tîe convenance. Tels font en françois les noms aigle
(a ) , renard, qui font toujours mafculins, 6c les
noms tourterelle , chauve-fouris , qui font toujours
féminins pour les deux fexes. En latin au contraire-,
& ceci prouve bien l’indépendance & l’empire de
l’ufage, les noms correfpondans aquila 6c vulpes font
toujours féminins; turtur 6c vefipertilio font toujours
mafculins. Les Grammairiens difent que ces noms
font du genre épicene , mot grec compofé de la pré-
pofition tV), fuprà, 6c du mot zoi*oç, commuais : les
noms épicenes ont en effet comme les communs,
l’invariabilité de la terminaifon, 6c ils ont de plus
celle du genre qui eft unique pour les deux fexes.
Il ne faut donc pas confondre le genre commun &
le genre épicene. Les noms du genre commun conviennent
au mâle & à la femelle fans changement
dans la terminaifon ; mais on les rapporte ou au genre
mafculin, ou au genre féminin, félon la lignification
qu’on leur donne dans l’occurrence : au genre
mafculin ils expriment le mâle, au genre féminin la
femelle ; 6c fi on veut marquer l’efpece , oq^les rapporte
au mafculin, comme au plus noble des deux
genres compris dans l’efpece. Au contraire les noms
du genre épicene ne changent ni de terminaifon ni de
genre, quelque fens qu’on donne à leur lignification ;
vulpes au féminin lignifie 6c l’efpece, & le mâle, 6c
la femelle.
IV. Quant aux noms des êtres inanimés, on appelle
douteux ceux qui fous la même terminaifon fe
rapportent tantôt à un genre, 6c tantôt à un autre :
dies & finis font tantôt mafculins & tantôt féminins ;
fiai eft quelquefois mafculin 6c quelquefois neutre.
Nous avons également des noms douteux dans notre
langue, comme bronze, garde, duché, équivoque
, 6cc.
Ce n’étoit pas l’intention du premier ufage de répandre
des doutes fur le genre de ces mots, quand il
les a rapportés à différens genres ; ceux qui font effectivement
douteux aujourd’hui, 6c que l’on peut librement
rapporter à un genre ou à un autre, ne font
dans ce cas que parce qu’on ignore les caufes qui ont
occafionné ce doute, ou qu’on a perdu de vue les
idées acceffoires qui originairement avoient été' attachées
au choix du genre: L’ufage primitif n’introduit
rien d’inutile dans les langues ; & de même qu’ib
y a lieu de préfumer qu’il n’a autorifé aucuns mots
exactement fynonymes, on peut conjeCiurer qu’aucun
n’eft d’un genre abfolument douteux, ou que l’origine
doit en être attribuée à quelque mal-entendu.
En latin, par exemple , dies avoit deux fens différens
dans les deux genres : au féminin il fignifioit un
tems indéfini ; 6c au mafculin, un terns déterminé , un
jour. Afconius s’en explique ainli : Dies feminino généré
, tempus , & ideb diminutive diecula dicitur breve tem-
pus & mora : dies horarum duodecim generis mafculini
efi, undchodiedicimus, quafi hoc die. En effet les com-
pofés de dies pris dans ce dernier fens, font tous mafculins
, mendies ,fefquidies , 6cc. & c ’eft dans le premier
fens que Juvenal a dit, longa dies igitur quid
contulit? c’eft-à-dire longum tempus ; & Virg. (xj.
Æneid.) Multa dies , variufque labor mutabilis oevi ret-
tulit in melius. La méthode de Port-Royal remarque
que l’on confond quelquefois ces différences ; & cela
peut être vrai : mais nous devons obferver en premier
lieu, que cette confufion eft un abus fi l’ufage
confiant de la langue ne Eautorife: en fécond lieu,
que les Poètes facrifient quelquefois la jufteffe à la
commodité d’une licence, ce qui amene infenfible-
ment l’oubli des premières vûes qu’on s’étoit propo-
fées dans l ’origine : en troifieme lieu , que les meil-
(<t) On dit cependant l'ai fie romaine » mais alors il n’eft pas
qucftion de l'animal ; il s’agit'd'une énfeigne, & peut-être y
a-t-il ellipfe; l’ai fie romain.e, au lieu de l'aigle enfeigne roleurs
écrivains ont égard autant qu’ils peuvent à ces
diftin&ions délicates fi propres à enrichir une langue
& à en cara&érifer le génie : enfin que malgré leur
attention, il peut quelquefois leur échapper des fautes
, qui avec le tems font autorité, à caufe du mérite
perfonnel de ceux à qui elles font échappées.
Finis au mafculin exprime les extrémités, les bornes
d’une chofe étendue ; redeuntes inde Ligururn ex-
tremo fine ( Tite-Liv. lib. X X X I I I . ). Au féminin il
défigne ceffation d’être ; hoec finis Priami fatorum.
(Virg; Æneid. ;>.)
S al au neutre eft dans le fens propre, 6c au mafculin
il ne fe prend guere que dans un fens figuré.On
trouve dans l’Eunuque de Térence, qui habet fiaient
qui in te efi ; 6c Donat fait là-deflusla remarque fui-
vante : fiai neutraliter , condimentum ; mafculinum, pro
fiapientia.
En françois, bronze au mafculin fignifie un ouvrage
de l ’art, 6c au féminin il en exprime la matière. On
dit la garde du roi, en parlant de la totalité de ceux qui
font actuellement poftés pour garder fa perfonne, 6c
un garde du roi, en parlant d’un militaire aggrégé à
cette troupe particulière de fa maifon, qui prend fon
nom de cette honorable commiflion. Duché 6c Comté
n’ont pas des différences fi marquées ni fi certaines
dans les deux genres ; mais il eft vraiffemblable qu’ils
les ont eues, 6c peut - être au mafculin exprimoient-
ils le titre, & au féminin, la terre qui en étoit décorée
.Q
ui peut ignorer parmi nous que le mot équivoque
eft douteux, 6c qui ne connoît ces vers de Del-
préaux ?
D u langage françois bifarre hermaphrodite ,
De quel genre te faire équivoque maudite,
Ou maudit? car fans peine aux rimeurs haçari
deux ,
L ’ufage encor , je crois , laïfije le choix des deux.
Ces vers de Boileau rappellent le fouvenir d’une note
qui fe trouve dans les éditions pofthumes de lès
oeuvres, furie vers 91. du quatrième chant de l’art
poétiqu e : que votre ame & vos moeurs peintes dans vos
ouvrages, 6cc. & cette note eft très ^propre à confirmer
une obfervation que nous avons faite plus haut :
on remarque donc que dans toutes les éditions l’auteur
avoit mis peints dans tous vos ouvrages, attribuant
à moeurs le genre mafculin ; 6c que quand on
lui fit appercevoir cette faute, il en convint fur le
champ, & s’étonna fort qu’elle eût échappé pendant
fi long-tems à la critique de fes amis 6c de fes
ennemis. Cette faute qui avoit fubfifté tant d’années
fans être apperçue, pouvoit l’être encore plûtard, 6c
lorfqu’il n’auroit plus été tems de la corriger; la jufte
célébrité de Boileau auroit pu en impofer enfuite à
quelque jeune écrivain qui l ’auroit copié, pour l’être
, enfuite lui-même par quelque autre, s’il avoit acquis
lin certain poids dans la Littérature : & voilà moeurs
d’un genre douteux ,\ à l’occafiom d’une faute contre
laquelle il n’y auroit eu d’abord aucune réclamation,
parce qu’on.ne l’auroit pas apperçue à tems.
V. La derniere claffe des noms irréguliers dans le
genre , eft celle des hétérogènes. R. R. t'npoc, autre ,
6c ylvoç, genre. Ce font en effet ceux qui font d’un
genre au fingulier, 6c d’un autre au pluriel.
En latin, les uns font mafculins au fingulier , 6c
neutres au pluriel, c om m e Jib.ilus , tartarus, plur.
J ib i la , t art ara : les autres au contraire neutres au
fingulier, font mafculins au pluriel, comme coeliim ,
elyjium , f iin r .^ oe li, elyfii. : : •
Ceux-ci féminins au fingiilier font neutres au pluriel,
carbafius , Jupellex j plur. carbaj'a ,fiuppeLUclàia ;
ceux-là neutres au fingulier, font féminins au pluriel
; delictum, epulum ; plur. delicioe, epuloe.
Enfin quelques-uns mafculins au fingulier,-font
mafculins & neutres au pluriel, ce qui les rend tout-
à - la -fois hétérogènes & douteux ; jocus, locus, plur.
joci &t joca, loci 6c loca : quelques autres au contraire
neutres au fingulier, font au pluriel neutres 6c mafculins
ifrtenum , rafirumj plur.firoena ècfroeni, rafira
& rafiri.
Balnoeum neutre au fingulier, eft au pluriel neutre
& féminin ; balnea & balneoe.
Cette forte d’irrégularité vient de ce que ces noms
ont eu autrefois au fingulier deux terminaifons différentes
, relatives fans doute à deux genres, & vrai-
femblablement avec; différentes idées acceffoires
dont la mémoire s’eft infenfiblement perdue ; ainfi
nous connoiffons encore la différence des noms féminins
, malus pommier , prunus prunier , & des
noms neutres malum pomme, prunum prune ; mais
nous n’avons que dés cônjeftures fur les différences
des mots acinus &c acinùm , bacülus & baculum.
Il étoit naturel que les pronoms avec une lignification
vague 6c propre à remplacer celle de tout autre
nom, ne fuflènt attachés à aucun genre déterminé
, mais qu’ils fe rapportaffent à celui du nom qu’ils
repréfentent dans le difcours ; 6c c’eft ce qui eft arrivé
: ego en latin , je en françois , font mafculins
dans la bouche d’un homme, 6c féminins dans celle
d’une femme : ille EGO q u i quondam , 6cc. afi ego
QU Æ divum incedo regina, 6ic. je fuis certain, je Juis
■ certaine. L’ufage en a déterminé quelques- uns par
des formes exclufivement propres à un genre diftinéh
ille , a , ud ; i l , elle. ’
- « Ce eft fouvent fubftantif, dit M. duMarfais,
s> c’eft le hoc des latins ; alors, quoi qu’en difent les
»> grammairiens, ce eft du genre neutre : car on ne
,> peut pas dire qu’il foit mafculin ni qu’il loit fé-
» minin ».
Ce neutre en françois ! qu’eft ce donc que les genres?
Noiis croyons avoir lutfilamment établi la notion
que nous en avons donnée plus haut ; 6c il en
xéfulte très - clairement que la langue françoife
n’ayant accordé à fes adjeaifs que deux terminaifons
relatives à la diftinâion des genres, elle n’en
admet en effet que deux, qui font le mafculin 6c le
féminin ; un bon citoyen , une bonne mere.
Ce doit donc appartenir à l’un de ces deux genres ;
6c il eft effectivement mafcuhn, puilqu’on donne la
terminaifon mafculine aux adjeCtifs corrélatifs de ce,
comme CE que f i avance efi c e r t a i n . Quelles pou-
voient donc être les vûes de notre illuftre auteur ,
quand il prétendoit qu’on ne pouvoir pas dire de ce,
qu’il fût mafculin ni qu’il fût féminin ? Si c’eft parce
que c’eft le hoc des Latins, comme il femble l’infi-
nuer ; difons donc aufli que temple eft neutre, comme
templum, que montagne eft maiculin comme mons.
L ’influence de la langue latine lur la nôtre, doit être
la même dans tous les cas pareils, ou plûtôt elle eft
abfolument nulle dans celui-ci.
Nous ofons efpérer qu’on pardonnera à notre
amour pour la vérité cette oblervation critique,
& toutes les autres que nous pourrons avoir occa-
lion de faire par la fuite, fur les articles de l’habile
grammairien qui nous a précédé : cette liberté eft
néceffaire à la perfeftion de cet ouvrage.' Au fur-
plus c’eft rendre une efpece d’hommage aux grands
hommes que de critiquer leurs écrits : fi la critique
eft mal fondée, elle ne leur fait aucun tort aux yeux
du public qui en juge ; elle ne fert même qu’à mettre
le vrai dans un plus grand jour : fi elle eft folide,
elle empêche la contagion de l’exemple, qui eft d’autant
plus dangereux, que les auteurs qui ie donnent
ont plus de mérite 6c de poids ; mais dans l’un 6c
dans l’autre cas, c’eft un aveu de l’ellime que l’on a
pour eux ; il n’y a que les écrivains médiocres qui
puiffent errer fans conféquence.
Nous terminerions ici notre article des genres, fi
Tome VIT,
une remarque deM. Duc los, furie chap. v. de la
ij. partie de la Grammaire générale, n’exigeoit encore
de nous quelques réflexions. « L ’inftitution ou la
» diftinâion des genres , dit cet illuftre académicien,
»eft une chofe purement arbitraire, qui n’eft nulle-
» ment-fondée en rai fon, qui neparoit.pas avoir le
» moindre avantage , 6c qui a beaucoup d’inconvé-
» niens ». Il nous femble que cette décifion peut recevoir
à certains égards quelques modifications.
Les genres ne paroiffent avoir été inftitués que
pour rendre plus fenfible la corrélation des noms 6c
des adjeftifs; & quand il feroit vrai que la concordance
des nombres & celle des cas, dans les langues
qui en admettent, auroient fuffi pour cara&érifer
nettement ce rapport, l’efprit ne peut qu’être fatis-
fait de rencontrer dans la peinture des penfées un
coup de pinceau'qui lui donne plus de fidélité, qui
la détermine plus fûrement, en un mot,.qui éloigne
plus infailliblement l’équivoque. Cet acceffoire
étoit peut-être plus néceffaire encore dans les langues
où la conftruâion n’eft affujettie à aucune loi
méchanique, 6c que M. l’abbé Girard nomme tranfi-
pofitives. La corrélation de deux mots fouvent très-
éloignés, leroit quelquefois difficilement apperçue
fans la concordance des genres, qui y produit d’ailleurs
, pour la fatisfaéfion de l’oreille, une grande
variété dans les fons 6c dans la quantité des fyllabes.
Voye^ Q u an t it é .
Il peut donc y avoir quelqu’exagération à dire
que l’inftitution des genres n’eft nullement fondée en
raifon, & qu’elle ne paroîr pas avoir le moindre
avantage ; elle eft fondée fur l’intention de produire
les effets mêmes qui en font la fuite.
Mais, dit-on, les Grecs & les Latins avoient trois
genres ; nous n’en avons que deux, 6c les Anglois n’en-
ont point : c’eft donc une chofe purement arbitraire*
Il faut en convenir ; mais quelle conféquence ultérieure
tirera t-onde celle-ci? Dans les langues qui
admettent des cas, il faudra-raifonner de la même
maniéré contre leur inftitution , elle eft aufli arbitraire
que celle desgenres : les Arabes n’ont que trois
cas, les Allemands en ont quatre, les Grecs en ont
cinq, les Latins fix, 6c les Arméniens jufqu’à dix*
tandis que les langues modernes du midi de l’Europe
n’en ont point.
On répliquera peut-être que fi nous n’avons point
de cas, nous en remplaçons le fervicepar celui des
prépofitions (voyeç C as & Prépo sitio n) , 6c par
l’ordonnance relpeêive des mots (yoye^C o nstru ct
io n & R ég im e ) ; mais on peut appliquer la même
obfervation au fervice des genres, que les Anglois
remplacent par la pofition, parce qu’il eft indilpen-
fable de marquer la relation de I’adjeftif au nom.
11 ne refte plus qu’à objeêer que de toutes les maniérés
d’indiquer la relation de l’adjeftif au nom, la
maniéré angloile ell du moins la meilleure ; elle n’a
l’embarras d’aucune terminaifon : ni genres, ni nombres,
ni cas, ne viennent arrêter par des difficultés
fa&ices, les progrès des étrangers qui veulent apprendre
cette langue, ou même tendre des pièges
aux nationaux , pour qui ces variétés arbitraires
font des ôccafions continuelles de fautes. II faut
avouer qu’il y a bien de la vérité dans cette remarque
, 6c qu’à parler en général, une langue débar-
ralfée de toutes les inflexions qui ne marquent que
des rapports , feroit plus facile à apprendre que
toute autre qui a adopté cette maniéré; mais il faut
avouer aufli que les langues n’ont point été inftitiu.es
pour être appnfes par les étrangers, mais pour être
parlées dans la nation qui en fait ufage ; que les fautes
des étrangers ne peuvent rien prouver contre une
langue, 6c que les erreurs des naturels font encore
dans le même ca s , parce qu’elles ne font qu’une
fuite ou u’un defaut d’éducation, ou d’un défaut
F F f f ij