs noms dans le calendrier; lamentations trop
peu férieufes pour être rapportées dans un ouvrage
aufli grave que celui-ci. Sans répondre à cette mau-
vaife plaifanterie par quelqu’autre, il eft facile de
fe convaincre par la leàure des éloges académiques
de M. de Fontenelle, par les vies de Defcartes, de
Pafcal, & de plufieurs mathématiciens célébrés,
qu’on peut être géomètre fans être pour fes freres un
fujet de fcandale. La Géométrie à la vérité ne nous
difpofe pas à ajoûter beaucoup de foi aux raifonne-
tnens de la Medecine fyftématique, aux hypothèfes
des phyficiens ignorans, aux fuperftitions & aux
préjugés populaires ; elle accoûtume à ne pas fe contenter
aifément en matière de preuves : mais les vérités
que la révélation nous découvre, font fi différentes
de celles que la raifon nous apprend, elles y
ont fi peu de rapport, que l’évidence des unes ne
doit rien prendre fur le refpeft qu’on doit aux autres.
Enfin la foi eft une grâce que Dieu donne à qui
il lui plaît ; & puifque l’Evangile n’a point défendu
Fétude de la Géométrie, il eft à croire que les Géomètres
font aufli fufceptibles de cette grâce que le
refte du genre humain. (O)
GÉOMÉTRIE, f. f. (Ordre encycl. Entend. Raif.
Philofoph. ou Science , Science de la Nat. Mathémath.
Mathémath. pures, Géométrie.) eft la fcience des propriétés
de l’étendue, en tant qu’on la confidere comme
Amplement étendue & figurée. ^ '■
Ce mot eft formé de deux mots grecs, y» ou
terre, & pirpw, mefiire; & cette étymologie fembk
nous indiquer ce qui a donne naiffance à la Géométrie'.
imparfaite & obfcure dans fon origine comme
toutes les autres fciences, elle a commencé par une
efpece de tâtonnement, par des mefures & des opérations
groflieres, & s’eft élevée peu-à-peu à ce degré
d’exaûitude & de fublimité où nous la voyons.
Hijloire abrégée de la Géométrie. Il y a apparence
que la Géométrie, comme la plupart des autres fciences,
eft née en Egypte, qui paroît avoir été le berceau
des connoiflances humaines, ou, pour parler
plus exactement, qui eft de tous les pays que nous
connoiffons, celui où les Sciences paroiffent avoir
été le plus anciennement cultivées. Selon Hérodote
& Strabon, les Egyptiens ne pouvant reconnoître
les bornes de leurs héritages confondues par les inondations
du Nil , inventèrent l’art de mefurer &c de
divifer les terres, afin de diftinguer les leurs par la
confidération de la figure qu’elles avoient, & de la
furface qu’elles pouvoient contenir. Telle fut, dit-
on , la première aurore de la Géométrie. Jofephe, hif-
torien zélé pour fa nation, en attribue l’invention
aux Hébreux ; d’autres à Mercure. Que ces faits
foient vrais ou non , il paroît certain que quand les
gommes ont commencé à pofféder des terres, & à
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vivre fous des lois différentes, ils n’ont pas été longr
tems fans faire fur le terrein quelques opérations pour
le mefurer, tant en longueur qu’en furface, en entier
ou par parties ; & voilà la Géométrie dans fon origine.
De l’Egypte elle paffa en Grece, où on prétend
que Thaïes la porta. 11 ne fe contenta pas d’apprendre
aux Grecs ce qu’il avoit reçû des Egyptiens ; il
a joûta à ce qu’il avoit appris, & enrichit cette fcience
de plufieurs propofitions. Après lui vint Pythagore ,
qui cultiva aufli la Géométrie avec fuccès, & à qui
on attribue la fameufe propofition du quarré de l’hy-
pothénufe. ^bye^HYPOTHÉNUSE. On prétend qu’il
fut fi ravi de cette découverte, qu’il facrifia de joie
cent boeufs aux Mufes. Il y a apparence, dit un auteur
moderne, que c’étoient des boeufs de cire ou de
pâte ; car Pythagore défendoit de tuer les animaux,
en conféquence de fon fyftème de la métempfycofe,
qui (pour un philofophe payen) n’étoit pas l’opinion
du monde la plus abfurde. Voye^ Métempsycose.
Mais il y a plus d’apparence encore que le fait n’eft
pas vrai ; ce qui difpenfe de l’expliquer. Après Pythagore
, les philofophes & les écoles qu’ils formèrent
, continuèrent à cultiver l’étude de la Géométrie.
Plutarque nous apprend qu’Anaxagore de Clazome-
ne s’occupa du problème de la quadrature du cercle
dans la prifon où il avoit été renfermé, & qu’il
compofa même un ouvrage fur ce fujet. Cet Anaxagore
avoit été accufé d’impiété, pour avoir dit que
les aftres étoient matériels ; & il eût été condamné
à mort, fans Periclès qui lui fauva la vie. On voit par
cet exemple, s’il eft permis de le dire en paffant,
que ce n’eft pas d’aujourd’hui que les Philofophes
font perfécutes pour avoir eu raifon ; & que les prêtres
grecs étoient aufli habiles que certains théologiens
modernes, à ériger en articles de religion ce
qui n’en étoit pas.
Platon qui donnoit à Anaxagore de grands éloges
fur fon habileté en Géométrie, en méritoit aufli beaucoup
lui-même. On fait qu’il donna une folution très-
fimple du problème de la duplication du cube. Voyeç
D u p l ic a t io n .On fait aufli que ce grand philofophe
appelloit Dieu l’éternel géomètre (idée vraiment jufte
&digne de l’Être fuprème), & qu’il regardoit la Géo-
mtérie comme fi néceflaire à l’étude de la Philofophie,
qu’il avoit écrit fur la porte de fon école ces paroles
mémorables, qu'aucun ignorant en Géométrie n'entre
ici. Entre Anaxagore & Platon, on doit placer Hippocrate
de Chio, qui mérite qu’on en fafle mention
par fa fameule quadrature de la lunule, A’byeç Lunule.
Feu M. Cramer, profeffeur de Philofophie à
Genève, nous a donné dans les mémoires de l’académie
des Sciences de Pruffe pour l’année 1748,
une très - bonne differtation fur ce géomètre : on y
lit qu’Hippocrate dans un voyage qu’il fit à Athènes
, ayant eu occafion d’écouter les philofophes ,
prit tant de goût pour la Géométrie , qu’il y fit des
progrès admirables ; on ajoûte que cette étude développa
fon talent, & qu’il avoit pour tout le refte
l ’efprit lent & bouché; ce qu’on raconte auflî de
Clavius, bon géomètre du feizieme fiecle. Il n’y a
rien d’étonnant à tout cela ; mais le comble de l’ineptie
eft d’en faire une réglé. Voye^ G éomètre.
Euclide qui vivoit environ cinquante ans après
Platon, & qu’il ne faut pas confondre avec Euclide
de Megare contemporain de ce philofophe, recueillit
ce que fes prédéceffeurs avoient trouvé fur les
élémens de Géométrie ; il en compofa l’ouvrage que
nous avons de lu i, & que bien des modernes regardent
comme le meilleur en ce genre. Dans ces élémens
il ne confidere que les propriétés de la ligne
droite & du cercle, & celles des furfaces & des fo-
lides reftilignes ou circulaires : ce n’eft pas néanmoins
que du tems d’Euclide il n’y eût d’autre courbe
connue que le cercle ; les Géomètres s’étoient