
Les anciens ouvrages qu’on peut confulter le plus
•utilement fur l’art de la guerre, outre celui de Vege-
-ce font la Cyropédie, ou Yhijioirede Cyrus par Xéno-
phon : la retraite des dix mille, & l’hiftoire de Poly-
be . les commentaires de Céfar, la tactique d’Elien, &c.
Parmi les modernes, on peut lire le parfait cap'v-
taine du duc de Rohan ; les mémoires de M. de Turen-
ne, inférés à la fuite de la vie de ce grand capitaine,
par M. de Ramfai ; ceux de Montecuculli, de M. le
marquis de Feuquieres ; les réflexions militaires de M,
•le marquis de Santa-Crux ; le commentaire fur Polybe
par M. le chevalier Folard ; Part de la guerre par M.
le maréchal de Puyfegur ; les rêveries ou mémoires fur
la guerre par M. le maréchal de Saxe, &c.
La fcience de la guerre eft fi étendue qu’on ne doit
pas être furpris du petit nombre de ceux qui y excellent.
Ce n’eft pas affez que les généraux fâchent
ranger les armées en bataille, les faire marcher, camper
, & combattre ; il faut qu’ils fâchent encore préserver
leurs armées des maladies qui pourroient les
ruiner ou les affoiblir. Il faut auffi lavoir encourager
le foldat pour le faire obéir volontairement, & fup-
porter patiemment les fatigues extraordinaires auxquelles
il peut être expofé. Il faut avoir foin que les
vivres ne lui manquent point, & que la cavalerie
n’éprouve aucune difette de fourrage. C ’eft à quoi
l ’on doit toujours penfer de bonne heure. C ’eft une
épargne à contre-tems, dit Vegece, que de commencer
à ménager les vivres lorfqu’ils manquent. Cet auteur
obferve que dans les expéditions difficiles, les
anciens diftribuoient les vivres par tête, fans avoir
égard au grade ; mais on en tenoit compte enfuite à
ceux à qui on les avoit ainfi diminués.
Outre ces différentes attentions, il y en a encore
beaucoup d’autres, qu’on peut voir dans l’entretien
de Cyrus & de Cambyfe, rapporté dans le premier
livre de la Cyropédie ; tout cela doit faire fen-
tir combien la fcience de la guerre demande de travail
& d’application. Cependant Polybe confeille
encore à ceux qui a/pirent au commandement des
armées,d’étudier les Arts & les Sciences qui ont quelque
rapport à l’art militaire. « Ajoûter, dit cet au-
» teur, des connoiffances inutiles au genre de vie
*> que nous profeffons, uniquement pour faire mon-
» tre & pour parler, c’eft une curiofité que je ne
» faurois approuver ; mais je ne puis non plus goû-
» ter que dans les chofes néceffaires on s’en tienne
» à l’ul'age & à la pratique, & je confeille fort de re-
» monter plus haut. Il eft abfurde que ceux qui s’ap-
» pliquent à la danfe & aux inftrumens fouffrent
„ qu’on les inftruife de la cadence & de la Mufique ;
» qu’ils s’exercent même à la lutte, parce que cet
» exercice paffe pour contribuer à la perfeftion des
» deux autres ; & que des gens qui afpirent au com-
*> mandement des armées, trouvent mauvais qu’on
» leur infpire quelque teinture des autres Arts &~des
» autres Sciences. De fimples artifans feront-ils donc
» plus appliqués & plus vifs à fe furpaffer les uns
» & les autres , que ceux qui fe propofent de briller
» & de fe fignaler dans la plus belle & la plus haute
» des dignités ? Il n’y a perfonne de bon (ens qui ne
» reconnoiffe combien cela eft peu raifonnable ».
Hifi. de Polybe, trad. de dom Vincent Thuillier $
liv. IX . ch. jv .
• Après avoir fait fentir la néceffité de l’étude de la
guerre, entrons dans quelques détails fur ce qui en
regarde l’exécution, ou les principales opérations.
La guerre ne doit s’entreprendre qu’a près beaucoup
de réflexions ; il faut avoir tout prévû & tout
combiné, pour n’être pas furpris par les évenemens.
» II y a deux fortes d’aclions militaires, dit Poly-
» be : les unes fe font à découvert & par force, les
» autres par fineffe & par occafion. Celles-ci font
t> en beaucoup plus grand nombre que les autres ; il
» ne faut que lire l’Hiftoire pour s’en Convaincre'*
» D e celles qui fe font faites par occafion , on en
» trouve beaucoup plus qui ont été manquées que
» de celles qui ont eu un heureux fuccès. Il eft aifé-
» d’en juger par les évenemens : on conviendra
» encore que la plupart des fautes arrivent par l’i-
» gnorance ou la négligence des chefs. Ce qui fe fait
» à la guerre fans but & fans deffein, continue le
» même auteur, ne mérite pas le nom d’actions. Ce
» font plutôt des accidens & des hafards dont on ne
» peut tirer aucune conféquence, parce qu’elles ne
» font fondées fur aucune raifon folide ».
Avant de commencer la guerre, il eft donc important
d’avoir des vues & des defl'eins, qu’on fe pro-
pofe defuivre autant que les circonftances pourront
le permettre. C ’eft ce qu’on appelle, fuivant M. de
Folard, regler P état de la guerre. Voye[ Et a t DE LA
G uerre.
Lorfqu’on veut entreprendre une guerre, il faut
commencer par des préparatifs de longue main, non-
feulement pour avoir le nombre des troupes néceffaires,
mais encore de l’argent pour fournir à fa dé-
penfe. Henri IV. ayant formé le deffein de porter la
guerre en Allemagnë, M. de Sully fut rallentir fou
ardeur jufqu’à ce que ce prince eût dans fes coffres
de quoi la faire pendant plufieurs années. Il faut des
magafins confidérables de munitions de guerre Sc de
bouche dans les lieux à portée de ceux que les armées
doivent occuper. Dans toute expédition, dit
V egece, le point capital eft d'avoir toujours des vivres,
& de ruiner l'ennemi en les lui coupant. Outre
cette attention indifpenfable, il eft important de
prendre de bonne heure des arrangemens avec les
puiffances auxquelles on pourroit caufer de la ja-^
loufie, pour n’en être point traverfé dans fes opérations
: c’eft ce que fit Louis XIV. dans la guerre de
1672.
Ce prince avoit pris toutes les précautions que la
prudence peut fuggérer, pour n’être point diftrait
de la pourfuite de fon objet ; ôc fi les évenemens
heureux de cette guerre ne l’avoient pas excité à la
continuer au-delà des bornes néceffaires pour humilier
cette république, dont il avoit lieu de fe
plaindre , il feroit parvenu à fon but fans obftacles
de la part des puiffances voifines.
Quelque néceffaires que foient les préparatifs
dont on vient de parler, ils ne doivent pas faire
toute l’application de celui qui veut commencer la
guerre. « Il doit encore s’appliquer à connoître le
» génie de fon ennemi & le cara&ere de fes géné-
» raux ; s’ils font fages ou téméraires, hardis ou ti-
» mides, s’ils combattent par principes ou au ha-
» fard ; avec quelles nations braves oulâches ils ont
» eu affaire ; . . . . comment font affe&ées fes trou-
» pes; ce que penfent celles de l’ennemi; lequel des
» deux partis a le plus de confiance , preffentiment
» qui éleve ou abaiffe le coeur, * . . . Un général
» vigilant & fage doit pefer dans fon confeil fes for-
» ces & celles des ennemis , comme s’il avoit à jur
» ger civilement entre deux parties. S’il fe trouve
» fupérieur en plufieurs endroits, il ne doit pas dif-
» férer de profiter de fon avantage ; mais s’il fent
» que l’ennemi foit plus fort que lu i, il doit éviter
» une affaire générale, & s’en tenir aux rufes, aiix
» furprifes, & aux embufeades qui ont fouvent fait
» triompher des troupes inférieures en force & en
» nombre fous de bons généraux ». Vegece, même
traduction que oi-deffus.
II faut connoître auffi le plus exactement qu’il eft
poffible, le pays qui doit être le théâtre de la guerre ;
(avoir les fecours qu’on en pourra tirer pour la fub-
fiftance des troupes & pour les fourrages & les incommodités
qui pourront en réfulterpour l’ennemi.
Enfin ce n’eft pas affez d’affembler une armée, il faut
favoïr auparavant où elle agira, & comment elle le
fera. Lorfqu’on eft une fois entré en campagne, il
ne doit plus être queftion de délibérer, mais d’entamer
avec vivacité les opérations qu’on s’eft pro-
pofé d’exécuter. M. de Folard dit quelque part fur
ce fujet, « que les lents & les engourdis;à la guerre
auront auffi peu de part à la gloire de ce monde,
».que les tiedes à celle du ciel.
» Il ne faut pas toujours regler l’état de la guerre
» fur le nombre & la qualité des forces que l’on veut
» oppofer à l’ennemi, qui fera peut-être plus fort.
» Il y a certains pays où le plus foible peut paroître
» & agir contre le plus fort, où la cavalerie eft de
» moindre fervice que l’infanterie, qui fouvent fup-
» plée à l’autre par fa valeur. L’habileté d’un géné-
» ral eft toujours plus avantageuse que la Supériorité
» du nombre, & les avantages d’un pays. Urf Tu-
» renne réglé l ’état de la guerre fur la grandeur de
» fes connoiffances, de fon courage, & de fa har-
» dieffe. Un général qui ne lui reffemble en rien,
» malhabile > peu entreprenant, quelque fupérieur
» q u ’il foit, craint toujours, & n’eft jamais affez
»fort». Comment, fur JPolybey parM. le chevalier
Folard, tome V. page 3 47.
On doit toûjours commencer la guerre par quelque
adion d’éclat, & ne point fe laiffer prévenir par
l ’ennemi. « S’il incline à combattre, dit l’auteur que
» nous venons de citer, il faut aller au-rdevant plû-
» tôt que de l’attendre : que s’il évite un engage-
» ment, il faut le pouffer à quelque prix que ce
» fo it ; car un liège eft très-difficile lorfqu’on ne le
» fait pas enfuite d’une grande viûoire ou d’un avan-
» tage confidérable. Il faut obferver toutes ces cho-
» fes, lorfqu’on réglé l’état de la guerre, & que l’on
» établit fon plan avant de la commencer ; car lorf-
» qu’on a médité à loifir fur ce qu’on eft réfolu de
» faire, & fur ce que l’ennemi peut raifonnablement
» oppofer, on vient à bout de fes deffeias ». Même
ouvrage que ci-dejfus , tome V. page 3 5 o.
Il feroit aifé d’ajoûter beaucoup d’autres réflexions
fur cette matière ; mais comme il ne s’agit point
ici d’un traité fur la guerre , mais d’expliquer ce
qu’elle a de plus général, nous donnerons feulement
un précis de la guerre offenfive & de la guerre
défenfive ; l’on dira auffi un mot de la guerre de fecours.
De la guerre offenfive. Dans la guerre offenfive ,
comme on fe propofe d’attaquer l’ennemi, il faut
être affez exa&ement informé de fes forces pour être
aflùré qu’on en aura de plus grandes, ou que l’on
fera en état de faire des conquêtes avant qu’il ait le
lems de raffembler fon armée pour s’y oppofer.
« Si le pays que l’on veut attaquer, dit M. de
» Feuquieres, eft bordé de places fortes , il faut at-
» taquer le quartier qui y donne une entrée libre,
» & qui porte avec plus de facilité vers la capitale,
» à qui il faut, autant qu’il eft pqffible, au commen-
» cernent de la guerre, faire voir l’armée , afin d’y
» jetter la terreur, & tâcher par-là d’obliger l’enne-
» mi de dégarnir quelques-unes des places de lafron-
» tiere pour raflùrer le coeur du pays.
» Il faut enfuite tomber fur les places dégarnies
» pour ouvrir davantage le pays attaqué, faire ap-
» porter dans ces places après leur prife, tous les
» dépôts qui étoient dans les vôtres, & faire ainfi la
» guerre avec plus de commodité.
» Lorfqu’on aura pénétré le plus avant qu’on l’au-
» ra pu faire, il faut faire camper l’armée en lieu
» fain & commode pour les fourrages, & même en
» lieu avantageux par fon affiette, afin de pouvoir
» de-là faire des détachemens confidérables., pour
» réduire par la terreur des armes les extrémités du
» pays où l’on ne pourroit pas avec fûreté & com-
»modité pour les vivres ,.fe porter avec l’armée
» entière »> Mém. de M. le marquis de Fetiquieres,
tome Il\ page tS & fuivantes.
C ’eft particulièrement dans ces commencemetts
qu’il faut ufer de diligence pour l’exécution des dif-
férens projets qu’on a formes. On vit d’abord aux dépens
de l’ennemi, on ruine le pays par où il peut s’af-
fembler, & l’on jette la terreur parmi les troupes &
les peuples. « Une bataille, dit l’auteur que nous Ve-
» nons de citer, donnée à-propos dans un commence-
» ment de guerre , en décide prefque toûjours le fuc-
» cès : ainfi il ne faut point héfiter à la donner 3 fi
» l’ennemi par quelque mouvement pour mettre fes
» troupes enfèmble, fe met à-portée de rifquer un
» événement >>,
Quelque incertain que foit le fuccès des batailles
, il paroît en effet que loin de les éviter au commencement
d’une guerre , il faut chercher l’occafion
d’en donner.« C ’eft un paradoxe, dit Montecuculli,
» que d’efpérer de vaincre fans combattre. Le but de
» celui qui fait la guerre eft de pouvoir combattre en
» campagne pour gagner une viûoire ; & quiconque
» n’a pas deffein d’en venir-là, eft éloigné de la fin
i»jnaturelle de la guerre. On a bien v û , continue ce
» grand capitaine , des armées foibles en défaire de
».fortes èn campagne ; mais on n’a jamais vû une ar-
» mée qui fe renferme dans un camp fortifié pour évi-
» ter.le combat, défaire celle qui l’attaque : c’eft af-
» fez à. l’aggreffeur que de plufieurs attaques une feule
» lui réuflme pour le rendre viélorieux ». Mém. de
Montecuculli, liv. I I . chap. vj.
Le gain d’une bataille peut avoir les fuites les plus
héureufes, lorfque le général a toute la capacité né-
ceffaire pour en profiter ; mais fa perte en a ordinairement
de fi fâcheufes, qu’on ne doit la rifquer
qu’avec beaucoup de circonfpe&ion. Montecuculli
qui confeille d’en chercher l’occafion au commencement
de la guerre , obferve néanmoins « que dans
» une matière fi importante on ne peche pas deux
» fois ; & que quand le mal eft arrivé, il ne fert de
» rien de fe repentir & de rejetter fa faute fur ce-
» lui-ci ou fur celui-là ; qu’il faut beaucoup de fer-
» meté & de préfence d’efprit pour pourvoir à tout,
» & ne pas préférer les murmures de la populace
» au falut publie ; qu’il faut chercher à faire quel-
» que coup d’importance fans tout rifquer , parce
» qu’il n’y eut jamais de prudence à rifquer beau-
» coup pour gagner peu. Mém. de Montecuculli, liv*
I I I . chap. jv .
M. le maréchal de Saxe n’étoit point pour les batailles,
fur-tout, d it- il, au commencement d’une
guerre. Il prétend, dans fes mémoires, qu’un habile
général peut la faire toute fa vie fans s’y voir obligé
: « Rien, dit cet illuftre général, ne réduit tant
» l’ennemi que cette méthode (d’éviter les batail-
» les), & n’avance plus les affaires. Il faut, ajoute-
» t-il, donner de fréquens combats & fondre, pour
» ainfi dire, l’ennemi petit-à-petit; après quoi il efit
» obligé de fe cacher ».
Cette méthode eft fans doute plus sûre & plus
prudente que la précédente ; mais outre qu’elle demande
beaucoup de fcience & de génie dans le général
, il faut obferver que fi en agiffant de cette maniéré
on fe commet moins, on réduit auffi l ’ennemi
moins promptement : la guerre eft alors plus longue
& moins décifive. On (e ruine en détail fans rien
faire de grand : c’eft pourquoi cette conduite excellente
dans la guerre défenfive , ne l ’eft peut-être pas
autant dans l’offenfive. « S’imaginer faire des con-
» quêtes fans combattre, c’eft, dit Montecuculli, un
» projet chimérique. Les guerres des Romains qui
» étoient courtes & greffes, font, dit-il, bonnes à
» imiter; mais on ne les peut faire faiis batailles ».
M. de Puyfegur penfoit fur les batailles à-peu-
près comme M, le maréchal dé Saxe. Selon cet au