fur fon efprit & fur fa figure ; les premières notions
qu’on lui donne de lui-même, c’eft qu’il eft riche ou
que fa naiflance eft illuftre ; & la naiflance ou les
richeffes font les premiers objets dont il entend parler
avec refpeél ou avec envie ; s’il fait des queftions,
on le trompe; veut-on l’amufer,onIui dit des abfur-
dités ; s’il commande, on obéit ; s’il parle à-tort & à-
travers, on applaudit ; on rit, s’il fait des méchancetés
; on lui apprend à frapper , à dire des injures,
à contrefaire , à fe moquer : ce qu’on lui recommande
comme raifonnable, on lui permet de ne le pas
fuivre ; ce qu’on lui a défendu comme condamnable,
on permet qu’il le fafle, & fouvent on lui en donne
l’exemple : on le menace lans le punir, on le carefle
par foibleffe & par fantaifie ; on le gronde par humeur
& mal-à-propos : ce qu’on a retufe à fa priere,
on l’accorde à fon importunité, à fon opiniâtreté, à
fes pleurs, à fes violences. Pourroit-on s’y prendre
autrement, fi l’on fe propofoit de lui déranger la
tête 6c d’éteindre en lui tout fentiment de vertu ?
A l’égard des principes qu’on croit lui donner,
quelle impreffion veut-on qu’ils faffent fur lui, quand
tout contribue à les détruire ? comment refpedtera-
t-il la religion, lorfqu’après lui en avoir enfeigné les
devoirs, on ne les lui fera pratiquer ni avec refpefl
ni avec exa&itude ? comment craindra-t-il fes pa-
rens, quand ils ne lui feront pas reconnoître leur autorité,
& qu’ils paroîtront lui rendre beaucoup plus
qu’il ne leur rend? comment faura-t-il qu’il doit quelque
chofe à la fociété, quand il verra tout le monde
s’occuper de lui, & qu’il ne fera occupé de perl'onne?
Abandonné au déreglement de fes goûts 6c au de-
fordre de fes idées , il s’élèvera lui-même le plus
doucement & le plus mal qu’il lui fera poflible ; le
moindre penchant qu’il aura, il voudra le fatisfaire ;
ce penchant deviendra fort par l’habitude ; les habitudes
fe multiplieront ; & de leur affemblage fe formera
dans l’enfant l’habitude générale de compter
pour rien ce qu’on lui dit être la rail'on, 6c de n’écouter
que fon caprice 6c fa volonté.
Ainfi fe paflént les fept premières années de fa
vie; 6c fes défauts fe font tellement accrus, queles païens
eux-mêmes ne peuvent plus fe les diflimuler: l’enfant
leur cede encore quand ils prennent un ton plus
férieux, parce qu’ils font plus forts que lui ; mais dès-
lors il fe promet bien de ne reconnoître aucune autorité
quand il fera plus grand : à l ’égard de la gouvernante
, elle n’a plus d’empire fur lu i, il fe moque
d’elle, il la méprife ; preuve évidente de la mauvaife
éducation qu’il a reçue.
Il paffe entre les mains des hommes : c ’eft alors
qu’on penfe à réparer le mal qu’on a fait ; on croit la
chofe fort aifée : on fe flatte qu’avant trois mois l’enfant
ne fera pas reconnoiffable ; on eft dans l’erreur.
Avec beaucoup de peine on pourra, jufqu’à un certain
point, retrancher la fuperficie de fes mauvaifes
habitudes : mais les racines relieront ; fortifiées par
le tems, elles fe font, pour ainfi dire ,* identifiées
avec l’ame ; elles font devenues ce qu’on appelle la
nature.
Cette peinture n’a rien d’exagéré ; relativement
à beaucoup d’éducations, les traits en font plutôt af-
foiblis que chargés. Ainfi font élevés, je ne dis pas
les enfans des particuliers, dont la mauvaife éducation
eft bien moins dangereufe pour eux 6c moins
importante pour la fociété, mais les enfans des grands
6c des riches, c’eft-à-dire ceux qui devroient être
l’efpérance de la nation, & qui par leur fortune 6c
leur rang, influeront beaucoup un jour fur fes moeurs
& fur fa deftinée.
On s’imagine qu’il ne faut point contraindre les
enfans dans leurs premières années ; on ne fait pas
attention que les contradi&ions qu’on leur épargne
ne font rien, que celles qu’on leur prépare feront terribles.
On fe propofe de les plier quand ils feront
forts ; pourquoi ne veut-on pas voir qu’il feroit bien
plus facile 6c plus fur d’y réuflir quand ils font foi-
bles ? Quiconque a examiné les hommes dans leur
enfance, 6c les a fuivis dans les différens périodes
de leur âge , a pu remarquer comme moi, que pref-
que tous les défauts qu’ils avoient à fept ans, ils les
ont confervés le refte de leur vie.
On craindroit en gênant un enfant, de troubler
fon bonheur 6c d’altérer fa fanté : il eft cependant
manifefte que celui qui eft élevé dans la foûmiflion
eft, pour le préfent même, mille fois plus heureux
que l’enfant le plus gâté.. Qu’on examine & qu’on
juge ; on verra l’enfant bien élevé être g a i, cornent,
& tranquille ; tout fera plaifir pour lu i, parce qu’on
lui fait tout acheter : l ’autre, au contraire , eft inquiet,
inégal 6c colere à proportion qu’il a été plus
gâté ; fes defirs fe détruifent l’un l’autre; la plus petite
contradiction l’irrite ; rien ne l’amufe, parce
qu’il eft raffafié fur tout.
Croit-on que ces mouvemens violens dont il eft
fans celle agité ne puiffent pas influer fur fon tempérament
? croit - on que l’inquiétude de fon efprit
6c le defordre de fes idées ne foient pas capables d’altérer
les fibres délicates de fon cerveau? Qu ’on y
prenne garde, il n’y a guere d’enfans gâtés qui dans
leurs premières années n’ayent eu des fymptomes
de vertige ; 6c lorfqu’ils font devenus grands, on peut
juger par leur conduite fi leur tête eft bien faine.
Parens aveugles, vous vous trompez groffiere-
ment fur les objets que vous vous propoiez ; vous
n’êtes pas moins dans l’erreur fur vos propres motifs
; vous vous croyez tendres, vous n’êtes que foi-
bles: ce ne font pas vos enfans que vous aimez,
c’eft l’amufement qu’ils vous donnent.
Croyez-vous que le ciel vous les confie pour être
l’objet d’une paflion folle , ou pour vous fervir d’a-
muîement ? ignorez-vous que c’eft un dépôt dont vous
lui rendrez compte? que vous en êtes comptables à
la république, à la poftérité? pourquoi faut-il vous
dire que vous l’êtes à vous-mêmes ? Un jour viendra
que vous payerez bien cher les foibles plaifirs que
ieur enfance vous donne : quelle fera votre douleur,
quand vous verrez l’objet de toutes vos affeâions
devenu celui du mépris public ? quand fon mépris
pour vous-mêmes deviendra le falaire de vos molles
complaifances ? quand ce fils rendu dénaturé par
l’excès de vos tendreffes, fera le premier à vous reprocher
tous fes vices comme étant votre ouvrage?
alors vous répandrez des larmes de fang ; vous ac-
euferez la gouvernante, le précepteur, le gouverneur,
tout l’univers. Parens injultes , vous n’aurez
peut-être à vous plaindre que de vous !
Si c’étoit aux meres que j’adrefl'affe ce difeours ,
la plûpart me regarderoient comme un moralifte
atrabilaire ; c’eft aux peres que je m’adreffe : en leur
qualité d’hommes, leur ame doit être moins foible &
leurs vîtes moins bornée’s ; il ne leur eft pas permis
de fe laifler féduire par l’objet prêtent, 6c de ne pas
porter leurs yeux dans l’avenir.
Si vous êtes dignes de ce titre depere, vous devez
vous occuper de l’éducation de vos enfans, même
avant qu’ils foient nés. Quoique peu de meres foient
capables de cette paflion funefte qui va juliqu’à l’ido-
latrie , toutes font foibles, toutes font capables d’aveuglement
: fi vous voulez contenir leurs fentimens
dans les bornes qu’ils doivent avoir, il faut vous y
prendre de bonne heure. Faites remarquer à votre
époulè la mauvaife éducation qu’on donne aux enfans
de fa connoiffance, les déreglemens de prefque
tous les jeunes gens d’un certain ordre, tous les chagrins
qu’ils donnent à leurs parens, 6c combien les
fentimens de la nature font éteints dans leur coeur;
parlez-lui fur tout cela avec la tendrefle que vous lui
devez, & avec la force que doit vous infpiref lin intérêt
fi grand. Veillez en même tems fur’la tendrefle ;
elle-même eft un enfant à qui il feroit dangereux de
laifler prendre une mauvaife habitude : fi elle avoit
gâté votre fils dans les bras de la nourrice, elle con-
tinueroit de le gâter entre les mains de \digouvernante
; elle mettroit obftacle à tout le bien qne pour-
roient faire le précepteur & le gouverneur : pour là
ramener, il faudroit livrer des combats ; peut-être
n’auriez-vous pas la force de combattre toujours, &
votre fils feroit perdu fans reflource.
Quand on choifira une nourrice, outre les qualités
phyfiques qu’elle doit avoir, faites enforte qu’elle
foit femme de bon fens : tant que l’enfant fe portera
bien, qu’on ne lui paffe ni volonté ni impatience ;
quand même il feroit indifpofé, il ne faudroit pas s’écarter
de cette méthode : un mois de maladie nuit
plus à fon éducation qu’une année de foins n’à pu
l ’avancer; Pour peu qu’il y ait de danger, tous les
parens perdent la tête, 6c il eft bien difficile qu ils^ne
la perdent pas : il feroit à fouhaiter qu au-moins 1 un
des deux ne compromît point fon autorité, que le
pere prît fur lui de né pas voir fon enfant, afin que
par la fuite l’afeendant qu’il auroit confervé pût rendre
à la mere & à la gouvernante tout celui qu elles
ont perdu. Ce n’eft pas la maladie qui rend impatient,
c’eft l’habitude de l’être qui fait qu’on l’eft davantage
quand on fouffre ; 6c c’eft la foible 6c tunide complaisance
des parens qui fait qu’alors un enfant le devient
à l’excès. . , . »
• Si l’enfant pleure, il eft aife de demeler le motil
de fes larmes; s’il pleure pour avoir quelque chofe,
c’eft opiniâtreté, c’eft impatience ; s’il pleure fans
qu’on voye pourquoi, c’eft douleur : dans le premier
cas, il faut le careffer, pour le diftraire, n’avoir pas
l’air de le comprendre, 6c faire tout le contraire de
ce qu’il veut ;-dans le fécond-cas, confultez votre
tendrefle, elle vous confeillera bien.
Les premières volontés d’un enfant font toujours
foibles ; c’eft un germe qui fe développe & que la
moindre réfiftance détruit ; elles relieront foibles tant
qu’elles lui réufliront mal ; que fi fon impatience 6c
fes volontés font fortes, c’eft une preuve que la nourrice
n’eft pas attentive, 6c qu’elle l’a gâté. }
Dès qu’elle ne lui fera plus néceffaire, & qu on
l’aura fevré, qu’elle foit écartée. Le premier jour ,
l’enfant répandra des larmes ; fi fes larmes viennent
d’attachement & de fenfibilité, on ne peut payer
par trop de careffes ces précieufes difpofitions ; s il
s’y mêle de l’humeur, qu’on le carefle encor® » mais
que les careffes diminuent à - mefure que 1 humeur
augmentera ; s’il demande quelque chofe avec impatience
, on lui dira avec beaucoup de douceur,
qu’o/z eft bien fâché de le refufer , mais qu’on n ’accorde
point aux enfans ce qu’ils demandent avec impatience :
peut-être il n’entendra pas ce difeours, mais il entendra
l’air 6c le ton ; il verra qu’on ne lui donne
point ce qu’il a demandé; foit étonnement foit lafli-
tude, il fufpendra fes larmes ; qu’on profite de cet
intervalle pour le fatisfaire. . I
Le fécond jour , on mettra fa patience a une plus
longue épreuve, 6c l’on continuera par degrés les
jours fuivans, en obfervant toûjours de ne le careffer
que lorfqu’il fera tranquille , 6c de ceffer les careffes
qu’on lui fait, ou même de prendre un air plus
férieux dès qu’il fera opiniâtre ou impatient : cette
conduite n’a rien de dur ni de cruel ; l entant s ap-
percevra bientôt qu’il n’eft carefle 6c qu il n obtient
ce qu’il veut que quand il eft doux, 6c il prendra fon
parti de le devenir.
Dès que vous l’aurez rendu tel, comptez que vous
aurez tout gagné ; fon ame fera entre vos mains comme
une cire molle que vous paitrirez comme ilvous
plaira ; vous n’aurez plus à travailler que fur YQUS-
fome V U , .
même, pour vous foûtenir dans une attention c ont*
nuelle,pour démêler en lui ces femences de défauts
ou de vices fouvent foibles 6c obfcures, 6c que
néanmoins il faut réprimer dès qu’elles paroif-
fent, fi l’on veut y parvenir avec certitude & fans
tourmenter l’enfant ; pour mettre votre efprit à la
portée du lien , fur-tout pour avoir une conduite
loûtenue : car ne croyez pas qu’on éleve un enfant
avec de beaux difeours 6c de belles phrafes : vos
difeours pourront éclairer fon efprit ; mais c’eft votre
conduite qui formera fon caraâere.
Ne reffemblez point à la plûpart des gouvernantes^
qui font tracaffieres, grondeufes, acariâtres , ou au
contràire.toûjours en admiration devant leurs éleves
& leurs complaifantes éternelles : quelques-unes même
réunifient les deux extrêmes , fucceflivement
idolâtres & pleines d’humeur. C ’eft leur mal-adreffe,
& ce font leurs défauts qui donnent aux enfans une
partie de ceux qu’ils ont. Avec beaucoup de fermeté
dans la conduite, ayez beaucoup d’égalité dans
l’humeur, de gaieté dans vos leçons, de douceur
dans vos difeours ; prêchez d’exemple, rien n’eft plus
puiffant fur les enfans comme fur les hommes faits ;
de quelque tempérament que foit votre éleve, vous
verrez qu’infenfiblementla douceur & la férénité de
votre ame pafl'eront dans la fienne.
Si vous voulez l’inftruire avec fruit, ne vous contentez
pas de lui étaler votre éloquence devant les
autres & quand vous pourrez être entendue; ce n’eft:
pas quand l’enfant eft diflipé, que les chofés fenfées
qu’on lui dit peuvent faire impreffion fur lui : c’eft
dans le particulier, quand fon ame eft tranquille &
fon efprit recueilli. Il n’y a point d’enfant en qui l’on,
ne puiffe faifir de ces momens d’attention ; une gou*
vernante habile peut les faire naître fouvent.
Dès qu’il fera capable d’avoir une idée de Dieu ,
expliquez-lui ce que c’eft que fa toute-puiffance , fa
bonté, fa juftice; apprenez-lui le culte qu’on lui doit
6c les prières qu’il faut lui adreffer ; pour lui donner
l ’exemple, priez avec lu i , & mettez-vous dans la
pofture où il doit être. Ce n’eft qu’en parlant à fes
yeux que vous parlerez à fa raifon. A commencer
du moment que vous l’aurez inftruit, ne permettez
jamais ni qu’il oublie de prier, ni qu’il prie dans une
pofture peu décente , à-moins qu’il ne foit malade r
alors au lieu de fes prières ordinaires, qu’il en fafle
une courte, & qu’il n’y manque jamais : vous lui
apprendrez fes autres devoirs de religion, & les lui
ferez pratiquer à mefure qu’il fera en âge de les remplir.
Ses devoirs envers fes parens marcheront de pair
avec ceux de la religion ; apprenez-lui que fon bonheur
ou fon malheur eft dans leurs mains ; qu’il tient
de leurs bontés tout ce qu’il eft 6c tout ce qu’il a ;
qu’ils font peur lui l’image de Dieu ; que D ieu leur
a’donné par rapport à lui une partie de fa puiffance
de fa bonté, de fa juftice ; qu’il ordonne de les aimer
6c de les honorer, & qu’il n’a promis une longue v ie
qu’aux enfans qui les honorent ; mais il faut que les
•parens entrent bien dans vos vûes : car fi vos difeours
ne font pas fécondés parleur conduite, toutes les leçons
que vous pourrez faire à l’enfant, font autant
de paroles perdues.
Le premier fentiment qu’on doit exiger d’un enfan
té e n’eft pas fon amitié, c’eft fon refpeéhfi l’on
veut s’en faire aimer par la fuite, il faut commencer
par s’en faire craindre ; celui qu’on éleve dans l’indépendance
n’eft occupé que de lui-même, 6c fon
coeur s’endurcit ; celui qu’on éleve dans la foûmiflion
fent le befoin qu’il a d’appui, 6c s’attache naturellement
aux perfonnes dont il dépend.
Que fes parens lui cachent toute la tendrefle qu’ils
ont pour lui ; l’enfant en abuferoit ; qu’ils viennent
rarement le trouver, ou du-moins qu’ils relient peu
G G g g g ij