correfls d’après lefquels il eft quelquefois obligé de
graver ; 6c peut-être même d’ajouter quelquefois à
des tableaux d’ailleurs fort eftimables, une cxaâitu-
de dans les détails, que les peintres habiles fc croyent
mal-à-propos en droit de négliger. Je ne prétens pas
pour cela Irifinuer aux Graveurs de fe donner une
liberté qui feroit condamnable. Le graveur eft pour
les peintres dont il imite les tableaux , ce que le tra-
duûeur eft pour les auteurs dont il interprète les
ouvrages ; ils doivent l’un 6c l’autre conferver le ca-
raftere de l’original, 6c fe dépouiller de celui qu’ils
ont ; ils doivent être des protées : on ne lit une tra-
duôion, & l’on ne confulte pour l’ordinaire une gravure,
que pour connoître les auteurs originaux.
Il eft néceffaire que les Graveurs fâchent l’Archi-
te&ure 6c la Perfp.e&ive, par les raifons que j’ai
données ci-deffus ; en effet il arrive quelquefois qu’un
deflein ne fait qu’indiquer d’une maniéré indécife
les différens ornemens de l’Architeâure, ou les effets
de la Perfpe&ive. Si le graveur ignore les réglés qui
doivent déterminer les effets, 6c les proportions qui
affujettiffent les ornemens 6c les marbres de l’Archi-
îe âu re , il ajoutera à la négligence 6c aux défauts du
D efle in , ou commettra des erreurs effentielles,
faute de pouvoir lire ce qu’un peintre aura indiqué.
Le cuivre rouge eft aufli celui qu’on choifit pour
graver au burin ; il faut qu’il ait les mêmes qualités
pour être propre à cette forte de gravure que pour
fervir à la gravure à l’eau-forte ; il faut aufli qu’il foit
préparé de même,& fur-tout qu’il foit parfaitement
propre, uni, & liffe.
Les outils qu’on nomme burins, fe font de l’acier
le plus pur 6c le meilleur; celui d’Allemagne a juf-
qu’ici la réputation d’être préférable à tout autre.
L ’acier, pour être b on, doit avoir un grain fin 6c de
couleur de cendre. Il eft effentiel que l’ouvrier qui
forge les burins connoiffe bien l’art de tremper l’acier.
La forme du burin eft repréfentée à la Planche
I . de la Gravure en taille-douce. On y a repréfenté
les efpeces principales des burins, tels que le burin
quarré lettre A , 6c le burin lofange lettre B. On approche
ou on s’éloigne plus ou moins de ces deux
formes, fuivant le plan de travail qu’on s’eft formé :
on les fait aufli plus courts ou plus longs, fuivant fon
goût ou la facilité qu’on y trouve, ou le genre d’ouvrage
qu’on grave. Le burin le plus commode en général
& d’un plus fréquent ufage, eft celui qui n’eft
ni trop long ni trop court, dont la forme eft entre le
lofange & le quarré , qui eft affez délié par le bout,
mais enforte que cette finefle ne vienne pas de trop
loin pour qu’il conferve du corps & de la force ; car
il cafle ou plie s’il eft délié dans toute fa longueur,
ou aiguifé trop également. 11 faut obferver que le
graveur doit avoir le plus grand foin que fon burin
foit toûjours parfaitement aiguifé, 6c qu’il n’ait jamais
la pointe émouflee, s’il veut que fa gravure foit
nette & que fon ouvrage foit propre.
J’ai dit que les burins étoient ordinairement ou
lofanges ou quarrésjles premiers font propres à faire
un trait profond à proportion de leur largeur : le burin
quarré fait un trait large qu’on approfondit quelquefois
avec le burin lofange.
Le burin a quatre côtés ; il n’eft néceffaire d’aigui-
fer que les deux dont la réunion forme la pointe de
l’outil. Voye^ la figure marquée C: elle vous indique
a b 6c b c. Ce font les deux côtés qu’il faut aiguifer :
après quoi, en applatiffant le bout par un plan incliné,
on forme la pointe b qui eft deftinée à pénétrer
le cuivre 6c à ouvrir la route du burin. C ’eft fur une
pierre à l’huile bien choifie que fe fait l’opération
d’aiguifer le burin de la maniéré qui'eft marquéefig.
D , PI. I. On y applique comme vous le pouvez
voir, un des côtés du burin dans toute fa longueur :
on tient ce côté ferme & bien à plat fur la pierre qui
eft hume&ée d’huile, en appuyant le fécond & le
troifleme doigt, qui fervent à contenir le burin pour
qu’il ne fe fépare point de la pierre : on gliffe alors
le burin le long de la pierre, & on le ramene autant
de fois qu’il eft néceffaire pour que le côté foit bien
6c bien egalement aiguifé ; on en fait autant pour l’autre
côté, jufqu’à ce que l’arête commune à ces deux
côtés foit bien vive 6c bien affilée : enfuite on travaille
à former la face, comme vous le v oyez aufli
repréfenté fig. i. de la même Planche. Il faut de l’a-
dreffe & de l’habitude pour parvenir à aiguifer un
burin., de maniéré que ces trois faces foient parfaitement
liffes 6c plates ; ce qui eft néceffaire cependant
à la perfection de l’outil.
Je n’ai point parlé de la monture du burin, elle
eft figurée, & cela fuffit ; elle fe fait du bois le plus
commun ; on la tient plus longue ou plus courte en
raifon de la facilité qu’on y trouve ; mais vous ob-
ferverez feulement dans la fig. F de la même Planche,
que l’un des côtés du manche eft applati ; ce qui eft
néceffaire pour pouvoir mettre le burin à plat fur la
planche, & pour que par ce moyen la pointe du burin
qui s’engageroit trop dans le cuivre en levant le
manche du burin, ne caffe pas fi fouvent.
Examinez la fig. G , pour y apprendre la façon de
tenir le burin : vous remarquerez dans cette figure,
que le bout du manche qui eft à moitié arrondi, doit
être appuyé dans le creux de votre main ; enforte
que ce loit l’os du bras qui lui donne une impulfion
direfte. Vous obferverez aufli, par la maniéré dont
les doigts font arrangés, qu’il ne doit s’en trouver
aucun entre le burin & la planche, lorfqu’on applique
le burin fur le cuivre pour travailler : cela eft né»
ceflaire par la même raifon que je viens de donner,'
pour laquelle on coupe le bout du manche du burin ;
la meilleure maniéré eft donc de faire enforte que le
burin glifle toûjours horifontalement fur le cuivre :
alors vous pouvez en rendant votre main legere,
commencer un trait d’une finefle extrême; pour peu
que vous foûleviez enfuite imperceptiblement le poignet,
le burin entrera plus profondément dans le cuivre
par la pointe, & élargira par conféquentla taille
fi la main fe remet enfin comme elle étoit en commençant
, le trait finira par être aufli délicat que lorfque
vous l’avez commencé. Or cette manoeuvre eft ef-
fenticlle pour la beauté de la Gravure 6c pour l’intelligence
des ombres : il faut donc s’y rompre par une
infinité d’effais ; il en faut beaucoup aufli pour qu’en
faifant cette opération délicate, vous puiflïez encore
tourner votre burin en tout fens, 6c donner à
vos tailles une flexibilité à laquelle en général la
maniéré de conduire cet outil qu’on pouffe toujours
femble contraire. Au refte, il faut avertir qu’il n’eft
pas befoin d’autant de force qu’on le croit pour cette
manoeuvre, & que la roideur eft fur-tout nuifible à
la conduite du burin. Une force bien ménagée
adoucie, & liante, eft ce qu’il faut acquérir pour
réuffir à cette forte de gravure.
Il faut ajouter à ce que j’ai dit du méchanifme de
la gravure au burin, que pour rendre plus facile l’exécution
des tailles courbes, on peut de la main gauche
faire tourner doucement la planche elle-même,
en ayant foin que les mouvemens des deux mains
s’accordent bien, 6c que la planche faffe bien également
une partie du mouvement, tandis que le burin
fait l’autre : pour c e la , on appuie la planche
qu’on grave fur un petit couffinet de cuir rempli de
fable ou de fon. La planche y prend une efpcce d’équilibre,
comme elle eft r epréfentée,^. H , Pl. /.
6c on peut aifément la faire prêter avec la main gauche
aux mouvemens qui font néceffaires.
Lorfque vous êtes parvenu à faire à l’aide du burin
une taille en coupant le cuivre, cette faille a befoin
d’être nettoyée, c ’eft-à-dire qu’il fe forme par
Faéfion du burin deux petites barbes fur le haut de la
taille, enforte qu’en paffant le doigt vous fentez une
inégalité le long de la hachure , qu’il faut faire dif-
paroître ; on fe fert pour cela d’un oiitil très-coupant
qu’on nomme grattoir; on le paffe à plat lur la
taille, en allant diagonalement tout le long de la
taille, 6c l’on s’apperçoit en y paffant le doigt en-
fuite , s’il y refte encore quelque ébarbure : on appelle
donc cette opération ébarber. Le grattoir eft repréfenté
dans la Planche I . tenant au bout du bru-
niflbir. Lorfqu’on a ainfi approprié fa taille, on la
frotte avec un petit tampon fait de feutre roulé &
fali de noir & d’huile, pour en voir l’effet, 6c pour juger
fi elle eft ou affez large ou affez n ette, ou enfin
telle qu’on la defire.
Avant que de dire un mot fur quelques parties de
l’exercice de cet art, j ’ajouterai que fi vos burins font
trempés trop durs, ils cafferont très-fouvent 6c malgré
l’adreffe que vous mettrez à les conduire. Il faut,
fi vous vous appercevez de ce défaut, mettre ces
burins fur un charbon ardent dont vous excitez le
feu jufqu’à ce que l’acier jauniffe; vous les tremperez
enfuite dans l’eau ou dans du fuif, 6c vous ef-
fayerez ainfi de leur donner le jufte degré qui leur
eft néceffaire : s’ils émouffent leur pointe, au contraire
, changez-en, c’eft un ligne certain qu’ils font
mauvais.
Venons à quelques obfervations 6c quelques réglés
générales, en rappellant ce que j’ai déjà dit, fa-
voir que le caraétere du graveur, fon intelligence,
6c le genre d’ouvrage qu’il traite, doivent le décider
ou à fuivre une maniéré, ou mieux encore à s’en
former une qu’il doit toûjours foûmettre aux principes
invariables de la Peinture & du Deflein.
Les maniérés de graver de Goltzius, Muller, Lu-
cas-Kilian, Mellan, 6c d’autres qui leur reffemblent,
font libres 6c faciles ; elles ont un mérite réel ; on
peut les blâmer aufli d’un peu d’affeûation dans le
tournoyement des tailles ; ils étoient bien-aifes qu’on
leur fût gré de l’habitude qu’ils avoient acquife.
11 vaudroit mieux qu’ils n’en euffent point fait parade
, 6c qu’ils ne l’euffent employée que dans les
endroits où elle étoit néceffaire. Point d’affeftation
ni de négligence, voilà le point duquel le graveur
doit approcher le plus qu’il lui fera poflible.
Evitez de croilèr les tailles de maniéré qu’elles
foient trop en lofange, fur-tout dans les chairs, parce
que les angles aigus répétés dans cette forte de
tra vail, forment un effet defagréable.
La maniéré entre quarré & lofange, eft la plus
Utile 6c la plus agréable à l’oeil ; elle eft^ aufli plus
difficile à employer, parce que l’inégalité des traits
s’y fait plus aifément remarquer.
Le burin doit obferver une partie des principes
que j’ai donnés au commencement de cet article; les
hachures principales doivent donc fuivre le fens des
mufcles, en s’adouciffant vers les lumières & vers
les reflets., 6c fe renflant ou s’approfondiffant dans
les places des fortes ombres. Il faut que l’extrémité
des hachures qui viennent former les contours,
ou fe perdre dans les traits qui décident ces contours,
foit conduite d’une façon nette 6c legere ; de maniéré
qu’il n’y ait rien de tranché ni de dur. On peut
confulter là - deffus les ouvrages d’Edelinck qui a
poffédé cette partie.
Il eft à fouhaiter que les tailles s’ajuftent tellement
entre elles, qu’elles s’aident dans leur effet, & ne fe
nuifent jamais en fe rencontrant & en fe croifant ;
l’air de facilité que cela donne à l’ouvrage y répand
un grand agrément.
Que les tailles foient ondoyées ; qu’elles fe plient
en divers fens, mais avec aufli peu d’affe&ation que
de roideur, comme je l’ai déjà dit : il eft difficile d’en
prendre l’habitude ; mais il eft aufli blâmable d’en
Tome VII,
abufer, qu’il le feroit de faire toûjours des traits
droits, parce qu’il eft plus aifé d’en venir à bout.
Les cheveux, la barbe, 6c le poil des animaux,
demandent une grande legereté dans la main, 6c
une flexibilité rare dans le burin.
Mais il ne faut pas que pour faire parade de cette
adreffe on néglige de faire bien fentir fes maffes,
qui doivent indiquer les formes & l ’effet de la lumière
6c de l’ombre fur les maffes.
Les étoffes demandent aufli de la legereté d’outil,
en proportion cependant avec la_ nature des étoffes
; les étoffes de gros draps 6c de laine épaiffe demandent
un travail plus brut ; le linge veut être grav
é d’une façon déliée 6c preffée à une taille ou à
deux tout au plus, fi cela fe peut. Les étoffes fermes
6c luifantes veulent des tailles plus droites 6c moins
variées ; les plis de ces étoffes font caffés 6c forment
des furfaces plates. Les tailles qu’on nomme entredeux
fervent à indiquer le luifant ; on s’en fert aufli
dans les métaux qui réfléchiffent la lumière.
L ’Architefture demande des tailles droites, mais
celles qui fe trouvent fur les plans qui fuient doivent
tendre au point de vue. Les hachures des colonnés
veulent être perpendiculaires : fi vous les faites rondes
6c horifontales, il arrivera fouvent que pour fa-
tisfaire aux lois de la Perfpe&ive, il faudra que celles
qui approchent du chapiteau , foient d’un fens
contraire à celles qui approchent de la bafe; ce qui
fait, fur les premiers plans fur-tout, un effet defagréable.
Le payfage eft difficile à traiter au burin ; fouvent
• on l’ébauche à l’eau-forte, 6c je crois qu’on fait bien 1
il faut chercher à fe faire une maniéré, & pour cela
confulter les bons auteurs ; Auguftin C arrache, V il-
lamene, Jean Sadeler, font bons à imiter : Corneille
Carts en a gravé plufieurs d’après le Mucian, qui font
très-beaux & qui peuvent fervir de modèles.
Les montagnes 6c les rochers , lorfqu’ils font fur
les premiers 6c féconds plans, doivent être travaillés
d’une maniéré un peu brute, en quittant 6c reprenant
fouvent les tailles, en les variant fuivant les plans
des pierres 6c des rochers , en les entre - mêlant de
plantes, d’herbages, 6c de terreins : pour ces objets,
lorfqu’ils fe trouvent dans les lointains, ils doivent
participer de l’interpofition de l’air ; être peu décidés
dans leurs inégalités 6c dans les accidens qui les accompagnent
, 6c fe perdre quelquefois avec les travaux
dont on fe fert pour graver les ciels.
Les eaux fe repréfentent ordinairement par des lignes
très-droites , égales, 6c mêlées d’entre-deux fines
6c déliées, pour exprimer le luifant de l’eau ; mais
fi c’eft une mer agitée qu’on repréfente, on fent bien
que ce doit être par un autre genre de travail qu’on
doit y arriver : il faut alors que les tailles fui vent le
fens des flots 6c indiquent le mouvement des vagues.
Les nuages demandent aufli que leur forme &:
leur mouvement foient indiqués par les hachures, &
que les travaux qu’on employé foient d’autant plus
légers que l’éloignement des nuées eft plus grand.
En général il faut proportionner autant qu’on h
peut la groffeur des tailles & l’efpece de travail, à la
orandeur des ouvrages, indépendamment des autres
aflùjettiflèmens dont j’ai parlé. Il faut donc employer
des tailles mâles 6c nourries dans une grande eftam-
pe , mais fans que le travail devienne pour cela
groflier 6c defagréable ; par le même principe une
petite planche fera gravée avec les burins lofanges
qui font des tailles fines, mais en évitant que le travail
foit maigre 6c aride.
C ’eft un art très-difficile que celui de la Gravure ;
il demande beaucoup d’exercice du Deflein, beaucoup
d’adreffe à conduire les outils, une grande intelligence
pour fe transformer, pour ainfi dire , &
prendre l’efprit de l’auteur d’après lequel on grave.
Y. V v y y ij