que dans les premières, les coquilles, & les autres
corps marins pétrifiés font à plat ; que dans les fécondés,
elles font difpofées affez irrégulièrement; que
les fentes perpendiculaires font plus larges dans les
iiibftances molles que dans les matières les plus compares
, &c. Quelle que foit la multiplicité des agens
que faffe mouvoir la nature, & la variété des formes
qu’elle donne à fes effets, cependant tout tend à un
enfemblc : un corps étranger qui fe trouve placé au
milieu de fubftances de nature différente ; un amas de
talc au milieu des matières calcaires ; des blocs de
grès au milieu des marnes ; des fables au milieu des
glaifes ; toutes ces obfervations font très-effentielles
pour connoître la diftribution générale.
Comme unfeul homme nepeutpas tout voirparfoi-
même, & que c’eftla condition de nos connoiffances
de devoir leurs progrès aux découvertes & aux recherches
combinées de plufieurs obfervateurs ; il eft
«éceffaire de s’en rapporter au témoignage des autres :
mais parmi ces defcriptions étrangères, il y a beaiu-
coup de choix; & dans ce difcernement il faut employer
une critique férieufe 6c une difcuffion l'evere.
L’expérience & la raifon nous autorifent à nous défier
généralement de tous les faits de cette nature dont les
anciens feuls font les garans ; nous ne nous y attacherons,
nous n’y ferons attention que pour les vérifier
ou qu’autant qu’on t’aura fait & qu’ils feront dégagés
de ce merveilleux que ces écrivains leur prêtent
ordinairement ; ou enfin lorfque leurs détails rentrent
dans des circonftances avérées 6c indubitables d’ailleurs.
Mais nous croyons qu’on doit profcrire nommément
tous ces fameux menfonges qui par une négligence
blâmable ou par une imbécille crédulité,
ont été tranfmis de fiecles en fiecles, & qui tiennent
la place de la vérité. On peut juger par l’emploi fréquent
que s’en permettent les compilateurs, du tort
qu’ils font aux Sciences. Cependant pour les profcrire
fans retour, il faut être en état de leur fubfti-
tuer le vrai, qui fouvent n’eft qu’altéré par les idées
Jes plus bizarres. On eft entièrement détrompé d’une
illufion, lorfqu’on connoît les prétextes qui l’ont fait
naître.
Quant à ce qui concerne les auteurs qui ont écrit
avant le renouvellement des Sciences, ils ne doivent
être confultés qu’avec réferve •; privés des connoiffances
capables de les éclairer 6c de les guider dans
la difcuffion des faits, ils ne les ont obfervés qu’im-
parfaitement ou fous un point de vue qui fe rapporte
toujours à leurs préjugés. Kircher décrit, deffi-
n e , préfente les coupes des réfervoirs foûterreins
qui fervent, félon lui, à la diftribution des eaux de
la mer par les fources ; il nous débite de la meilleure
foi du monde des détails merveilleux fur les gouffres
abforbans de la mer Cafpienne, fur le feu central,
fur les cavernes foûterreinefc, comme s’il eût eu des
obfervations fuivies par rapport à tous ces objets,
qui ne font autorifés parmi nous que d’après les
écrits hafardés d’écrivains aufîi judicieux.
En général, les obfervateurs ouignorans,ou prévenus
, ou peu attentifs, qui voyent les objets rapidement
, fans deffein , 6c fans difcuffion, ne méritent
que très-peu de croyance : je veux trouver dans l’auteur
même, dans les détails qu’il me préfente cette
bonne foi, cettefimplicité, cette abondance de vues
qui m’infpirent de la confiance pour fon génie d’ob-
lervation, &'pour l’exaâitude de fes récits.
Souvent l’obfervation nous abandonne dans certains
fujets compliqués ; elle n’efl pas affez précife ;
elle ne montre qu’une partie des effets, ou les montre
trop en grand pour qu’on puiffe atteindre à quelque
affertion qui mette de l’ordre dans nos idées.
Alors l’expérience eft indifpenfable ; il faut fe réfoudre
à fuivre les opérations de la nature avec
une confiance & une opiniâtreté que rien ne décourage,
fur-tout lorfqu’on efl affuré qu’on eft fur la
voie. Sans cette reftource, on ne peut être fondé à
raifonner fur les faits avec connoiffànce de caufe.
Tous les détails de l’obfervation ne pourront fe réunir
avec cette préeifion fi defirable dans les Sciences
, & ne porteront que fur des conféquences vagues
, fur des fuppofitions gratuites , qui préfentent
plutôt nos décifions que celles de la nature. Telle efl,
par exemple, comme nous l’avons remarqué à Yar-
ticle Fo n ta in e , l’obfervation delà quantité de pluie
qui tombe fur les différentes parties de la terre, 6c
fa comparaifon avec la maffe des eaux qui circulent
dans la même étendue : de-là dépend le dénouement
de tout ce qui concerne l’origine des fontaines , la
diftribution des vapeurs fur la furface des continens’
& les eaux courantes. On aura raffemblé tous les
faits, recueilli toutes les obfervations les plus curieu-
fes, on ne pourra , fans les réfultats précis des expériences
, rien prononcer de décifif fur ces objets im-
portans.
P rincipes qui ont pour objet la combinaifon des faits.
Comme les faits feuls 6c ifolés n’annoncent rien que
de vague, il faut les interpréter en les rapprochant
6c les combinant enfemble.
On fent plus que jamais aujourd’hui, qu’il eft presque
auffi important de mettre de l’ordre dans les découvertes,
que d’en faire ; les traits épars quirepré-
fentent la nature, nous échapperoient fans cette ref-
Jource. Prefque tous les phénomènes, fur-tout ceux
que tous avons en vû e, n’ont d’utilité que dans la
relation qu’ils peuvent avoir avec d’autres ; comme
les lettres de l’alphabet qui font inutiles en elles-mêmes,
forment parleur réunion les mots & les langues.
La nature d’ailleurs ne fe montre pas toute entière
dans un feul fait ou même dans plufieurs. Un phénomène
folitaire ne peut être mis en réferve , que
dans l’efpoir qu’il fe réunira quelque jour à d’autres
de même efpece : & comme dans le plan de la nature
un tel fait eft impôffible, un obfervateur intelligent
en trouvera peu de cette nature : un fait ifolé,
en un mot, n’eft pas un fait phyfique ; 6c la vraie
Pni-ofophie confifte à découvrir les rapports cachés
aux vues courtes 6c aux efprits inattentifs : un exemple
frappant fera fentir la jufteffede ces principes. Le
P . Feuillée avoit obfervé « que les coupes des ro-
» chers près deCoquimbo, dans le Pérou , étoient
» perpendiculaires au niveau ; que les unes allant de
» l’eft à l’oiieft & les autres du nord au fud, fe cou-
» poient à angles droits ; que les premières coupes
» étoient parallèles à l’équateur, 6c les autres au
» méridien ». Si ce favant religieux eût été conduit
par les vûes que nous indiquons ici, bien loin de remarquer,
comme il le fait, que la nature avait ainfi
configuré les montagnes pour rendre cette partie du
monde déjà fi riche par fes mines, plus parfaite que
les autres; il auroit conçûle deffein de fe procurer
des obfervations correfpondantes dans les autres continens
, & ne fe feroit pas borné à la confédération in-
fruétueufe des caufes finales. Voy. C auses f inales.
Cette idée bien combinée depuis valut à M. Bour-
guet la découverte des angles correfpondans, &c.
Ainfi il eft facile de fentir la néceffité de combiner
les faits; cette opération délicate s’exécute fur deux
plans différens. Il y a une combinaifon d’ordre & de
colleêHon ; il y a une combinaifon d’analogie.
A-mefure que l’on amaffe des faits 6c des obfervations
, on en feroit plûtôc accablé qu’éclairé, fi l’on/
n’avoit foin de les réduire à certaines claffes déterminées
plûtot par le fujet que par leur enchaînement
naturel : car les recherches notant pas affez multipliées,'
on n’a que des chaînons épars 6c qui n’annoncent
pas encore la correfpondance mutuelle qui
pourra quelque jour en former une fuite non interrompue.
Cependant comme on a toûjours befoin d’une
certaine apparence d’ordre, on arrange même dans
des partitions inexa&es : la vérité fè fera jour plûtôt
à-travers de cette petite méprife, qu’à-travers de la
'confufion ; le tems 6c les recherches reélifieront l’une
, au lieu qu’ils augmenteroient l’autre.
II faut même avoiier que ces partitions générales,
quoiqu’imparfaites, feroient plus convenables à notre
travail préfenr, qui eft de recueillir pour l’ufage
de la poftérité, 6c plus afforties à nos connoiffances
bornées 6c imparfaites fur certains fujets compliqués
qui n’ont encore reçû que la.première ébauche,que
ces vûes tronquées auxquelles l ’imagination donne
la forme 6c l’apparence d’une théorie. Ces tables feroient
comme les archives des découvertes , & le
dépôt de nos connoiffances acquifes, ouvert à tous
ceux qui fe fentiroient du zele & des talens pour
l’enrichir de nouveau. Les obfervateurs y parcour-
roient d’un feul coup-d’oeil 6c fous une préeifion lu-
mineufe , ce que nous délayons quelquefois dans
une confufion d’idées étrangères & bizarres, au mi-:
lieu defquelles la plus grande fagacité les démêle
avec peine.
Cette première opération ofïriroit de très-grandes
facilités à la fécondé : en contemplant les faits Amplifiés
, claffifiés avec un certain ordre, on eft plus
en état de faifir leurs correfpondances mutuelles &
ce qui peut les unir dans la nature ; cette diftribution
n’auroit pas lieu feulement pour les obfervations
que nous aurions recueillies des autres, mais
auffi pour celles que nous aurions faites par nous-
mêmes.
Ainfi nous tirerions de très-grands avantagesde cette
clarification des phénomènes, pour faifir leurs rapports
: mais il faut convenir que lorfque nous nous
ferons familiarifés avec les objets eux-mêmes, & que
nous aurons acquis l’habitude de les voir avec intelligence
, ils formeront dans notre efprit de ces
impreffions durables, 6c s’annonceront à nous avec
ces cara&eres de correfpondance qui font le fondement
de l’analogie. Nous nous élèverons infenfible-
ment à des vûes plus générales par lefquelles nous
embrafferons à-laffois plufieurs objets : nous faifirons
l’ordre naturel des faits ; nous lierons les phénomènes
; -6c nous parcourrons d’un feul coup - d’oeil une
fuite d’obfervations analogues, dont l’enchaînement
fe perpétuera fans effort.
Mais une première condition pour parvenir à ce
point de v û e , eft d’avoir fcrupuleufement obfervé
chaque objet comparé ; autrement on ne peut bien
faifir les juftes limites des rapports qui peuvent les
réunir. Si nous avons été exa&s à démêler ce qui pou-
voit rapprocher un fait d’un autre, 6c à découvrir ce
qui dans les phénomènes annonçoit une tendance
marquée à la correfpondance d’organifation, dès-
lors les analogies fe préfenteront à notre efprit d’elles
mêmes.
On fe laiffe fouvent féduire dans le cours de fes
obfervations , ou bien par négligence , ou bien par
une prévention de fy ftème ; en conféquence on a la
préfomption de voir au-delà de ce que la nature nous
montre , ou bien l’on craint d’appercevoir tout ce
qu’elle peut nous découvrir.D’après cette illufion, en
imagine de la reffemblance entre les objets les plus
diffemblables, de la régularité 6c de l ’ordre au milieu
de la confufion.
Dans toutes ces opérations, le grand art n’eft pas
de fuppléer aux faits, mais d’en combiner les détails
connus ; d’imaginer des circonftances, mais de fa-
voir les découvrir. En effet, à-mefure qu’on étudie
de plus en plus la nature, fon méchanilme, fon art,
fes reffources , la multiplicité de fes moyens dans
l’exécution, fes defordres mêmes apparens , tout
nous étonne , tout nous furprend ; tout enfin nous
infpire cette défiance & cette circonfpeélion qui mo-
Tome F IL
derent ce penchant indiferet de nous livrer à nosp: >
mieres vûes, ou de fuivre nos premières impreffions.
Afin de ne rien brufquer, il fera donc tres-pnident
de ne nous attacher qu’aux rapports les plus immédiats
, 6c de nous fervir de ceux qui ont été.apper-
çus &c vérifiés exaêlement, pour nous élever à d’autres.
Pour cela nous rangeons par ordre nos obfervations
, & nous en faifons de nouvelles brique
les rapports intermédiaires nous manquent. Nous
avons l’attention de ne pas lier des faits fans avoir
parcouru tous ceux qui occupent l’intervalle, par
une induélion dont la nature elle-même aura conduit
la chaîne. Bien-Ioinde furcharger de circonftances
merveilleufes ou étrangères les objets compliqués,
nous les décompoferons par une efpece d’analyle,
afin de nous borner à la comparaifon des parties ; &
à-mefure que nous avancerons dans ce travail, nous
recompoferons de nouveau toutes les parties & leurs
rapports, pour joiiir de l’eftèt du tout enfemble.
Ainfi nous nous attacherons d’abord aux analo--
gies des formes extérieures, enfuite à celles des maffia
ou des configurations intérieures ; enfin nous dif-
cuterons celles des circonftances. J’ai fuivi les contours
de deux montagnes qui courent parallèlement ;
j’ai remarqué la correfpondance de leurs angles fail-
làns 6c rentrans; je pénétré dans leur maffe, & je découvre
avec furprife que les couches qui par leur addition
forment la folidité de ces avance» angulaires,
font affujetties à la même régularité que les couches
extérieures. Je conclus la même analogie de régularité
par rapport aux directions extérieures & mutuelles
des chaînes, & par rapport à l’organilation
correfpondante des maffes. Je vais plus loin : je dis
que la forme extérieure des montagnes prife abfolu-
ment, a un rapport marqué de dépendance avec la
difpofition des lits qui entrent dans leur ftruôure intérieure.
Je poufferai même mes analogies fur la nature
des fubftances, leurs hauteurs correfpondantes,
6c j’obferverai, comme une circonftance très remar- ‘
quable, que les angles font plus fréquens 6c plus aigus
dans les vallons profonds & refferrés, .6>c.
Un point important fur lequel j’infifterai, fera
de ne point perdre de vû e , ni de diffimuler les différences
les plus remarquables, ou les exceptions les
plus legeres qui s’offriront à mes regards dans le
cours des rapports que j’aurai lieu de faifir 6c d’indiquer.
Les rapports que j’établirai en conféquence de
cette attention, feront moins vagues ; 6c d’après ce
plan je ferai même en état d’établir de nouveaux rapports
& des combinaifons lumineufes entre ces variétés,
lorfqu’elles s’annonceront avec les caraéleres
décififs d’une reffemblance marquée. Par ce moyen
je ne me permettrai aucune efpece de fuppofition ;
& bien-loin d’être tenté d’étendre des rapports au-
delà de ce que les faits me préfentent, dans le cas oîi
une exception me paroîtroit figurer mal, l’efpoir
que j’aurai de l’employer un jour avec fuccès , me
déterminera à ne la pas diffimuler ou négliger, comme
j’aurois été tenté de le faire, fi je l’euffe regardée
comme inutile. Cette exception me donnant lieu
d’en former une nouvelle claffe de variétés affujetties
à des effets réguliers, mon obfervation n’aura-
t-elle pas été plus avantageufe pour le progrès de la
Géographie phyfique, que fi j’euffe, à l’aide d’une illufion
affez facile , fuppofédes régularités uniformes }
Ce n’eft qu’avec ces précautions qu’on pourra recueillir
une fuite bien liée de faits analogues, &
qu’on en formera un enfemble dans lequel l’efprit
contemplera fans peine un ordre méthodique d’idées
claires & de rapports féconds.
Principes de la gènéralifation des rapports. C ’eft
alors que les principaux faits bien déterminés ,. décrits
avec exaftitude, combinés avec fagacité, font
pour nous une lourçe de lumière qui guide les ob-
H g g