G arde royale * en Normandie, eft celle qui appartient
au roi fur les enfans mineurs à caufe des fiefs
nobles qu’ils pofledent, mouvans immédiatement du ;
roi foit à caufe de fa couronne ou à caufe de fon
domaine. _ _
Cette efpece particulière de garde, qui eft propre
à la province de Normandie, pardît avoir eu la même
origine que la garde feigneuriale , ôc confequem-
ment la même origine que la garde noble, c’eft-à-dire
de fuppléer au fervice militaire que les vaffaux mineurs
n’éjoient pas en état de faire.
Nous croyons par la même raifon que l’ufage de
la garde royale eft aufli ancien que celui de la garde
feigneuriale ou garde noble dans les autres coû-
tumes.
Mais il y a auflî lieu de croire que cette garde fut
d’abord ducale avant d’être royale ; les fiefs ayant
commencé à devenir héréditaires vers la fin de la fécondé
race & au commencement de la troifieme,
c’ eft-à-dire dans le dixième fiecle. Rollo qui fut premier
duc de Normandie en 910, ou quelqu’un de fes
fuccefl'eurs ducs, établit fans doute la garde feigneuriale
ou ducale, à l’imitation des autres feigneurs.
Ceux-ci la remirent enfuite aux parens, moyennant
un droit de rachat; au lieu que les ducs de Normandie
continuèrent de jouir par eux-mêmes du droit
de garde : aufli Terrien, qui a travaillé fur l’ancienne
coûtume,ne parle-t-il pas de la garde royale, mais feulement
de la garde d’orphelins , qu’il divife en deux
efpeces, favoir celle qui appartient au duc de Normandie
, 6c celle qui appartient aux autres feigneurs
de la même province.
Cette garde ducale devint royale , foit lorfque
Guillaume II. dit le Bâtard 6c le Conquérant, feptieme
duc de Normandie, eut conquis le royaume d’Angleterre,
ce qui arriva l’an 1066 ; ou bien lorfque la
Normandie fut réunie à la couronne de France par
Philippe-Augufte.
Mais Terrien s’eft trompé, en fuppofant que la
garde avoit été introduite en Angleterre depuis que
les ducs de Normandie en ont été rois : car les barons
d’Ecoffe accordèrent le relief 6c la garde à Malcome
II. qui monta fur le throne d’Ecofle en 1004.
Il n’y a en Normandie que deux fortes de garde ,
favoir la garde royale 6C la garde feigneuriale ; la garde
bourgeoife n’y a pas lieu.
Le privilège de la garde royale eft que le roi fait
les fruits liens, non-feulement de ce qui échet pour
raifon des fiefs nobles tenus immédiatement de lu i,
ôc pour raifon defquels on tombe en garde : mais il a
auflî la garde, ôc fait les fruits fiens de tous les autres
fiefs, rotures, rentes, 6c revenus, tenus d’autres fei-
gneursque lui,médiatement ou immédiatement; au
lieu que la garde feigneuriale ne s’étend que fur les
fiefs nobles ou qui relevent immédiatement des feigneurs
particuliers, ôc non fur les autres fiefs nobles
ou autres héritages relevansôc mou vans d’autres feigneurs
que d’eux. La raifon de cette différence eft que
la majefté royale feroit blefîee de fouffrir un partage
avec d’autres feigneurs qui font les fujets du roi.
Si les arriere-vaflaux du roi viennent à tomber en
garde noble, pour raifon des fiefs nobles qui relevent
immédiatement des mineurs tombés en la garde noble
royale, le roi fait pareillement fiens les fruits Ôc revenus
de ces arriere-fiefs, tant que dure la garde noble
royale des-vaffaux immédiats, ôc que les arriere-
vaflaux font mineurs : de forte que fi la minorité de
ceux-ci duroit encore après la garde noble royale finie
, ils tomberoient en la garde du feigneur immédiat
pour le reftant de leur minorité ,ôc ne feroient
► plus dans la garde royale.
La garde royale ne s’étend point fur des fiefs ÔC biens
fitués dans une autre coûtume que celle de Normandie
, à-moins qu’elle n’eût quelque difpofition fein-
blable.
Les apanagiftes ni les engagiftes du domaine n’orit
point la garde royale; c’eft un droit de la couronne qui
eft inaliénable.
Le roi ne tire aucun bénéfice de la garde noble royale;
il en gratifie ordinairement les mineurs, ou leurs
pere ou mere, ou quelqu’un de leurs parens ou amis :
mais le droit de patronage qui appartient aux mineurs
étant en la garde du roi , n’eft point compris
dans le don ou remife que le roi fait de la garde.
S’il n’y a qu’un feul bénéfice, le roi y préfente à
l’exclufion de la doiiairiere qui joiiit du fief ; mais
s’il y en a plufieurs, la doiiairiere préfente au bénéfice
dont le patronage eft attaché au fief dont elle
joiiit.
La garde royale ou feigneuriale ne commence que
du jour qu’elle eft demandée en juftice , fi ce n’eft
par rapport à la préfentation aux bénéfices.
Elle finit à l’âge de vingt-un ans accomplis, pour
les mâles ; au lieu que la garde feigneuriale finit à
vingt ans, tant pour les mâles que pour les filles.
La garde royale finit à l’âge de vingt ans accomplis
pour les filles, ôc même plutôt fi elles font mariées
du confentement de leur feigneur & des parens
& amis : c’eft la même chofe, à cet égard , pour la
garde feigneuriale.
Les charges de la garde royale font les mêmes que
celles de la garde feigneuriale ôc de la garde noble en
générali/.'^V
Ceux auxquels le roi a fait don ou remife de la
garde royale, font en outre obligés d’en rendre compte
aux mineurs lorfque la garde eft finie, excepté torique
le donataire eft étranger à la famille.
Le donataire de la garde qui eft parent du mineur,
eft feulement exempt des intérêts pupillaires ; il ne
peut demander que fes voyages ôc féjours, ôc non
des vacations.
Le don ou remife de la garde fait à la mere, quoiqu’elle
ne foit pas tutrice, ou au tuteur depuis fon
eleftion, eft réputé fait au mineur, au profit duquel
ils font obligés de tenir compte des intérêts pupillaires
; ce qui a lieu pareillement quand lors de l’é-
leftion le tuteur ne s’eft point réfervé à jouir de la
garde qui lui étoit acquife avant fa tutelle. Art. 3 C.
du réglement de 1 CGC.
En concurrence de plufieurs donataires de la garde
royale, celui qui eft parent eft préféré à l’étranger ;
ôc entre parens , c’eft le plus proche. Voye£ ci-après
Garde seigneuriale ; & les commentateurs de la
coûtume de Normandie , fur les articles 214. & Cuiv.
■
Garde seigneuriale, en Normandie, eft la
garde noble des enfans mineurs, qui appartient aux
feigneurs particuliers de fiefs , à caufe des fiefs qui
relevent immédiatement d’eux. L’origine de ce droit
eft la même que celle de la garde royale ôc de la garde
noble en général.
Cette garde ne s’étend point fur les autres fiefs ôc
biens des mineurs ; quand même ces biens feroient
aufli fitués en Normandie.
Le feigneur qui a la garde fait les fruits fiens, fans
être obligé d’en rendre compte, ni de payer aucun
reliquat.
Le devoir du feigneur eft de veiller fur la perfonne
Ôc fur las intérêts du mineur ; de ne rien faire à fon
préjudice ; enfin d’enufer comme un bon pere de famille
: autrement, fi le feigneur abufoit de la garde ,
on pourroit l’en faire décheoir.
Il eft libre au feigneur, quoiqu’il ait accepté la garde
, d’y renoncer dans la fuite, s’il reconnoît qu’elle
lui foit plus onérëufe que profitable.
Le feigneur n’eft obligé à la nourriture, ôc n’entretient
des mineurs fur les biens compris en la garde,
qu’au cas qu’ils n’ayent point d’ailleurs de revenu
fuffifant.
• On donne un tuteur au mineur pour les biens qui
n’entrent pas dans la garde.
Mais fi le tuteur ôc les parens du mineur abandon*-
ment au feigneur la joiiiflance de tous les biens des
mineurs, alors il eft obligé d’entretenir le mineur félon
fon état ôc eu égard à la valeur des biens , de
contribuer au mariage des filles, de conferver le fief
en fon intégrité, & a acquitter les arrérages des rentes
foncières hypothécaires ôc charges réelles.
S’il y a plufieurs feigneurs ayant la garde noble à
caufe de divers fiefs appartenans au mineur , chacun
contribue aux charges de la garde pour fa quote-
part ; Ôc fi les feigneurs y manquoient, les tuteurs
ou parens pourroient les y contraindre par juftice.
Le feigneur qui a la garde doit entretenir les biens
comme un bon pere de famille.
Si pendant que le mineur eft en la garde de fon feigneur
, ceux qui tiennent quelque fief noble de ce mineur
tombent aufli en garde, elle appartient au mineur
, ôc non à fon feigneur ; à la différence de la
garde royale, qui s’étend fur les arriere-fiefs.
La garde feigneuriale finit à l’âge de vingt ans accomplis
, tant pour les mâles que pour les filles ; ôc
pour la faire ceffer, il fuffit de faire fignifier au feigneur
le pafle-âgé, c’eft-à-dire que le mineur eft devenu
majeur.
. Elle peut finir plutôt à l’égard des filles par leur
mariage, pourvu qu’il foit fait du confentement dit
feigneur gardien ôc des parens ôc amis.
Si la fille qui eft fortie de garde époufe un mineur,
elle retombe en garde.
La femme mariée ne retombe point en garde encore
que fon mari meure avant qu’elle ait l’âge de 20 ans.
Celui qui fort de garde ne doit point de relief à fon
feigneur.
La fille aînée mariée, qui n’a pas encore vingt ans
accomplis, ne tire point fes foeurs puînées hors de
garde jufqu’à ce qu’elles foient mariées ou parvenues
à l’âge de vingt ans ; fauf à la fille aînée à demander
partage au tuteur de fes foeurs. Voye^ les commentateurs
de la coutume de Normandie , fur les art.
214. & fuiv. jufque ÔC compris l’art. 2 34 ; & ci-devant
Garde ro ya le . (Â )
G a r d e , (D ro it de-) droit qui fe levoit anciennement
par les feigneurs, ôc que les titres appellent
garda ou gardagium ; il eft fouvent nommé conjointement
avec le droit de guet. Les vaffaux ôc autres
hommes du feigneur étoient obligés de faire le guet
ôc de monter la garde au château pour la défenfe de
leur feigneur. Ce fervice perfonnel fut enfuite converti
en une redevance annuelle en argent ou en
grains. Il en y a des titres de l’an 1 2 1 3 ,1237,6c 1302,
dans Vhijloire de Bretagne , tome I.pp. 3 3 4 , 372 , 6*
■ 462 : if y en a aufli des exemples dans Vhijloire de
Dauphiné par M. de Valbonnais.
La plupart des feigneurs s’arrogèrent ces droits ,
fous prétexte de la proteftion qu’ils accordoient à
leurs vaffaux St fujets dans les tems des guerres privées
St des incurfions que plufieurs barbares firent
dans le royaume : dans ces cas malheureux, les ha-
bitans de la campagne fe retiroient avec leurs femmes
, leurs enfans, Ôc leurs meilleurs effets, dans les
châteaux de leurs feigneurs, lefquels leur vendirent
cette garde, proteélion ou avoiierie, le plus cher qu’ils
purent ; ils les aflujettirent à payer un droit de garde
en blé, v in , ou argent, ôc les obligèrent de plus à
faire le guet.
On voit dans le ,chap. liij. des établijfemens de S.
Louis y que dans certains lieux les fujets étoient obliges
à la garde avec leurs femmes ; en d’autres , ils
n’étoient pas obligés de mener leurs femmes avec
eux ; ôc quand ils n’en avoient pas, ils dévoient mener
avec eux leurs fergens, c’eft-à-dire leurs fervi-
tcurs ou leur ménagé. La garde ou le guet oblige oient
I homme à pafter les nttits dans le chatèau du fei**
gneur, lorfqu’il y avoit néceflïté ; ôc l’homme avoit
le jour à lui.Ces droits de guet ôc dz garde furent dans
la fuite réglés par nos rois; Louis X I. les régla à cinq
fols par an. Voye^ ci-après Guet; & le gloff. de M. de
Lauriere, aux mots Hge-étageJGcguet & garde. (A )
Garde, (D enier de-) eft une modique redevance
de quelques deniers, qui fe paye au feigneur
pour les années qu’une terre labourable fe repofe ;
ôc la rente , champart, terrage , agrier, ne fe paye
que pour les autres années où la terre porte des fruits.
II eft parlé de ce droit dans plufieufs anciens baux
paffés fous le feel de la baillie de Mehun-fur-Yevre,
qui ont été faits à la charge de rente foncière Ôc de
garde. On voit dans le procès-verbal de la coûtume du.
grand Perche, que ce droit eft prétendu par le baron
de Loigny : il en eft aufli fait mention en la quefi.jx,.
des décijions de Grenoble. (A)
Garde des Eglises , eft la prote&ion fpéciale
que le roi ou quelqu’autre feigneur accorde à certaines
églifes ; nos rois ont toujours pris les églifes
fous leur protection.
S. Louis confirma en 1268 toutes les libertés ,
franchifes, immunités, prérogatives , droits ôc privilèges
accordés, tant par lui que par fes prédécef-
feurs, aux églifes, monafteres, lieux de piété , ôc
aux religieux ôc perfonnes eccléfiaftiques.
Philippe-le-Bel, par fon ordonnance du 23 Mars
1308, déclara que fon intention étoit que toutes les
églifes , monafteres , prélats, ôc autres perfonnes
éccléfiaftiques, fuffent fous fa protection.
Le même prince déclara que cette garde n’empê-
choit pas la jurifdiCtion des prélats : lorfque cette
garde emportoit une attribution de toutes les caufes
d’une églife à un certain juge, elle étoit limitée aux
églifes qui étoient d’ancienneté en poflêflion de ce
droit ; ôt Philippe-le-Bel déclara même que dans la
garde des églifes Ôc monafteres , les membres qui en
dépendent n’y étoient pas compris.
Il étoit défendu aux gardiens des églifes, ou aux
commiflaires députés de par le roi ôc par les féné-
chaux, de mettre des pannonceaux ou autres marques
de garde royale fur les biens des églifes, à-
moins qu’elles n’en fuffent en poffeflion paifible, ou
à-peu-près telle. Lorfqu’il y avoit quelque contef-
tation fur cette poffeflion, le gardien ou le commit*
faire faifoit ajourner les parties devant le juge ordinaire
; ôc cependant il leur faifoit défenfe de rien
faire au préjudice l’un de l’autre : il ne poutfuivôit
perfonne pro fraclione gardice, c’eft-à-dire, pour contravention
à la garde, à-moins que cette garde ne
fut notoire, telle qu’eft celle des cathédrales ôc de
quelques monafteres qui font depuis très-long-tems
fous la garde du ro i, ou que cette garde n’eût été
publiée dans les aflifes, ou lignifiée à la partie.
Philippe VI. dit de Valois , promit par rapport à
certaines fénéchauffées qui étoient par-delà la Loire,
qu’il n’accorderoit plus de garde dans les terres des
comtes ôc barons, ni dans celles de leurs fujets,
fans connoiffance de caufe, les nobles appellés, excepté
aux églifes ÔC monafteres, qui de toute ancienneté
font fous la garde royale, ôc aux veuves ,
pupilles, ôc aux clercs vivant cléricalement, tant
qu’ils feroient dans cet état ; que fi dans ces fénéchauffées
, les fujets des hauts-jufticiers ou autres
violoient une garde, les juges royaux connoîtroient
de ce délit, mais qu’ils ne pourroient condamner
le délinquant qu’à la troifieme partie de fon bien ;
que la pourfuite qu’ils feroient contre lu i , n’empê-
cheroit pas le juge ordinaire du haut-jufticier de
procéder contre le délinquant, comme à lui appartiendront
; mais que fi le crime étoit capital, il ne
pourroit rendre fa fentence que les juges royaux
n’euffent rendu la leur au fujet de la fauve-garde.