
France eft préférée, parce qu’elle eft plus profitable
, qu’elle fait de meilleur pain, & qu’on peut la
garder long-tems. Ainfi nos blés 6c nos farines feront
toujours mieux vendus à l’étranger. Mais une
autre raifon qui doit tranquillifer, c’eft que l’agriculture
ne peut pas augmenter dans les colonies,
fans que la population 6c la confommation des
grains n’y augmente à proportion ; ainfi leur fuper-
flu n’y augmentera pas en raifon de l’accroiffement
de l’agriculture.
Le défaut de débit 6c la non-valeur de nos den-^
fées qui ruinent nos provinces, ne font que l’effet
de la mifere du peuple & des empêchemens qu’on
oppofe au commerce de nos produ&ions. On voit
tranquillement dans plufieurs provinces les denrées
fans débit & fans valeur; on attribue ces^defavan-
tages à l’ablence des riches, qui ont abandonné les
provinces pour fe retirer à la cour & dans les grandes
villes; on fouhaiteroit feulement que les évêques,
les gouverneurs des provinces, & tous ceux
qui par leur état devroient y réfider, y confommaf-
fent effectivement leurs revenus; mais ces idées
font trop bornées ; ne voit-on pas que ce ne feroit
pas augmenter la confommation dans le royaume ,
que ce ne feroit que la tranfporter des endroits où
elle fe fait avec profufion, dans d’autres où elle fe
feroit avec économie? Ainfi cet expédient, loin
d’augmenter la confommation dans le royaume, la
diminueroit encore. Il faut procurer par-tout le débit
par l’exportation & la confommation intérieure,
qui avec la vente à l’étranger foûtient le prix des
denrées. Mais on ne peut attendre ces avantages que
du commerce général des grains, de la population,
6c de l ’aifance des habitans qui procureroient toujours
un débit 6c une confommation néceffaire pour
foûtenir le prix des denrées.
Pour mieux comprendre les avantages du commerce
des grains avec l’étranger, il eft néceffaire de
faire quelques obfervations fondamentales fur le
commerce en général, & principalement fur le
commerce des marchandifes de main-d’oeuvre, 6c
fur le commerce des denrées du crû ; car pour le
commerce de trafic qui ne confifte qu’à acheter pour
revendre , ce n’eft que l’emploi de quelques petits
états qui n’ont pas d’autres reffources que celle d’être
marchands. Et cette forte de commerce avec les
étrangers ne mérite aucune attention dans un grand
royaume; ainfi nous nous bornerons à comparer les
avantages des deux autres genres de commerce,
pour connoître celui qui nous intéreffe le plus.
Maximes de Gouvernement économique.
I. Les travaux tCinduflrie ne multiplient pas les ri-
cheffes.hts travaux de l’agriculture dédommagent des
frais, payent la main-d’oeuvre de la culture, procurent
des gains aux laboureurs : 6c de plus ils produisent
les revenus des biens-fonds. Ceux qui achètent
les ouvrages d’induftrie, payent les frais, la
main-d’oeuvre, & le gain des marchands; mais ces
ouvrages ne produifent aucun revenu au-delà.
Ainfi toutes les dépenfes d’ouvrages d’induftrie ne
fe tirent que du revenu des biens-fonds ; car les travaux
qui ne produifent point de revenus ne peuvent
exifter que par les richeffes de ceux qui les
payent.
Comparez le gain des ouvriers qui fabriquent les
ouvrages d’induftrie, à celui des ouvriers que le
laboureur employé à la culture de la terre, vous
trouverez que le gain de part & d’autre fe borne à
la fubfiftance de ces ouvriers; que ce gain n’eft pas
une augmentation de richeffes ; 6c que la valeur des
ouvrages d’induftrie eft proportionnée à la valeur
même de la fubfiftance que les ouvriers & les marchands
confomment. Ainfi l’artifan détruit autant
en fubfiftance, qu’il produit par fon travail»
Il n’y a donc pas multiplication de richeffes dans
la production des ouvrages d’induftrie, puifque la
valeur de ces ouvrages n’augmente que du prix de
, la fubfiftance que les ouvriers confomment. Les
groffes fortunes de marchands ne doivent point être
vues autrement ; elles font les effets de grandes en-
treprifes de commerce, qui réunifient enfemble des
gains femblables à ceux des petits marchands ; de
même que les entreprifes de grands travaux forment
de grandes fortunes par les petits profits que l’on
retire du travail d’un grand nombre d’ouvriers. Tous
ces entrepreneurs ne font des fortunes que parce
que d’autres font des dépenfes. Ainfi il n’y a pas
(l’accroiffement de richeffes.
C’eft la fource de la fubfiftance des hommes, qui
eft le principe des richeffes. C ’eft l’induftrie qui les
prépare pour l’ufage des hommes. Les propriétaires,
pour enjoiiir, payent les travaux d’induftrie ;
& par-là leurs revenus deviennent communs à tous
les hommes.
Les hommes fe multiplient donc à proportion des
revenus des biens-fonds. Les uns font naître ces richeffes
par la culture ; les autres les préparent pour
la joiiiffance ; ceux qui en joüiffent payent les uns
& les autres. '
Il faut donc des biens-fdnds, des hommes & des
richeffes pour avoir des richeffes & des hommes.
Ainfi un état qui ne feroit peuplé que de marchands
6c d’artifans, ne pourroit fubfifter que par les reve-,
nus des biens-fonds des étrangers.
II. Les travaux d’induftrie contribuent à la population
& à l ’accroiffement des richeffes. Si une nation
gagne avec l’étranger par fa main - d’oeuvre un
million fur les marchandifes fabriquées chez elle,
& fi elle vend aufli à l’étranger pour un million de
denrées de fon crû, l’un 6c l’autre de ces produits
font également pour elle un furcroît de richeffes,
& lui font également avantageux, pourvû qu’elle
ait plus d’hommes que le revenu du fol du royaume
n’en peut entretenir; car alors une partie de
ces hommes ne peuvent fubfifter que par des marchandifes
de main-d’oeuvre qu’elle vend à l’étranger.
Dans ce cas une nation tire du fol & des hommes
tout le produit qu’elle en pe.ut tirer ; mais elle
gagne beaucoup plus fur la vente d’un million de
marchandifes de fon crû, que fur la vente d’un million
de marchandifes de main-d’oeuvre, parce qu’elle
ne gagne fur celles-ci que le prix du travail de l’arti-
fan, 6c qu’elle gagne fur les autres le prix du travail
de la culture & le prix des matières produites par le
fol. Ainfi dans l’égalité des fommes tirées de la
vente de ces différentes marchandifes, le commerce
du crû eft toûjours par proportion beaucoup plus
avantageux.
III. Les travaux d'induftrie qui occupent les hommes
au préjudice de la culture des biens-fonds , nuifent à la
population & à Caccroiffement des richeffes. Si une
nation qui vend à l’étranger pour un million de
marchandifes de main-d’oeuvre , 6c pour un million
de marchandifes de fon crû, n’a pas affez d’hommes
occupés à faire valoir les biens-fonds, elle
perd beaucoup fur l’emploi des hommes attachés
à la fabrication des marchandifes de main - d’oeuvre
qu’elle vend à l’étranger; parce que les hommes
ne peuvent alors fe livrer à ce travail, qu’au
préjudice du revenu du fol, & que le produit du
travail des hommes qui cultivent la terre, peut être
le double & le triple de celui de la fabrication des
marchandifes de main-d’oeuvre.
IV. Les richeffes des cultivateurs fo n t naître les ri-
cfftffcs de la. culture. Le produit du travail de la culture
peut être nul ou prefque nul pour l’état, quand
îe èulriVatéüï né peut pâs faire tes frais dVne bonne
culture.Un homme pauvre qui netire de la terre par
fon travail que des dentées de peu de valeur , comme
des pommes dete£re,du blé noir, des châtaignes,
& c, qui s’en nourrit, qui n’achete rien & ne vend
rien , ne travaille que pour lui feui : il vit dans la mifere
- lui & la terre .qii’il cultive, ne rapportent rien
à l’état. . N
Tel eft l’effet de l ’indigence dans les provinces ou
il n’y a pas de laboureurs en état d’employer les
payfans, 6c où ces payfans ^trop pauvres ne peuvent
fe procurer par eux-mêmes que de mauvais
alimens 6c de mauvais vêtemens.
Ainfi l’emploi des hommes à la culture peut
être infru&ueux dans un royaume où ils n’ont pas
les richeffes néceffaires pour préparer la terre à porter
de riches moiffons. Mais les revenus des biens-
fonds font -toûjours affûrés dans un royaume bien
peuplé de riches laboureurs.
V . Les travaux de l'induftrie contribuent à Üaugmentation
des revenus des biens-fonds, & les revenus des
biens-fonds foûtiennent les travaux d'induftrie. Une
nation q ui, par la fertilité de fon fo l, & par la
difficulté des tranfports, auroit annuellement une
furabondance de denrées qu’elle ne pourroit vendre
à fes voifins, & qui pourroit leur vendre des
marchandifes de main-d’oeuvre faciles à tranfporter,
auroit intérêt d’attirer chez elle beaucoup de fabriq
u a i & d’artifans qui confommeroient les denrees
du pays , qui vendroient leurs ouvrages à 1 etranger,
& qui augmenteroient les richeffes de la nation
par leurs gains 6c par leur confommation.
Mais alors cet arrangement n’eft pas facile ; parce
que les fabriquans 6c artifans ne fe raffemblent
dans un pays qu’à proportion des revenus a&ueïs de
la nation ; c’eft-à-dire à proportion qu’il y a des propriétaires
ou des marchands qui peuvent acheter
leurs ouvrages à-peu-près aufli cher qu ils les ven-
droient ailleurs, 6c qui leur en procureroient le débit
à méfure qu’ils les fabriqueroient; ce qui n’eft
«uere poffible chez une nation qui n’a pas elle-même
le débit de fes denrées, & où la non-valeur de ces
mêmes denrées ne produit pas actuellement affez de
revenu pour établir des manufactures & des travaux
de main-d’oeuvre.
Un tel projet ne peut s’exécuter que tort lentement
» Plufieurs nations qui l’ont tenté ont même
éprouvé l’impoffibilite d y reuffir.
C ’eft le feul cas cependant où le gouvernement
pourroit s’occuper utilement des progrès de l’induftrie
dans un royaume fertile. ^
Car lorfque le commerce du cru eft facile & libre,
les travaux de main-d’oeuvre font toujours allures
infailliblement par les revenus des biens-fonds.
VI. U n i nation qui a Un grand commerce de denrées
de fon cru, peut toujours entretenir, du-moins pour elle,
un grand commerce de marchandifes de main - d oeuvre.
Car elle peut toûjours payer à proportion des revenus
de fes biens-fonds les ouvriers qui fabriquent
les ouvrages de main-d’oeuvre, dont elle abefoin.
Ainfi le commerce d’ouvrages d’induftrie appartient
auffi fûrement à cette nation, que le commerce
des denrées de fon cru.
VII. Une nation qui a peu de Commerce de. denrees de
fon cru , & qui eft réduite pour fubjîfter à un commerce
d’induftrie, eft dans un état précaire & incertain. Car
fon commerce peut luj être enleve par d autres nations
rivales qui fe livreroient avec plus.de.fuccès à
ce même commerce. ^
D ’ailleurs cette nation eft toûjours tributaire 6c
dépendante de celles qui lui vendent les, matières
de premier befoin. Elle eft réduite à .une économie
rigoureufe, parce qu’elle n’a point de revenu à dé*
penfer ; & qu’elle ne peut étendre & foûtenir fon
trafic, fon induftrie & fa navigation, que par l’épargne;
au lieu que celles qui ont des biens-fonds ,
augmentent leurs revenus par leur confommation.
VIII. Un grand commerce intérieur de marchandifes
de main-d'oeuvre ne peut fubfifter que par les revenus des
biens-fonds. Il faut examiner dans un royaume la
proportion du commerce extérieur & du commerce
intérieur d’ouvrages d’induftrie ; car fi le commerce
intérieur de marchandifes de main-d’oeuvre étoit,
par exemple, de trois millions, 6c le commerce extérieur
d’un million, les trois quarts de tout ce commerce
de marchandifes de main - d’oeuvre feroient
payées par les revenus des biens-fonds de la nation*
puifque l’étranger n’en payeroit qu’un quart.
Dans ce cas, les revenus des biens-fonds feroient
la principale richeffe du royaume. Alors le principal
objet du gouvernement feroit de veiller à l ’entretien
& à l’accroiffement des revenus des biens*
fonds» .
Les moyens confiftent dans la liberté du commerce
& clans la confervation des richeffes des cultivateurs.
Sans ces conditions, les revenus, la po-
• pulation, 6c les produits de l’induftrie s’aneantif-
fent. ,
L’agriculture produit deux fortes de richeffes i
favoir le produit annuel des revenus des proprietaires,
6c la reftitution des frais de la culture.
Les revenus doivent être depenfes pour etre diG
tribués annuellement à tous les citoyens, 6c pouf
fubvenir aux fubfides de l’état.
Les richeffes employées,aux frais de la culture,
doivent être refervées aux cultivateurs, 6c être
exemptes de toutes impofitions ; car fi on les enleve,
on détruit l’agriculture, on fupprime les gains des
habitans de la campagne, 6c on arrête la fource des
revenus de l’état. -
IX. Une nation qui a un grand territoire, & qui fa it
baiffer le 'prix des denrées de fo n crû pour favorifer la
fabrication des ouvrages de main-d oeuvre, f e détruit de
toutes parts. Car fi le cultivateur n’eft pas dédommagé
fies grands frais que la culture exige, 6c s’il 11e
gagne pas, l’agriculture périt; la nation perd les revenus
de fes biens-fonds ; les travaux des ouvrages de
main-d’oeuvre diminuent, parce que ces travaux ne
peuvent plus être payés par les propriétaires des
biens-fonds ; le pays fe dépeuple par la mifere & par
la defertion des fabriquans, artifans, manouvriers
& payfans , qui ne peuvent fubfifter qu’à proportion
des gains que leur procurent les revenus de la
nation.
Alors les forces du royaume fe detruifent ; les ri-
cheffes s’anéantiffent, les impofitions furchargent
les peuples, & les revenus du fouvêrain diminuent*
Ainfi une conduite auffi mal entendue fuffiroit
feiïle pour ruiner un état.
X . Les avantages du commerce extérieur ne confiftent
pas dans l ’accroiffement des richeffes pécuniaires. Le
Surcroît de richeffes que procure le commerce extérieur
d’une nation, peut n’etre pas un furcroît
de richeffes pécuniaires, parce que lé commence
extérieur peut fe faire avec l ’étranger par échange
d’autres marchandifes qui fe confomment par cette
nation. Mais ce n’eft pas moins pour cette meme
nation une richeffe dont elle joiiit, 6c qu’elle poùr-
roit par économie convertir en richeffes pécuniaires
pour d’autres ufages.
D ’ailleurs les denrées envifagées comme marchandifes
j font tout enfemble richeffes pécuniaires
6c richeffes réelles. Un laboureur qui vend fon blé
à un marchand , eft payé en argent ; il paye âVec
çet argent le propriétaire, la taillé, fés domeftiqües,
fes ouvriers, & achète les marchandifes dont il a