befoin. Le marchand qui vend le blé à l’étranger j
& qui acheté de lui une autre marchandile, ou qui
commerce avec lui par échange, revend à fon retour
la marchandife qu’il a rapportée, & avec l’ argent
qu’il reçoit, il racheté du blé. Le blé envisagé
comme marchandife, eft donc une richeffe pécuniaire
pour les vendeurs, 8c une richeffe réelle pour les
acheteurs.
Àinff les denrées qui peuvent fe vendre, doivent
toujours être regardées indifféremment dans un état
comme richeffes pécuniaires & comme richeffes réelles
, dont les fujets peuvent ufer comme il leur
Tconvient.
Les richeffes d’une nation ne fe règlent pas par la
maffe des richeffes pécuniaires. Celles-ci peuvent
"augmenter ou diminuer fans qu’on s’en apperçoive ;
car elles font toujours effectives dans un état par
leur quantité, ou par la célérité de leur circulation,
^ raifon de l’abondance & de la valeur des denrées.
L ’Efpagne qui joiiit des thréfors du Pérou, eft toujours
épùifee par fes befoins. L’Angleterre foutient
fon opulence par fes richeffes réelles; le papier, qui
y repréfente l’argent a une valeur aflïirée par le
commerce & par les revenus des biens de la na-
tion.
Ce n’eft donc pas le plus ou le moins de richeffes
pécuniaires qui décide des richeffes d’un état ; &
les défenfes de fortir de l’argent d’un royaume au
préjudice d’un commerce profitable, ne peuvent être
fondées que fur quelque préjugé defavantageux.
Il faut pour le foûtien d’un état de véritables richeffes,
c’eft-à-dire des richeffes toujours renaiffan-
tes, toûjours recherchées & toûjours payées, pour
en avoir la joiiiffance, pour fe procurer des commodités,
8c pour fatisfaire aux befoins de la vie.
XI. On ne peut connoitre par l'état de la balance du
commerce entre diverfes nations , Vavantage du commerce
& L'état des richeffes de chaque nation. Car des
nations peuvent être plus riches en hommes & en
biens-fonds que les autres ; & celles - ci peuvent
avoir moins de commerce intérieur, faire moins de
confommation, 8c avoir plus de commerce extérieur
que celles-là.
D ’ailleurs quelques-unes de ces nations peuvent
avoir plus de commerce de trafic que les autres. Le
commerce qui leur rend le prix de l’achat des mar-,
chandifes qu’elles revendent, forme un plus gros
objet dans la balance, fans que le fond de ce commerce
leur foit aufli avantageux que celui d’un moindre
commerce des autres nations, qui vendent à
l ’étranger leurs propres productions.
Le commerce des marchandifes de main-d’oeuvre
en impofe aufli, parce qu’on confond dans le produit
le prix des matières premières, qui doit être
diftingué de celui du travail de fabrication.
XII. C'ejl par le commerce intérieur & par le commerce
extérieur t & fur-tout par l ' état du commerce intérieur
, quon peut juger de la richeffe d'une nation.
Car fi elle fait une grande confommation de fes
denrées à haut prix, fes richeffes feront proportionnées
à l’abondance & au prix des denrées qu’elle
confomme ; parce que ces mêmes denrées font
réellement des richeffes en raifon de leur abondance
8c de leur cherté ; 8c elles peuvent par la vente
qu’on en pourroit faire, être fufceptibles de tout autre
emploi dans les befoins extraordinaires.’ Il fUflit
d’en av.oir le fonds en richeffes réelles.
XIII. U ne nation ne doit p o in t envier le commerce de
fe s voifins quand elle tire de fo n f o l y defeS hommes, &
de f a na viga tion, le meilleur produit pojjible. Car
elle ne pourroit rien entreprendre par mauvaife
intention contre lé commerce de fes voifins , fans
déranger fon état, 8c ians fe nuire à elle-même;
fur-tout dans le commerce réciproque qu’elle a établi
avec eux.
Ainfi les nations commerçantes rivales, 8c même
ennemies, doivent être plus attentives à maintenir
ou à étendre, s’il eft poflible, leur propre commerce
, qu’à chercher à nuire directement à celui des autres.
Elles doivent même le favorifer, parce que le
commerce réciproque des nations fe foutient mur
tueliement par les richeffes-des vendeurs & des
acheteurs. •
XIV. Dans le commerce réciproque, les nations qui
vendent les marchandifes les plus néceffaires ou , les plus
utiles, ont l'avantage fu r celles qui vendent les marchandifes
de luxe. Une nation qui eft aflïirée par . fes
biens-fonds d’un commerce de denrées de fon crû,
& par conféquent aufli d’un commerce intérieur de
marchandifes de main - d’oeuvre, eft indépendante
des autres nations. Elle ne commerce avec celles-
ci que pour entretenir, faciliter, 8c étendre fon
commerce extérieur ; & elle doit, autant qu’il eft
poflible, pour conferver fon indépendance 8c fon
avantage dans le commerce .réciproque, ne tirer
d’elles que des marchandifes de luxe, & leur vendre
des marchandifes néceffaires aux befoins de la vie.
Elles croiront que par la valeur réelle de ces différentes
marchandifes, ce commerce réciproque
leur eft plus favorable. Mais l’avantage eft toujours
pour la nation qui vend les marchandifes les plus
utiles 8c les plus néceffaires.
Car alors fon commerce eft établi fur le befoin
des autres ; elle ne leur vend que fon fuperflu, &
fes achats ne portent que fur fon opulence. Ceux-là
ont plus d’intérêt de lui vendre, qu’elle n’a befoin
d’acheter ; 8c elle peut plus facilement fe retrancher
fur le luxe, que les autres ne peuvent épargner fur
le néceffaire.
Il faut même remarquer que les états qui fe livrent
aux manufactures de luxe, éprouvent des viciflitu-
des fâcheufes. Car lorfque les tems font malheureux,
le commerce de luxe languit, 8c les ouvriers
fe trouvent fans pain & fans emploi.
, La France pourroit, le commerce étant libre, produire
abondamment les denrées de premier befoin ,
qui pourroient fuflire à une grande confommation &
à un grand commerce extérieur, & qui pourroient
foutenir dans le royaume un grand commerce d’ouvrages
de main-d’oeuvre.
Mais l’état de fa population ne lui permet pas
d’employer beaucoup d’hommes aux ouvrages-de
luxe ; 8c elle a même intérêt pour faciliter le commerce
extérieur des marchandifes de fon crû, d’entretenir
par l’achat dés marchandifes de luxe , un
commerce réciproque avec l’étranger.
D ’ailleurs elle ne doit pas prétendre pleinement à
un commerce général. Elle doit en facrifier quelques
branches lés moins importantes à l’avantage des au-
très parties qui lui font les plus profitables, & qui
augmenteroient ÔTaflureroient les revenus des biens-
fonds du royaume.
Cependant tout commerce doit être libre-, parce
qu’il eft de l’intérêt des marchands de s’attacher aux
branches de commerce extérieur les plus fûres 8c les
plus profitables.
Il fuffit au gouvernement de veiller à l ’accroiffe-
ment des revenusdes biens dii royaume, de ne point
gêner l’induftrie, de laiffer aux citoyens la facilité
8c le choix-des dépenfes.
De ranimer l’agriculture par l’aCtivité du commerce
dans les provinces, où les denrées font tombées en
non-valeur.
De fupprimer les prohibitions 8c les empêchemens
préjudiciables au commerce intérieur,de au cojn-
meree réciproque extérieur. .
D ’abolir ou de modérer,les droits exceflifs de riviere
& de péage, qui détraifent les revenus des
provinces éloignées, oii les denrées ne peuvent être
commcrçables que par de longs tranfports ; ceux à
qui ces droits appartiennent, feront fuffifamment
dédommagés par leur part de l’accroiffement général
des revenus des biens du royaume.
Il n’eft pas moins néceffaire d’éteindre les privilèges
furpris par des provinces, par des villes, par
des communautés, pour leurs avantages particuliers.
Il eft important aufli de faciliter par-tout les communications
& les tranfports des marchandifes par
les réparations des chemins & la navigation des rivières
( ƒ ) .
II eft encore effentiel de ne pas affujettir lé commerce
des denrées des provinces à des défenfes
8c à des permiflions paffageres 8c arbitraires, qui
ruinent les campagnes fous le prétexte captieux d’ af-
fûrer l’abondance dans les villes. Les villes fubfiftent
par les dépenfes des propriétaires qui les habitent ;
ainfi en détruifant les revenus des biens-fonds, ce
n’eft ni favorifer les villes, ni procurer le bien de
l ’état.
Le gouvernement des revenus de la nation ne
doit pas être abandonné à la diferétion ou à l’autorité
de l’adminiftration fubalterne 8c particulière.
On ne doit point borner l’exportation des grains
à des provinces particulières, parce qu’elles s’épui-
fent avant que les autres provinces puiffent les regarnir;
8c les habitans peuvent être expofés pendant
quelques mois à une difette que l’on attribue avec
raifon à l’exportation.
Mais quand la liberté d’exporter eft générale, la
levée des grains n’eft pas fenfible ; parce que les marchands
tirent de toutes les parties du royaume, 8c
fur-tout des provinces où les grains font à bas prix.
Alors il n’y a plus de provinces où les denrées
foient en non-valeur. L’agriculture fe ranime partout
à proportion du débit.
Les progrès du commerce & de l’agriculture marchent
enlemble ; 8c l’exportation n’enleve jamais
qu’un fuperflu qui n’exifteroit pas fans elle, & qui
entretient toûjours l’abondance 8c augmente les revenus
du royaume.
Cet accroiffement de revenus augmente la population
& la confommation, parce que les dépenfes
augmentent & procurent des gains qui attirent les
hommes.
Par ces progrès un royaume peut parvenir en peu
de tems à un haut degré de force 8c de profpérité.
Ainfi par des moyens bien fimples, un fouverain
peut faire dans fes propres états des conquêtes bien
plus avantageufes que celles qu’il entreprendroit fur
(ƒ) Les chemins ruraux ou de communication avec les
grandes routes, les villes & les marchés, manquent ou font
mauvais prefquc par-tout dans les provinces, ce qui eft un
grand obftacle à l'aftivité du Commerce. Cependant il fem-
ble qu'on pourroit y remédier en peu d’années ; les propriétaires
font trop intéreffés à la vente des denrées que produi-
fent leurs biens, pour qu’ils ne vouluffent pas contribuer aux
dépenfes de la réparation de1 ces chemins. On pourroit donc les
impolèr pour une petite taxe réglée au fou la livre de la taille
de leurs fermiers, & dont les fermiers & les payfans fans
bien fèroient exempts. Les chemins à réparer feroient décidés
par MM. les intendans dans chaque difhïéfc, après avoir
confolté les habitans, qui enfuite les feroient exécuter par
des entrepreneurs. On répareroit d’abord les endroits les plus
impraticables, & on perrettionneroit fucceflivement les chemins
; les fermiers oc payfans feroient enfuite chargés de
les entretenir. On pourroit faire avec les provinces de pareils
arrangemens pour les rivières qui peuvent être rendues navigables.
Il y a des provinces qui ont fi - bien reconnu l'utilité
de ces travaux, qu’elles ont demandé elles-mêmes à être autorises
à en faire les dépenfes ; mais les befoins de l’état ont
quelquefois enlevé les fonds que l’on y avoit deftinés : ces
mauvais fuccès ont étouffé des dilpofltions fl avantageufes au
bien de l’état.
fes voifins. Les progrès font rapides ; foüs Henri IV.
le royaume épuifé, chargé de dettes, devint bientôt
un pays d’abondance & de richeffes. Voye^ Im pô
t .
Obfervatïonsfur lartécejjitédcs richeffes pour la culturt
des grains. Il né-faut jamais oublier que cet état d«
profpérité auquel nous pouvons prétendre, feroit
bien moins le fruit des travaux du laboureur, que le
produit des richeffes qu’il pourroit employer à la culture
des terres. Ce font les fumiers qui procurent de
riches moiffons ; ce font les beftiaux qui produifent
les fumiers ; c’eft l’argent qui donne les beftiaux, 8c
qui fournit les hommes pour les gouverner. On a vu
par les détails précédens, que les frais de trente millions
d’arpens de terre traités par la petite culture, ne
font que de 285 millions; 8c que ceux que l’on feroit
pour 30 millions d’arpens bien traités par la
grande culture, feroient de 710 millions ; mais dans
le premier cas le produit n’eft que de 3 90 millions : 8c
dans le fecondil feroit de 1, 378, 000000. De plus
grands frais produiroient encore de plus grands profits
; la dépenfe 8c les hommes qu’exige de plus la
bonne culture pour l’achat 8c le gouvernement des
beftiaux, procurent de leur côté un produit qui n’ eft
guere moins confidérable que celui des récoltes.
La mauvaife culture exige cependant beaucoup
de travail ; mais le cultivateur ne pouvant faire les
dépenfes néceffaires, fes travaux font infructueux ;
il fuccombe : 8c les bourgeois imbécilles attribuent
fes mauvais fuccès à la pareffe. Ils croyent fans
doute qu’il fuffit de labourer, de tourmenter la terre
pour la forcer à porter de bonnes récoltes ; on s’applaudit
lorfqu’on dit à un homme pauvre qui n’eft
pas occupé , va labourer la terre. Ce font les chevaux
, les boeufs, 8c non les hommes, qui doivent
labourer la terre. C e font les troupeaux qui doivent
la fertilifer ; fans cesfecours elle récompenfe peu les
travaux des cultivateurs. Ne fait-on pas d’ ailleurs
qu’elle ne fait point les avances, qu’elle fait au, contraire
attendre long-tems la moiffon ? Quel pourroit
donc être le fort de cet homme indigent à qui l’on
dit va labourer la terre ? Peut-il cultiver pour Ion propre
compte ? trouvera-t-il de l’ouvrage chez les fermiers
s’ils font pauvres 1 Ceux-ci dans l’impuiffance
de faire les frais d’une bonne culture, hors d’état de
payer le falaire des domeftiques & des ouvriers, ne
peuvent occuper les payfans. La terre fans engrais
8c prefqu’inculte ne peut que laiffer languir les uns
8c les autres dans la mifere.
Il faut encore obferver que tous les habitans du
royaume doivent profiter des avantages de la bonne
culture, pour qu’elle puiffe fe foûtenir 8c produire
de grands revenus au fouverain. C ’eft en augmentant
les revenus dés propriétaires 8c les profits des
fermiers, qu’elle procure des gains à tous les autres
états, & qu’elle entretient une confommation 8c des
dépenfes qui la foûtiennent elle-même. Mais fi les im-
pofitions du fouverain font établies fur le cultivateur
même,fi elles enlevent fes profits, la culture dépérit
, les revenus des propriétaires diminuent ; d’où
réfulte une épargne inévitable qui influe fur les fti-
pendiés,les marchands, les ouvriers , les domeftiques
: le fyftème général des dépenfes, des travaux,’
des gains, 8c de la confommation, eft dérangé ; l’é-,
tat s’affoiblit ; l’impofition devient de plus en plus
deftruCtive. Un royaume ne peut donc être floriffant
& formidable que par les productions qui fe renouvellent
ou qui renaiffent continuellement de la richeffe
même d’un peuple nombreux 8c aCtif, dont
l’induftrie eft foûtenue & animée par le gouvernement.
On s’eft imaginé que le trouble que peut caufer le
gouvernement dans la fortune des particuliers > efj[