
d’imiter avec la pointe le beau fini du burin, 8c les
luccès répondirent à (es vues ; il conduifit donc l’eau-
forte avec toute l’intelligence poflïble, en connut
les gradations, en développa les reffources, enfin apprit
à s’en fervir ; il excella dans les fourrures, les
payfages, les animaux, les infeéles ; mais il n’a pas
également réüffi dans les grands fujets, parce que
le deffein ôc la corre&ion manquoient àfes talens.
Lafhe, {Michel) natif de Caen, mort en 1667, âgé
de foixante-douze ans. Il a donné quelques planches
au burin d’après Raphaël, Paul Véronèfe, Rubens ,
Annibal Carrache, Voiiet, le Brun, 8c autres : il a
auffi fait des morceaux de (on génie, dans lefquels
les pallions font allez bien exprimées.
Lucas de Lcyden, né en 1494, mort en 1533» fut
le rival 8c l’ami d’Albert Durer. On a de lui une
grande quantité d’eftampes gravées au burin, à l’eau-
forte , & en bois.
Luykcn, (Jean) né à Amfterdam en 1649, mort en
17 x2 , montra dans fon oeuvre qui eft très-confidé-
rabie, beaucoup de feu, d’imagination, & de facilité.
Mantegne, ('André) né gardeur de moutons près
de Padoue en 1451, avoit reçu de la nature un heureux
génie qui le tira bien-tôt de cette condition
iervile, en lui infpirant le goût des Arts qui anno-
bliflent l’origine la plus abjeéte, 8c font rechercher
l’homme à talens pour lui-même, & non pour (es
ayeux. Mantegne au lieu de veiller à la garde de fon
troupeau, s’amufoit à le defliner ; un peintre le v it,
le prit chez lui, l ’éleva, l’adopta pour fon fils, I’inf*
titua (on heritier. Jacques Bellin enchanté de fon caractère
ôc de fes talens, lui donna fa fille en maria1-
ge : le duc de Mantoue le combla d’honneurs & de
bienfaits, il le créa chevalier en reconnoiffance de
fon excellent tableau connu fous le nom du triomphe
de Céfar ; on a gravé de clair-obfcur en neuf feuilles
ce chef-d’oeuvre du pinceau de Mantegne ; mais il
s’eft couvert de gloire par l’invention ou la perfection
de la gravure au burin pour fes e(lampes. Il
grava lui-même plufieurs pièces fur des planches
d ’étain d’après fes propres delfeins. Il mourut en
15x7 , âgé de foixante-fix ans.
Mantuan, {Georges Le') nous avons auffi de lui divers
beaux morceaux gravés au burin.
Marc-Antoine, {Raymond) natif de Bologne, flo-
riffoit au commencement du feizieme fiecle ; il ef-
faya fes forces avec fuccès contre Albert D urer, fe
mit à copier la paffion que ce maître avoit .donnée
en trente-fix morceaux, & grava fur fes planches,
ainfi que lui A. B. Tous les connoiffeurs s’y trompèrent
, 8c Albert Durer fit un voyage à Rome pour
porter au pape fes plaintes contre fon rival. Marc-
Antoine devint Ie graveur favori de Raphaël, dont il
a répandu les ouvrages ôc la gloire par-tout oh il y
a quelque étincelle de goût & de favoir. Ce fut encore
Marc-Antoine qui grava les eftampes qui furent
mifes au-devant des fonnets infâmes de l’Arétin. L’e-
xaétirude du deffein de ce fameux maître , la douceur
ôc le charme de fon burin, feront toûjours rechercher
fes eftampes.
Mafo, dit Finiguerra, né à Florence, inventa dans
le quinzième fiecle le fecret de graver fur le cuivre;
il travailloit en Orfèvrerie l’an 1460, 8c avoit coûtu-
me de faire une empreinte de terre de tout ce qu’il
gravoit fur l’argent pour émailler ; au moment qu’il
jettoit dans ce moule de terre du foufre fondu, il
s ’ap perçut que ces dernieres empreintes étant frottées
d’huile 8c de noir de fumée, repréfentoient les
traits qui étoient gravés fur l’argent. Il trouva dans
la fuite le moyen d’exprimer les mêmes figures fur
du papier en l’humeétant, & en paffant un rouleau
très-uni fur l’empreinte ; ce qui lui réuflït tellement,
que fes figures paroifloient imprimées 6c comme
deffinées avec la plume.
Cet efîai donna l’être à la Gravure, foible entre
fes mains, puifque les Arts fortoient à-peine des té-»
nebres épaifles oii l’ignorance les avoit laides près
de mille ans enfevelis. La découverte de Mafo ne
reçut qu’un accroiffement infenfible de Baldini, orfèvre
de la même ville de Florence, à qui notre ar-
tifte 1 avoit communique ; il falloit un peintre pour
1 améliorer : car fi l’heureux génie de la Peinture
n’infpire le graveur> vainement s’efforce-t-il d,’y réuf-
fir : cet art parut donc avec un grand avantage dans
les morceaux qui furent gravés alors par Mantegne,
dont nous avons parlé tout-à-l’heure.
Ma fo n , {Antoine) a fur-tout excellé dans les gravures
de portraits ; fes difciples d’Emmaiis font un
chef-d’oeuvre. Son burin eft ferme & également gracieux
: on prétend qu’il s’étoit fait une maniéré d©
graver toute particulière, 8c qu’au lieu de faire agir
la main fur la planche, comme c’eft l’ordinaire pour
conduire le burin félon la forme du trait que l’on y
veut exprimer, il tenoit au contraire fa main droire
fixe, 8c avec la main gauche il faifoit agir la planche
fuivant le fens que la taille exigeoit. J’ignore
l’année de la naiflance 6c de la mort de ce grand
maître.
Mellan , {Claude) ne à Abbeville en 1601, mort
en 1688. « C e célébré graveur en taille-douce, dit M.
» Perrault, eut deux grands avantages fur laplûpart
» de fes confrères : le premier, c ’eft qu’il n’a voit pas
>> feulement le don de graver avec beaucoup de gra-
» ce 6c d elegance les tableaux des excellens maîtres,
» mais qu’il étoit auffi l’auteur 6c l’ouvrier de pref-
» que tous les delfeins qu’il gravoit ; de forte qu’on
» doit le regarder comme un habile graveur 6c com-
» me un grand deffinateur tout enfemble ; on pour-
» roit ajoûter, comme peintre, car il a peint des ta-
>> bleaux de bon goût : le fécond avantage , plus
» grand encore que le premier, c’eft qu’il a inventé
» lui-même la maniéré admirable de graver dont il
» s’eft fervi dans la plûpart de fes ouvrages ».
Les graveurs ordinaires ont prefque autant de tailles
différentes qu’ils ont de différens objets à repré-
fenter : autre eft celle dont ils fe fervent pour la
chair,foitdu v ifàge,foitdes mains, ou des autres
parties du corps, autre celle qu’ils employent pour
les vêtemens , autre celle dont ils repréfentent la
terre, Peau, l’air, 6c le feu, 6c même' dans chacun
de ces objets ils varient leur taille & le maniement de
leur burin en plufieurs façons différentes. Mellan imi-
toit toutes chofes avec de fimples traits mis auprès
les uns des autres, fans jamais les croifer en quelque
maniéré que ce foit, fe contentant de les faire ou
plus forts ou plus foibles, félon que le demandoient
les parties, les couleurs,les jours, 6cles ombres de
ce qu’il repréfentoit.
Il a porté cette gravure à une telle perfeaion,
qu il eft difficile d’y rien ajoûter, 6c l’on n’a point en»
core entrepris d’aller plus loin dans cette forte de
travail : ce n’eft pas que Mellan ne fût pratiquer la
maniéré des autres graveurs ; il a fait beaucoup d’ef.
tampes à double taille, qui font très-belles & très-
eftimées ; mais il s’eft plus adonné à celle qui eft
fimple ; 6c c’eft par celle-là qu’il s’eft le plus diftin-
gué. ; • ; • ' . ;
^Parmi fes ouvrages il y en a un qui paroît mériter
d’être plus admiré <^ue les autres, c’eft une tête de
Jefus-Chrift deffinee 6c ombrée avec fa couronne
d’épines,6c le fang quiruiflèle de tous côtés, d’un
feul 6c unique trait, qui commençant par le bout du
nez, ÔC allant tçûjours en tournant, forme exactement
tout ce qui eft repréfenté dans cette eftampe ,
par la feule différente épaiffeur de ce trait,qui félon
qu’il eft plus ou moins gros, fait des y e u x , un nez,
une bouche, des joues, des cheveux, du fan» 6c des
épines, le tout fi bien repréfenté 6c avec une telle
marque de douleur 8c d’affliétion, que rien n’eft plus j
trifte ni plus touchant. On met encore au rang des
chefs-d’oeuvre de fâ gravure , fa galerie juftinien-
n e ,fo n portrait deÿuftinien, 6c celui de Clément
viîi. I M p f lp
Son oeuvre contient une infinité de pièces curieu-
fes. Il fut choifi pour repréfenter les figures antiques
6c les bulles du cabinet du roi de France ; fon burin
réuffit parfaitement dans ces fortes d’ouvrages, qui
étant tous d’une couleur , s’accommodent bien de
l’uniformité de fa gravure , laquelle n’etant point
croifée, conferve une blancheur tres-convenable au
marbre qu’ elle repréfente.
Enfin les gravures avoient.plus de feu’, plus de
v ie , 6c plus de liberté que le deffein même qu’il imi-
to it , contre ce qu’il arrive aux autres graveurs, dont
les ouvrages font toûjours moins vifs que le deffein
& le tableau qu’ils copient. Cet avantage de Mellan
ne peut venir que du goût qü’il prenoit à fon travail,
ôc de l’extrême facilité qu’il avoit à conduire fon
burin de la maniéré qu’il lui plaifoit.
Mlrian, {Matthieu) naquit à Bâle en 1593, 8c
mourut à Schwalsbach en 16 51. Il eft célèbre par fon
habileté dans l’art de graver à l’eau -forte, par fon
fils Gafpard Mérian qui fe diftingua dans le même
genre, 6c par fa fille Marie Sybille Mérian, encore
plus connue. Les principaux ouvrages de Matthieu
Mérian p ere, font le théâtre de l’Europe, la Danfe
des morts, cent-cinquante figures hiftoriques de la
bible, 6c un grand nombre de payfages.
Nanteuil, {Robert) né à Rheims en 1630, mort à
Paris en 1678 : il n’a gravé que des portraits, mais
avec une précifion 6c une purete de burin qu on ne
peut trop admirer. Son recueil eft très-confidérable,
puifqu’il contient plus de deux cents quarante eftampes.
.
Nanteuil après avoir peint Louis X IV. en paftel,
le grava auffi grand que nature ; ce qui n’avoit point
encore été tenté par perfonne avec fuccès,: jufque-
là il avoit été prefque impoffible aux plus habiles
graveurs de bien repréfenter avec le feul blanc du
papier 6c le feul noir de l’encre »toutes les autres
couleurs que demande un portrait lorfqu il eft en
grand ; car lorfqu’il eft en petit, l’imagination de
celui qui le regarde y fupplée. Cependant dans le
portrait du roi par Nanteuil, la couleur naturelle
du tein t, le vermeil des joues, 6c le rouge des lèvres
y eft marqué ; au lieu que dans les portraits de
cette même grandeur faits par la plûpart des autres
artiftes, le teint paroît plombé, les joues livides, 6c
les levres violettes ; enforte qu’on croit plûtôt voir
des hommes noyés que des hommes vivans : le portrait
dont je parle eft peut-être le plus bel ouvrage
de cette efpece qui ait jamais vû le jour. Nanteuil a
gravé de la même maniéré le portrait de la reine
mere de Louis X IV . celui du duc d’Orléans, du cardinal
Mazarin, du maréchal de Turenne, 6c de quel*»
ques autres perfonnes, qui lui ont acquis une réputation
que le tems n’a point encore effacée.
: Ce célébré artifte avoit gagné par fon talent plus
de cinquante mille écus, 6c en laiffa très-peu à fes
héritiers , ayant toûjours fait fervir la fortune à fes
plaifirs. Au relie, il eft un exemple de ces hommes
qui fe font engagés dans leurprofeffion par une inclination
dominante : fon pere fit les memes efforts pour
l ’empêcher de devenir graveur , que les parens font
ordinairement pour obliger les enfans à s’inftruire
dans quelque profeffion ; mais Nanteuil éluda les
vains efforts de fon pere ; il montoit en fecret fur des
arbres pour n’être point v û , 6c s’y cachoit fans ceffe
•pour defliner à loifir.
Le Parmefan partagea fon goût entre la Gravure
6c la Peinture, deux arts qu’il eût porté au degré l è ,
plus éminent, fi le deftin qui lui donna tant de rap-.
port avec Raphaël par la fécondité du génie , toûjours
tourné du côté de l’agrément & de la gentil-
leffe, n’eût terminé fes jours par uné mort également
prématurée.
Pens, {Georges) natif de Nuremberg, fîoriffoit au
commencement du feizieme fiecle ; les gravures en
taille-douce font eftimées : il y marquoit fon nom
1 P
par ces deux lettres ainfi difpofees, ç
% Pérelle ; nous avons deux artiftes françois de cè
nom, qui fe font illuftrés dans la gravure du pay-
fage.
Perrier, {François) né à Mâcon en 1 59Ô -, mort à
Paris en 1650, s’eft diftingué par fes gravures à l’eau-
forte ; on ellime fur-totit celles qui repréfentent les
antiques, les bas-reliefs de Rome, 8r .dans lé moder*
n e , plufieurs chofes d’après Raphaël : il grava auffi
quelques antiques dans la maniéré du clair-obfcur ,
que le Parmelan avoit le premier mis en üfage.
Picard, {Bernard) né à Paris en 1673, mort à Am-
fterdam en 1733, étoit fils d’Etienne Picard, furnom-
mé le Romain, homme de réputation dans la gravure.
Bernard s’attacha fur-tout à mettre beaucoup dé
propreté 6c de netteté dans fes ouvrages pour plaire
à la nation chez laquelle il s’étoit retiré, ôc qui aimé
paffionnément le fini, ÔC le travail où brille la patience
: il ne fut guere occupé en Hollande que pai*
les libraires, mais il avoit foin de garder une quantité
d’épreuves de toutes les planches qu’il gravoit ; ÔC
les curieux qui vouloient faire des collerions, les
achetoient à tout prix : fes delfeins étoient auffi fort
chers. On connoît fes planches des métariiorphofes
d’Ovide.
Quand ce maître s’eft écarté de fa maniéré léchée,
il a exécuté des chofes très-piquantes, 6c fes compétitions
en grand nombre font honneur à fon génie ;
lespenfées en font belles 6c pleines de nobleffe,mais
quelquefois trop recherchées 6c trop allégoriques.
Il a fait un nombre d’eftampes qu’il nomma Lesim-
pojlures innocentes, parce qu’il avoit tâché d’imiter
les différens goûts pittoresques de certains maîtres
favans qui n’ortt gravé qu’à l’eau-forte, tels que le
Guide, le Rembrand, Carie-Maratte -, 6c autres ; il
réuffit 8t eut le plaifir devoir fes eftampës achetées
par ceux-là même qui fe donnoient pour connoiffeurs
du goût ôc de la maniéré des peintres. Bernard
a publié le catalogue de fon oeuvre»
Pippo, (dit Philippe de Santa-Croce) s’eft alitant
diftingué par le beau fini 6c l’extrême délicateffe
qu’il mettoit dans fes ouvrages, que par le choix fin-
gulier de la matière qu’il employoitpour fon travail.
Ce graveur s’amufoit à tailler fur des noyaux de pru-*
nés 6c de cerifes, de petits bas-reliefs compofés de
plufieurs figures, mais fi fines qu’elles de venoient imperceptibles
à la vûe : ces figures font néanmoins
dans toutes leurs proportions»
Poilly , {François) né à Abbeville en 1622, mort
à Paris en 1693 , a mis au jour une oeuvre très-confidérable,
quoiqu’il donnât beaucoup de tems 6c de
foin à finir les planches. La précifion, la netteté, 8t
le moelleux de fon burin, font rechercher fes ouvrages
dans lefquels il a fû conferVer la nobleffe, les
grâces, & l’elprit des grands-maîtres qu’il a copiés.
Nicolas Poilly, fon frere,mort en 1696 âgé de foi^
xante-dix ans, s’eft diftingué dans la gravure du portrait
; l’un & l’autre ont laiffé des enfans qui fe font
appliqués à leur profeffion. 4
Le Rembran fit paffer la chaleur de fa peinture
jufque dans la maniéré de graver dont il eft l’inventeur.
Quelle touche, quelle harmonie, quels effets
furprenans ! font-ce des eftampes Ou des deffeins ? la
belle ôc l’extrême facilité qui y régnent pourroient
induire ën erreur, fi la fermeté du travail dans certains
endroits ne le déceloit * en marchant par des