Ces petites obfervations ne feront pas inutiles
pour donner aux commençans des notions diftinâes .
fur la mefure des angles, & pour leur faire fentir ,
ainiî que nous l’avons dit au mot ÉLÉiMENS , quel elt
le véritable fens qu’on doit donner à certaines façons
de parler abrégées dont on fe fert dans chaque
fcience, & que les inventeurs ont imaginées pour
éviter les circonlocutions.
La propofition très-fimple fur la mefure des an-
des par un arc décrit de leur fommet, étant jointe au
principe de la fuperpolition, peut fervir, fi je ne
me trompe, à démontrer toutes les propofitions qui
ont rapport à la Géométrie élémentaire des lignes. Le
principe de la fuperpofition n’eft point, comme le
difent quelques géomètres modernes, un principe
méchanique 6c groflier ; c’eft un principe rigoureux,
clair ,fimple, & tiré de la vraie nature de la chofe.
Quand on veut démontrer, par exemple, que deux
triangles qui ontdesbafes égales & les angles à la
bafe égaux, font égaux en tout, on employé le principe
de fuperpofition avec fuccès : de l ’égalité fup-
pofée des baies 6c des angles, on conclut avecraifon
que ces bafes 6c ces angles appliques les uns fur les
autres, coïncideront; enfuite de la coïncidence de I
ces parties,on conclut évidemment & par une con-
féquence néceflaire, la coïncidence du relie, 6c par
conféquent l’égalité 6c lafimilitude parfaite des deux
triangles : ainfi le principe de la fuperpofition ne
confille pas à appliquer groffierement une figure l'ur
une autre, pour en conclure l’égalité des deux, comme
un. ouvrier applique fon pié fur une longueur
pour la mefurer : mais ce principe confille à imaginer
une figure tranfportée fur une autre , & à conclure,
i°. de l’égalité fuppofée des parties données,
la coïncidence de ces parties ; a°. de cette coïncidence
, la coïncidence du relie , 6c par confequent
l’égalité totale & la fimilitude parfaite des deux figures.
On peut, par la même raifon , employer le
principe de la fuperpofition à prouver que deux figures
ne font pas les mêmes. Au relie, par fuperpo-
ntion j’entens ici non-feulement l’application d’une
figure fur une autre, mais celle d’une partie , d’une
figure fur une autre partie de la même figure, à def-
fein de les comparer entre elles ; & cette derniere.
maniéré d’employer le principe de la fuperpofition,
ell d’un ufage infini & très-fimple dans les élémens
de Géométrie. Voye\ CONGRUENCE.
Après avoir traité de la géométrie des lignes confédérées
par rapport à leur pofition, je crois qu’on
doit traiter de la géométrie des lignes confidérées
quant au rapport qu’elles peuvent avoir entr’elles.
Elle ell toute fondée fur ce théorème qu’une ligne
parallèle à la bafe d’un triangle en coupe les côtés
proportionnellement. Pour .cela il fuffit de montrer
que fi cette parallèle palTe par le point de milieu
d’un des côtes, elle paffera par le point de milieu de
l’autre ; car on fera voir enfuite aifément que les
parties coupées font toujours proportionnelles ,
quand la partie coupée fera commenfurable à la ligne
entière ; 6c quand elle ne le fera pas, on démontrera
la même propofition par la réduction à l’ab-
furde, en faifant voir que le rapport ne peut être ni
plus grand, ni plus petit, & qu’ainfi il ell égal. Nous
difons par la réduction à l'abfurde , car on ne peut
démontrer que de cette maniéré, & non d’une maniéré
direfte, la plupart des propofitions qui regardent
les incommenfurables. L’idée de l’infini entre
au-moins implicitement dans la notion de ces fortes
de quantités ; 6c comme nous n’avons qu’une idée
négative de l’infini, c’eft-à-dire que nous ne le concevons
que par la négation du fini, on ne peut démontrer
dire&ement 6c à priori tout ce qui concerne
l’infini mathématique. Voyeç DÉMONSTRATION,
Infini , & Incommensurable. Nous ne faifons
qu'indiquer ce genre de démonftratioïl ; triais il y efl 4
tant d’exemples dans les ouvrages de Géométrie , que
les mathématiciens tant-foit-peu exercés nous comprendront
aifément. Pour éviter la difficulté des incommenfurables
, on démontre ordinairement la propofition
dont il s’agit, en fuppofant que deux triangles
de même hauteur font entr’eux comme leurs bafes.
Mais cette derniere propofition elle-même, pour
être démontrée en rigueur, fuppofe qu’on ait parle
des incommenfurables. D’ailleurs elle fuppofe la mefure
des triangles, 6c par conféquent la géométrie des
furfaces, qui eft d’un ordre fupérieur à la géométrie
des lignes. C ’eft donc s’écarter de la généalogie naturelle
des idées, que de s’y prendre ainfi. On dira
peut-être que la confidération des incommenfurables
rendra la géométrie élémentaire plus difficile,
cela fe peut ; mais ils entrent neceflairement dans
cette géométrie ; il faut y venir tôt ou tard, 6c le
plutôt eft le mieux, d’autant plus que la théorie des
proportions des lignes amene naturellement cette
confidération : Toute la théorie des incommenfurables
ne demande qu’une feule propofition, qui concerne
les limites des quantités ; favoir que les grandeurs
qui font la limite d’une même grandeur, ou
les grandeurs qui ont une même limite, font égalés
entr’elles (yoye[ Lim it e , Exhaustion, & D ifférentiel)
; principe d’un ufage univerfel en Géométrie
, 6c qui par conféquent doit entrer dans les élémens
de cette fcience, 6c s’y trouver prefque dès
[«entrée.
La géométrie des furfaces fe réduit à leur mefure ;
& cette mefure eft fondée fur un feul principe, celui
de la mefure du parallélogramme re&angle qu’on fait
être le produit de fa hauteur par fa bafe. Nous avons
expliqué à la fin du mot Equation ce que cela fi-
gnifie, & la maniéré dont cette propofition doit êtr&
énoncée dans des élémens, pour ne laiffer dans l’ef-
prit aucun nuage. De la mefure du parallélogramme
reélangle fe tire celle des autres parallélogrammes,
celle des triangles qui en font la moitié, comme le
principe de la fuperpofition peut le faire voir; enfin
celle de toutes les figures planes re&iligncs, qui peuvent
être regardées comme compofées de triangles.'
A l’égard de la mefure du cercle, le principe des limites
ou d’exhauftion fervira à la trouver. Il fuffira
pour cela de faire voir que le produit de la circonférence
par la moitié du rayon eft la limite de l’aire
des polygones inferits 6c circonfcrits ; 6c comme
l’aire du cercle eft auffi évidemment cette limite,
il s’enfuit que l’aire du cercle eft le produit de la
I circonférence par la moitié du rayon, ou du rayon
par la moitié de la circonférence. Voye£ Cercle
Quadrature.
On peut rapprocher la théorie de la proportion
des lignes de la théorie des furfaces par ce théorème
, que quand quatre lignes font proportionnelles,
le produit des extrêmes eft égal au produit des
moyennes ; théorème qu’on peut démontrer par la
Géométrie fans aucun calcul algébrique ; car le calcul
algébrique ne facilite en rien les élémens de Géométrie
, & par conféquent ne doit pas y entrer. En
rapprochant la théorie des proportions de celle des
furfaces, on peut faire voir comment ces deux théories
prifes féparément s’accordent à démontrer différentes
propofitions, par exemple, celle du quarré
de l’hypothénufe. Ce n’eft pas une chofe aufli inutile
qu’on pourroit le penfer, de démontrer ainfi
de différentes maniérés dans des élémens de Géométrie
certaines propofitions principales ; par ce moyen
l’efprit s’étend 6c fe fortifie en voyant de quelle maniéré
on fait rentrer les vérités les unes dans les
autres.
Dans la géométrie des folides on fuivra la même
méthode que dans celle des furfaces : on réduira tout
à la mefure du parallélépipède reélangïè ; l à feule
difficulté fe réduira à prouver qu’une pyramide eft
le tiers d’un parallélépipède de même baie & de même
hauteur. Pour cela on fera voir d’abord, ce qui
eft très-facile par la méthode d’exhauftion, que les
pyramides de même bafe 6c de même hauteur font
égales ; enfuite, ce ijui fç peut faire de différentes [
maniérés, comme on le peut Voir dans divers élémens
de Géométrie, on prouvera qu’une certaine pyramide
déterminée eft le tiers d’un prifine de même
bafe 6c de même hauteur ; & il ne reliera plus de
difficulté. Par ce moyen on aura la mefure de tous
les folides terminés par des figures planes. Il ne ref-
tera plus qu’à appliquer à la Turface & à la folidité
de la fphere.les propofitions trouvées fur la mefure
des furfaces 6c des folides ; c’eft dequoi on viendra
aifément à*-bout par la méthode d’exhauftion, comme
on a fait pour la mefure du cercle ; peut-être
même pourroit-on, pour plus d’ordre 6c de méthode
, traiter de la furface lphérique dans la géométrie
des furfaces.
Nous ne devons pas oublier ici une obfervation
importante. Le principe de la méthode d’exhauftion
eft fimple (yoye{ Exh austion) ; mais fon application
peut quelquefois rendre les démonftrations longues
6c compliquées. Ainfi il ne feroit peut-être pas
mal-à-propos dé fubftïtuer le principe des infiniment
petits à celui d’exhauftion, après avoir montré l’identité
de ces deux principes, & avoir remarqué
que le premier n’eft qu’une façon abrégée d’exprimer
le fécond ; car c’eft en effet tout ce qu’il eft,
n’y ayant dans la nature ni infinis aétuels, ni infiniment
petits. V oye^ In f in i, D ifférentiel, Ex-
HAUSTiON, & Lim ite. Par ce moyen la facilité des
démonftrations fera plus grande, fans que la rigueur
y perde rien.
V o ilà , ce me femble, le plan qu’on peut fuivre en
traitant de la géométrie élémentaire. Ce plan, & les réflexions
générales que nous avons faites à la fin du mot
Elémens des Sciences, fuffifent pour faire fen-
ïir qu’il n’y a aucun géomètre au-deffus d’une pareille
entreprife ; qu’elle rie peut même être bien
exécutée que par des mathématiciens du premier
ordre ; 6c qu’enfin pour faire d’excellens élémens de
Géométrie, Defcartes, Newton, Leibnitz, Bernoulli,
&c. ri’eufl'ent pas été de trop. Cependant il n’y a
peut-être pas de fcience fur laquelle on ait tant multiplié
les élémens, fans compter ceux que l’on nous
donnera fans doute encore. Ces élémens font pour
la plupart l’ouvrage de mathématiciens médiocres,
dont les connoiffances en Géométrie ne vont pas fou-
vènt au-delà de leur liv re , & qui par cela même
font incapables de bien traiter cette matière. Ajoû-
tons qu’il n’y a prefque pas d’auteur d’élémens de
Géométrie, qui dans fa préface ne dife plus ou moins
de mal de tous ceux qui l’ont précédé. Un ouvrage
en ce genre, qui feroit au gré de tout le monde, eft
encore à faire ; mais c’eft peut-être une entreprife
chimérique que de croire pouvoir faire au gré de
tout le monde un pareil ouvrage. Tous ceux qui étudient
la Géométrie ne l’étudient pas dans les mêmes
vues : les uns veulent fe borner à la pratique ;& pour
ceux là un bon traité de géométrie-pratique fuffit, en
y joignant, fi l’on veut, quelques raifonnemens qui
éclairent les opérations jufqu’à un certain point, 6c
qui les empêchent d’être bornées à une aveugle
routine : d’autres veulent avoir une teinture de géométrie
élémentaire fpéculative, fans prétendre pouffer
cette étude plus loin; pour ceux-là il n’eft pas
néceflaire de mettre une fi grande rigueur dans les
elémens ; on peut fuppafer comme vraies plufieurs
propofitions, dont la vérité s’apperçoit affez d’elle-
même , 6c qu’on démontre dans les élémens ordinaires.
Il eu enfin des étudians qui n’ont pas la
force d’efprït fiéceffaire pour embrafier à-la-fois les
différentes branches d’une démonftration compliquée
; 6c il faut à ceux-là des démonftrations plus
faciles, duffent-elles être moins rigouréufes. Mais
pour les efprits vraiment propres à cette fcience,
pour ceux qui font deftines à y faire des progrès ,
nous croyons qu’il n’y a qu’une feule maniéré de
traiter les élémens; c’eft celle qui joindra la rigueur
à la netteté, & qui en même tems mettra fur la voie
des découvertes par la maniéré dont on y préfen-
tera les démonftrations. Pour cela il faut les montrer,
autant qu’il eft poffible, fous la forme de problèmes
à réfoudre plutôt que de théorèmes à prouv
e r , pourvu que d’un autre côté cette méthode ne
nuife point à la généalogie naturelle des idées &
des propofitions, 6c qu’elle n’engage pas à fuppofer
comme vrai, ce qui en rigueur géométrique a be-
foin de preuve.
On a vû au mot Axiome de quelle inutilité ces
fortes de principes font dans toutes les Sciences; il
eft donc très-à-propos de les fupprimer dans des élémens
de Géométrie, quoiqu’il n’y en ait prefque point
oii on ne les voye paroitre encore. Quel befoin a-
t-on des axiomes fur le tout & fur la partie, pour
voir que la moitié d’une ligne eft plus petite que la
ligne entière ? A l’égard des définitions, quelque né-
ceffaires qu’elles foient dans un pareil ouvrage, il
nous paroit peu philofophique & peu conforme à la
marche naturelle de l’efprit de les préfenter d’abord
brufquement 6c fans une efpece d’analyfe ; de dire,
par exemple, la furface ejl l'extrémité d'un corps , laquelle
n'a aucune profondeur. Il vaut mieux confi-
dérer d’abord le corps tel qu’il eft, & montrer comment
par des abftraôions lucceffives on en vient à
le regarder comme Amplement étendu 6c figuré, 6c.
par de nouvelles abftra&ions à y confidérer fuccef-
fivement la furface, la ligne, & le point. Ajoutons
ici qu’il fe trouve des occafions, finon dans des élémens,
au-moins dans un cours complet de Géométrie
, oit certaines définitions ne peuvent être bien
placées qu’après l’analyfe de leur objet. Cro it-on ,
par exemple, qü’une fimple définition de l’Algebre
en donnera l’idée à celui qui ignore cette fcience ?
Il feroit donc à-propos de commencer un traité d’Algèbre
par expliquer clairement la marche, fuivant
laquelle l’efprit eft parvenu ou peut parvenir à en
trouver les regies ; 6c on finiroit ainfi l’ouvrage, la
fcience que nous venons d'enfeigner efl ce qu'on appelle
Algèbre. Il en eft de même de l’application de l’Algebre
à la Géométrie , 6c du calcul différentiel & intégral
, dont on ne peut bien faifir la vraie définition
, qu’après en avoir compris la métaphyfique ôc
l’ufage.
Revenons aux élémens de Géométrie. Un inconvénient
peut-être plus grand que celui de s’écarter
de la rigueur ëxaûe que nous y recommandons, feroit
l’entreprife chimérique de vouloir y chercher
une rigueur imaginaire. Il faut y fuppofer l’étendue
telle que tous les hommes la conçoivent, fans fe
; mettre en peine des difficultés des fophiftes fur l’idée
| que nous nous en.formons, comme on fuppofe en
méchanique le mouvement, fans répondre aux ob-
je&ions de Zenon d’Elée. Il faut fuppofer par abftrac-
tion les furfaces planes & les lignes droites, fans fe
mettre en peine d’en prouver l’exiftence, & ne pas
imiter un géomètre moderne-, qui par la feule idée
d’un fil tendu croit pouvoir démontrer les propriétés
de la ligne droite, indépendamment du p lan ,&
qui ne fe permet pas cette hypothèfe, qu’on peut
imaginer une ligne droite menée d’un point à un autre
fiir une furface plane ; comme fi l’idée d’un fil
tendu, pour repréfenter une ligne d roite, étoit plus
fimple & plus rigoureufe que l’hypothèfe en quef-
tion ; ou plutôt comme fi cette idée n’avoit pas l’in*