iems où l’on ne voyoit que par les yeux d’autrui, &
où l’autorité des anciens tenoit lieu de raifons, frappés
de ces paflages, n’ont pas même foupçonné que
Scaliger & Prifcien fe fuffent trompés.
La plupart de nos grammairiens françois qui n’ont
eu que le mérite d’appliquer comme ils ont pu la
grammaire latine à notre langue, ont copié prefque
tous ces défauts. Robert Etienne à la vérité a rapporté
à l’indicatif le prétendu futur du fubjonâif ;
mais il n’a pas ofé en dépouiller entièrement celui-
ci , il l’y répété eti mêmes termes. Il l’a appellé futur-
parfait y parce qu’il y démêloit les deux idées de paf-
fé 6c d’avenir ; mais s’il avoit fait attention à la maniéré
dont ces idées y font préfentées, il l’auroit
nommé au contraire prétérit-futur. Voyez Pr é t é r it .
C ’eft un vice contre lequel on ne fauroit être trop
en garde, que d’appliquer la grammaire d’une langue
à toute autre indiftin&ement; chaque langue a
la lienne, analogue à fon génie particulier. Il eft vrai
toutefoisqu’un grammairien philofophe démêlera ce
qui appartient à chaque langue, en fuivant toujours
une même route; il n’eft queftion que de bien faifir
les points de vûes généraux; par exemple, à l’égard
du futur, il ne faut que déterminer toutes les com-
binaifons polîibles de cette idée avec les autres cir-
conftances dutems, & apprendre de l’ufage de chaque
langue ce qu’il' à autorifé ou non, pour exprimer
ces combinaifons. C ’eft par-là que l’on fixera
le nombre des futurs en grec, en hébreu, en allemand,
&c. 6c c’eft par-là que nous allons le fixer
dans notre langue.
Nous avons en françois un futur abfolu, que nous
rendons par une fimple inflexion, comme y# partirai.
Nous avons de plus deux futurs relatifs, qui marquent
l’avenir avec un rapport fpécial au préfent ;
& voilà en quoi conviennent ces deux futurs : ce qui
les différencie, c’eft que L’un emporte une idée d’indétermination
, 6c n’exprime qu’un avenir vague,
& que l’autre préfente une idée de proximité, & détermine
un avenir prochain, ce qui correfpond au
paulo-pojl-futur des Grecs; nous appelions le premier
futur défini, & le fécond futur prochain. L’un & l’autre
eft compofé du préfent de l’infinitif du verbe principal,
6c d’une inflexion du verbe devoir pour le fu-
tur indéfini, ou du verbe aller pour le futur prochain;
le choix de cette inflexion dépend de la maniéré dont
qn envifage le préfent même auquel on rapporte le
futur. Je dois partir; je devoispartir , font des futurs
relatifs indéfinis ; je vais partir ,j'allais partir, font
des ./arwrr relatifs prochains.
Dans l’un 6c dans l’autre de ces futurs, les verbes
devoir 8c aller ne confervent pas leur lignification primitive
& originelle ; ce ne font plus que des auxiliaires
réduits à marquer fimplement l’avenir, l’un d’une
maniéré vague & indéterminée, 6c l’autre avec l’idée
acceffoire de proxiifiité.
Ces auxiliaires nous rendent le même fervice au
fubjonttif, mais notre langue n’a aucune inflexion
deftinée primitivement à marquer dans ce mode l’au*
tre efpece de futur ; elle fe fert pour cela des inflexions
du préfent & du paffé, félon les diverfes combinaifons
du fubjonélif avec lestems du verbe auquel
il eft fubordonné ; ainfi dans ce mode, la même
inflexion fait, fuivant le belbin, deux fondions différentes
, & les circonftances en décident le fens. ■
Sens primitif.
Je ne crois pas qu'il le
fajfe préfentement.
' Je ne croyôis pas qu’il
lefîta ld rs.
Je ne crois pas qu’il
l'ait fait hier. .
Je ne croyois pas qu’il
Veut fait hier.
Sens futur. '
Qu’il le fajfe jamais.
Qu’i l le f î t jamais.
Qu’il l’ait fait demain.
Qu’il l’eut fait quand
on l’en auroit prié.
Quoiqu’il femble que certaines langues n’ayent
pas d’expreflions propres à déterminer quelques
points de vue pour lefquels d’autres en ont de fixées
par leur analogie ufuelie, aucune cependant n’eft
effeftivement en défaut; chacune trouve des ref-
fources en elle-même. On le ^oitdans notre langue
par les futurs du fubjonftif; 6c les latins qui n’ont
point de forme particuliere pour exprimer le futur
prochain, y fuppleent par d’autres moyens : jamjam
faciam ut jujferis , dit Plaute, ( je vais faire ce que vous
ordonnerez) : on trouve dans Térence , factum puta
(cela va fe faire, ou regardez-lecomme fait).
II ne faut pas croire non plus que l’ufage d’aucune
langue reftreigne exclufivement ces futurs à leur def-
tination propre ; le rapport de reffemblance 6c d’af-
finite qui eft entre ces tems, fait qu’on employé fou-
vent l’un pour l’autre, comme il eft arrivé au futur
premier 6c au futur fécond des Grecs. Il en eft de
même du futur abfolu 6c du prétérit futur des Latins ;
il difent egalement, pergrattim mihifaciès, & pergra-
tum mihifeceris. Mais on ne doit pas conclure pour
cela que ces tems ayent une même valeur ; la différence
d’inflexions fuppofe une différence originelle
de lignification, qui ne peut être changée ni détruite
par aucuns ufages particuliers, & que les bons au-
teurs ne perdent pas de v u e , lors même qu’ils pa-
roiffent en ufer le plus arbitrairement ; ils choififfent
Tune ou l’autre par un m otif de goût; pour plus d’énergie,
pour faire image, &c. Ainfi il y a une différence
réelle 6c inaltérable entre le futur abfolu 6c
l’impératif, quoiqu’on employé fouvent le premier
pour le fécond, curabis pour cura, valebis pour vale:
l’un 6c l’autre effectivement exprime l’avenir, mais
de diverfes maniérés.
La licence de l’ufage fur les futurs va bien plus
loin encore, puifqifil donne quelquefois au préfent
& au prétérit le (eus futur; comme dans ces phrafes :
Si l ennemi quitte tes hauteurs, nous h battons, ou
nous avons gagné la bataille: il eft évident que les mots
quitte 6c battons font des préfents employés comme
futurs, 6c que nous avons gagné eft un prétérit avec la
même acception. L’ufage n’a pas introduit de futur
conditionnel : il le faudroit dans ces phrafes; e’eft
donc une néceflîté d’employer d’autres tems, qui par
occafion en deviennent plus énergiques : le préfent
femble rapprocher l ’avenir pour faire envifager l’ action
de battre comme préfente ; & le prétérit donne
encore un plus grand degré de certitude en faifant
envifager la victoire comme déjà remportée. On
trouve même en latin le préfent abfolu du fubjonc-
tif employé pour le futur abfolu de l’indicatif: mu U
tos reperias & reperies; mais c eft à la faveur de l’el-
lipfe : multos reperias, c’eft-à-dire fieri poterit, ou fie t
ut multos reperias. Tout a fa raifon dans les langues ;
jufqu’aux écarts. {E. R. M.)
FUTUR; CONTINGENT, (Métaphyfiq.) On appelle
en Philofophie futur contingent ce qui doit arriver,
mais qui- n’arrivera pas nëceffairement. Par
exemple-, cette propofition, j ’irai demain à -la campagne,
eft une propofition de futur condtigent, non-
feulement parce que je pourrois d’ici à demain changer
de réfolution, mais encore parce cjiie j’aiirois pu
ne pas prendre cette réfolution, & qu’il n’impliqu®
point contradiction tjue j’aille ou que je n’aille pas
à la campagne ivn tel jour.
Quand' noiis difbns que la non-exifience dti futur
contingent n’implique pàs contradiction, c’eft en en-
vifageant la .chofe future abfolument & en elle-même
, 6c non pas relativement au fyftème préfent de
1 univers, aux lois du mouvement, aux évenemens
qui doivent préparer & produire celui dont il s’agit;
enfin aux decrets & à la préfcience du Créateur; car
fi; on confiderç' les futurs contingens fous ces derniers
points de vue,-on peut dire qu’ils ne font plus conùngtns,
entant qu’ils doivent infailliblement arriver.
Ainfi dans cette propofition, il pleuvra demain,
la pluie que j’annonce eft en elle-même un futur contingent,
parce que le Créateur auroit pu difpofer
l’univers de telle forte, qu’il ne plût pas demain ;
mais relativement à l’état aCtuel de l’univers & aux
lois établies par l’Être fuprème de toute éternité, la
pluie doit tomber demain infailliblement en confé-
quence de la difpofition préfente que la terre 6c l’at-
mofphere ont aujourd’hui. Voyez Fo r t u it & C ont
in g en t .
Les Athées qui admettent l’éternité 6c la nécefîité
du monde 6c de la matière, ne reconnoiffent point
de futur contingent ; parce que le monde, félon eu x,
ne pouvoit être autre qu’il n’eft, 6c que les évenemens
font une fuite néceflaire du choc & du mou-
vementdes corps : mais félon tous les autres philo-
fophes, & félon la raifon, il y a des futurs contingens
en ce fens, que Dieu qui a créé & arrangé le
monde, pouvoit l’arranger autrement, & que les
évenemens qui arrivent infailliblement dans le monde
, arrangé tel qu’il eft, ne feroient pas arrivés dans
un monde arrangé d’une autre maniéré.
L’exiftence des futurs contingens libres, c’eft-à-
dire qui dépendent de la volonté humaine, n’eft pas
moins infaillible que celle des futurs non libres. Par
exemple, fi en vertu du decret éternel de D ieu , je
dois aller demain à la campagne, il eft auffi infaillible
que je ferai ce voyag e, qu’il l’eft qu’il pleuvra
demain, fi Dieu l’a refolu ainfi. C ’eft pourquoi la
diftin&ion qu’on a voulu faire dans les écoles des
futurs contingens libres, & de ceux qui ne le font
pas, eft en elle-même chimérique, puifque tous les
futurs contingens font dans le même cas quant à l’infaillibilité
de l’exiftence. On nous demandera fans
doute de faire fentir clairement en quoi l’exiftence
infaillible différé de l’exiftence néceflaire ; c’eft à
quoi nous ne nous engageons pas : il nous fuffit que
cette différence foit réelle ; tant pis même pour qui
l’expliqueroit, puifqu’elle tient à un des myfteres
de notre religion, l’accord de la fcience 6c de la
puiffance divine avec la liberté. Dans le langage
commun, infaillible 6c néceffaire font la même chofe ;
il n’en eft pas ainfi en Métaphyfique théologique.
L’effençe de tout myftere confifte dans une chofe exprimée
par des mots dont la contradiction apparente
choque la raifon , mais que la foi nous apprend
n’être pas contradictoires.
On difpute beaucoup dans les écoles pour favoir
fi deux propofitions de futur contingent, -Pierre
mourra demain, Pierre ne mourra pas demain, font
toutes deux faufles, en faifant abfiratlion du decret de
Dieu; ou fi l’une eft vraie, & l’autre faufle dans cette
même hypothèfe; queftion creitfe , abfurde, bien
digne des chimères de la fcholaftique, 6c du nombre
de celles qu’on devroit bannir de la philofophie en-
feignée aujourd’hui dans les collèges. Voyez C o llège.
Il vaudroit autant demander, fi en faifant ab-
ftraCtion de l’égalité des rayons, le cercle continue
ou ceffe de l’être. La folution de la cjueftion ppo-
pofée (fi elle en mérite une), c’eft qu’elle fuppofe
une abfurdité, V abfraction du decret de D ieu, 6c qu’-
ainfi elle ne mérite pas qu’on y réponde férié ufe-
ment ; que pour un philofophe qui auroit le malheur
d ctre athée, 6c par conséquent de ne faire entrer
Dieu pour rien dans les évenemens de l’univers,
line des deux propofitions eft vraie, 6c l’autre faufle ;
mais que pour nous, faire abftraCtion des decrets
divins, c eft faire abftraCtion de l’exiftence de D ieu ,
par conféquent de celle du monde, par conféquent
de celle de P ierre, 6c qu’il eft ridicule de propofer
des queftions par rapport à Pierre, lorfq u’on fait
abflraflion de fon exiftence. L’abus des abftraûions
ie ;4es queftions futiles que cet abus occafionnë,
font le grand vice de la philofophie fcholaftique. (O)
? * FUTURITION, f. f. terme de Théologie, il fe dit
d’un effet dont on confidere l’évenement a v en ir ,
relativement à la préfcience de D ieu , qui voyoit en
lm-meme ou dans les chofes cet événement avant
qu il fut. Cette futurition a fait dire bien des fottifes*
Les uns ont prétendu que Dieu voyoit les aCtions libres
des hommes, avant que d’avoir formé aucun
decret fur leur futurition : d’autres ont prétendu le
contraire ; 6c voilà les queftions importantes qui ont
allumé entre les Chétiens la fureur de la haine, 6c
toutes les fuites fanglantes de cette fureur. Voyez
FORTUIT, & l'article précédent.
FUYARDS, f. f. pl. (Artmilit.) on donne ce nom
aux troupes, qui après un combat defavantageux,
quittent le champ de bataille en defordre, & fe retirent
en foule en fuyant de tous côtés. Voyez Fuite.
Le plus grand malheur qui puifle arriver à des
troupes battues, c’eft de fe retirer ainfi. Car en gardant
leur ordre de bataille, elles fe font toûjoürs ref-
peder de l’ennemi, qui n ofe s’en approcher qu’avec
circonfpeCtion. Si les différentes tentatives qu’elles
doivent faire pour lui échapper font infruChieufes,
il eft toujours prêt à les recevoir à compofition ; mais
en fuyant fans ordre, on s’expofe à périr prefqu’in-
dubitablement. Loin de fonger à fe défendre, on
jette les armes pour fuir plus legerement; tous les
fuyards étant faifis du même efpnt de crainte, s’em-
barraffent les uns les autres, de maniéré que l’ennemi
qui eft à leurtrouffe, en fait, fans effort & fans dang
er, tel carnage qu’il juge à-propos. Ajoutez à
cela que lorfque la frayeur s’eft une fois emparée
d’une troupe, elle fe précipite elle-même dans les
plus grands dangers. Rivières, marais impraticables ,
rien ne l’arrête. On court alors à une mort certaine
&honteufe, plûtôt ique de s’arrêter pour regarder
l’ennemi en face, & lui êrî impôfer par une' contenance
affûrée, qui fuffit feule pour modérer l’aûi-
vité de fa pourfuite, 6c quelquefois même pour le
faire fuir lui-même (comme il y en a plufieurs exemples),
fi l’on eft capable de' faire quelques efforts
pour*profiter du defordre dans lequel fa pourfuite
doit l’avoir mis. « E^ans une àrmée de vaillans hom-
» mes, dit Agamemndn dans Homere, il s’en fauve
» toujours plus qu’ilh-’en périt ; au lieu que les lâches
» n’acquierent pas de gloire, mais leur lâcheté leur
» ôtant les forces, ils deviennent la proie des enne-
» mis ».
M. le maréchal de Puyfegur qui rapporte ces paroles
d’Homere dans fon livre de l ’art de la Guerre ,
■ obferve auffi à cette occafion, qu’en combattant
vaillamment & en bon ordre, on perd beaucoup
moins de monde , 6c que la perte des hommes cil
bien plus grande dans les déroutes.
Lorfqu’une troupe eft une fois mite en defordre,'
on 11e doit la pourfuivre, fuivant les plus habiles militaires
, qu’autant qu’il eft néceflaire pour la difper-
fer entièrement, 6c la mettre hors d’état de fe rallier.
C ’étoit la pratique des Lacédémoniens. Ils pen-
foient auffi, 6c avec raifon, qu’il n’eft pas digne d’un
grand courage de tuer ceux qui cedent 6c qui ne fe
défendent pas.
Si la pôurfuite des fuyards peut être fufceptible
| de qüelqu’inconvénient , lorfqu’on s’y abandonne
f Ÿrop inconfidérement, c’eft fur-tout lorfqu’une aile
ou une autre partie de l’armée a battu celle de l’armée
ennemie qui lui étoit oppofée. Car fi la partie
vi&orieufe s’attache trop opiniâtrement à la pour-
fuite des fuyards, ellelaiffe fans défenfe le flanc des
troupes qu’elle couvroit dans l’ordre de la bataille ;
alors fi l’ennemi peut tomber deffus, 6c qu’il attaque
en même tems ces troupes par le flanc 6c par
le front, il les mettra bientôt en defordre, ainfi que
le refte de l’armée, malgré la yi&oire de l’une des