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des expériences à faire & des problèmes a refondre ;
i l faudroit déterminer la progrelïion de chaque efpe-
ce de bois utile à chaque degré de profondeur. Il y
en a pour qui la profondeur n’eft prefque rien ; parce
que leurs racines s’étendent, au lieu de s’enfoncer :
tel cft l’orme, & tels font en général tous des bois
blancs. Il y en a qui 11’étant encore qu’à la nipitié de
leur accroiffement, ne font point rajeunis par la coupe
: tel eft le hêtre, &. fouvent le charme ; leur louche
ne repoufle point, ou ne peut repoufler que foi-
blement. Quelque bien faites que fuffent ces obfer-
vations, il y auroit encore beaucoup d’exceptions
aux réglés, & il fera toujours difficile de fe difpen-
jfer de la connoiffance de coup - d’oeil qui trompe rarement
les gens exercés.
Au refie ce terme qu’il eft important de faifir pour
la coupe des bois , n’eft pas le point mathématique
entre le dernier degré du plus grand accroiffement y
& le premier de l’ina&ion ; il y a toujours plufieurs
années. Cet intervalle , qu’on peut regarder comme
prefque indifférent, eft plus ou moins long pour
chaque efpece de bois, en proportion de fa durée
naturelle : mais il vaut mieux prendre un peu fur ce
qu’on poufroit encore efpérer, que de trop attendre.
C ’eft ainfi que doivent être conduits les taillis,
& en général tous les bois qu’on regarde comme, en
coupe ordinaire. A l ’égard de ceux qui font en réfer-:
,v e , l’économie publique peut fe régler fur d’autres
principes, parce qu’elle a d’autres intérêts ; quoique
paffé un certain point le bois n’augmente plus chaque
année que de moins en moins, cependant i! augmente
, & F état a befoin de tout l ’accroiffement qu’il
peut prendre. 11 faut des bois de charpente & de
conftru&ion ; & c’eft en conféquence de ces befoins
que la coupe des referves doit être prolongée : il faut
feulement une égale attention à laiffer le bois fur pié
tant qu’il peut croître, & à le couper avant que le dé-
périflement commence ; fi l’on attendoit plûtard, le
bois feroit moins bon pour l ’ufage, fa fouche ne re-
poufferoit plus, & le propriétaire feroit contraint
à la dépenfe rebutante d’une plantation nouvelle*
On a voulu fans doute concilier l’intérêt de l’état
avec celui des particuliers, lorfqu’on a imaginé la
réferve des baliveaux ; l’avarice des propriétaires a
dû en être moins effrayée qu’elle n’auroit été de la
réferve entière d’une partie de leurs bois.
Malheureufement il cft prouvé que ce ménagement
ne produit aucun des effets qu’on a pû s’en promettre.
M. de Reaumur & M. de Buffon ont montré
que le bois des baliveaux eft moins bon qu’aucun
autre; que leurs graines ne refement point les bois
d’une maniéré utile ; que les taillis qui en font cou-
.verts font plus fenûbles à la gelée ( V. Baliveau &
B o is ) : à cela on peut ajoûter que le fonds même
de nos forêts eft étrangement altéré par cette réferv
e , contre laquelle on ne fauroit trop reclamer.
Lorfqu’on coupe un taillis, les baliveaux qui reftent
à découvert pouffent des branches qui emportent
la feve deftinee à faire croître & grofîir la tige. Ces
branches étouffent le taillis renaiflànt, ou lorfqu’il
<ft vigoureux, elles font étouffées par lui. La même
chofe fe répète à chaque coupe , jufqu’à ce que les
baliveaux épuifés par cette produâion latérale meurent
en cime fans avoir pu s’accroître : alors on les
coupe inutilement ; leur fouche altérée ne pouffe
que de foibles rejettons ; les places qu’ils occnpoient
reftent vuides ; le jeune bois des environs languit ;
en un mot on ne peut fe promettre de la réferve des
baliveaux, que des taillis dépériffant par la gelée,
l’ombre, ou le défaut d’air, & de petits chênes contrefaits
, mourant d’une vieilleffe prématurée.
Ce qui n’arrive que par fucceflion & à différentes
reprifes dans les bois qu’on coupe jeunes, on en eft
frappé tout-d’un-çoup dans ceux de moyen âge. M.
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de Reâimutr a penfé.le contraire, & fon opinion eft
vraiffemblable ; mais elle eft defavoiiée par l’expérience*
J’ai yû couper des bois de foixante 6c dix
ans, dont l’effence était de charmes mêlés d’un affez
grand nombre de chênes très-vivaces. On réferva
les plus beaux de ces chênes qui, vû le terrein, dévoient
profiter encore pendant cinquante ans : mais
leur tige expofée.à l’air s’étant couverte de branches
dès la première année, ils étoient morts en cime à
la quatrième, & prefqu’aucun n’a pu réfifter à cette
forte d’épuifement. La réferve des baliveaux eft donc
un très-grand pbfiacle à la confervation des forêts :
mais cette réferve preferite par les lois, ne peut être
abrogée que par elles. On aura, comme l’a remarqué
M. de Reaumur, du bois de fervice de toute efpece
, en obligeant les particuliers à laiffer croître en
futaie une partie de leurs taillis, & en augmentant
les rélerves des gens de main-morte. On ne croit plus
que les futaies doivent être çompofées d’arbres de
brins ; l ’expérience nous a même appris que les bois
ne s’élèvent d’une maniéré bien décidée, qu’après
avoir été recépés ou coupés en taillis deux ou trois
fois : au lieu de baliveaux laiffés pour la plûpart dans
des terreins dont l’ingratitude ne permet aucune ef-
pérance, nous aurions des referves pleines, choifies
dans les meilleurs terreins , & par - là bien plus propres
à fournir à tous nos befoins.
On pourrait accélérer l’accroiffement des brins
les plus vigoureux, des maîtres-brins, en coupant
de dix ans en dix ans ceux qui plus foibles font defti-
nés à mourir. Leur fuppreffion, en éclairciffant un
peu les futaies, mettroit les principaux arbres dans
le cas de devenir plus gros, plus hauts, & plus utiles.
Les fonds qui ne font point humides, font à préférer
à tous les autres lieux pour les referves. Oit la
nature n’offre que des terreins médiocres, on ne peut
que choifir les moins mauvais, ôc régler en eonfé-
quence le tems de la coupe.
Cette attention eft, comme nous l’avotîs d it, de la
plus grande importance. Ici le bois ne reppuffera
plus, fi vous ne le coupez pas à cinquante ans : là fi
vous le coupez à cent, vous perdez ce qu’il auroit
acquis encore pendant cinquante. C’eft en ce point
feul que réfide toute la partie de l’économie foref-
tiere qui concerne la confervation. Nous difons la.
confervation prife dans le fens le plus étroit, car il eft
certain que les bois vieilliffent, quelle que foit leur
durée. Un chêne en bon fonds fubfifte environ trois
cents ans : une fouche de chêne, rajeunie de tems en
tems par la coupe, va plus loin ; mais enfin elle s’ é-
puife & meurt. Si l’on veut donc avoir toujours des
taillis pleins & garnis, il faut réparer par degrés ces
pertes fucceffives, & remédier aux ravages du tems
par une attention continuelle.
Pour y parvenir facilement & sûrement, obfer-
vons la maniéré dont la nature agit, & fuivons la
route qu’elle même nous aura tracée. Si l’on regarde
bien les bois très-anciens, on verra qu’à mefure que
la première effence dépérit, de nouvelles efpeces
.s’emparent peu-à-peu du terrein, & qu’après lin certain
nombre de coupes elles deviennent les efpeces
dominantes ; fouvent le progrès en eft très - rapide ,
& c’eft lorfque l’efpece fubjuguée eft très-vieille.
Cette tendance au changement qui paroît être une
difpofition affez générale dans la nature, eft moins
remarquée dans les bois qu’ailleurs, parce qu’il faut
toujours un grand nombre d’années pour qu’il y ait
une altération fenfible : mais on fupplée à cette lente
expérience en voyant beaucoup de bois différens, &
en comparant les degrés de facilité qu’ont les efpeces
nouvelles à s’y introduire. Dans les anciens bois de
chêne on verra des bouleaux, des coudres & d’autres
bois blancs remplir peu-à-peu les vuides, Sc
même étouffer les rejettons de chêne qui y languif-
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Lent encorè. Dans un terrein long-terfis occupé par
des bois blancs, de jeunes chênes vaincront l’afcen-
dànt ordinaire que donne à ceux-ci la promptitude
avec laquelle ils croiffent ; loin d’en être étouffés,
©n les verra s’élever à leur ombre & s’emparer enfin
de la place. Il eft vifible que l’ancienne production
manque de nourriture, où la nouvelle en trouve
une abondante.
Je connois des coudraies affez étendues, dans lef-
quelles on trouve quelques chênes ,anciens&des ce-
pées de châtaigners, dont la fouche décele la vieilleffe
, & qui lont-Ià comme témoins de l’ancienqe
effence.
On ne peut pas foupçonner nos peres d’avoir planté
des coudres : vraiffemblablement ce bois méprifa-
ble par fon peu d’utilité & fa lenteur à croître, s’efl:
introduit à mefure que les chênes & les châtaigners
ont dépéri, parce qu’on a négligé d’introduire une
efpece plus utile. Ces obfervations font confirmées
par l’expérience. Tous les gens qui ont beaucoup
planté, favent combien il eft difficile d’élever quelque
forte de bois que ce foit, dans un terrein qui
en a été long-tems fatigué ; la réfiftance qu’on y trouve
eft marquée & rebutante.
Il faut donc , lorfqu’un taillis commence à dépérir,
y favorifer quelque efpece nouvelle, & l’on peut
dire qu’ordinairement la nature en offre un moyen
facile. Il eft rare que l’effence des bois foit entièrement
pure : ici c’eft un frêne dont la tige s’élève au
milieuwl’une foule de chênes qu’il furmonte ; là c’eft
«n hêtre, un orme, &c. ils y prennent un accrbiffe-
ment d’autant plus prompt, qu’ils ne font point incommodés
par des voifins de leur efpece. Il faut choi-
iir quelques - uns de ces arbres, & les laiffer fur pié
lorfqu’on coupe le taillis dépériffant.Leurs fruits portés
çà & là par les oifeaux, ou leurs graines difper-
.jfées par les vents germeront bientôt, & l’on verra
une efpece nouvelle & vigoureufe fuccéder à celle
qui languiffoit : ainfi la terre réparera fes forces fans
l ’inconvénient d’une ina&ion totale; & dans la fuite
cette effence fubrogée venant à dépérir, elle fera
peu-à-peu remplacée par des chênes.
Il eft aile de fentir que le choix de l’efpece qu’on
favorife n’eft pas indifférent ; ordinairement on doit
préférer celle qui fera d’une utilité plus grande, eu
égard aux befoins du pays : mais fi on veut que l’effence
dépériffante renaiffe plutôt, il faut lui fubfti-
tuer celle qui par fa nature doit occuper le terrein
moins long-tems qu’aucun autre.
Un taillis fubfifte plus long-tems, à proportion
que le bois dont il eft compofe enfonce plus avant
fes racines : par cette raifon, le bouleau, le tremble
, &c. ne devant pas occuper long-tems le même
terrein, font propres à devenir efpeces intermédiaires
.A
u moyen de cette fucceflion de bois différens, on
n’appercevra jamais dans les taillis un dépériffement
marqué par des vuides ; les pertes qui n’arrivent que
par degrés, fe répareront de même : mais fi le terrein
n’offroit point d’arbres propres à jefemer, il faudroit
avoir recours à la plantation ; il faudroit aller chercher
dans les bois voifins quelque efpece propre à
remplir cet objet, & en regarnir les places vuides.
Cette maniéré de réparer demande plus de foins que
de dépenfe.
Dans les futaies qu’on aura abattues, il faudra fe
régler par les mêmes principes ; replanter, s’il n’y a
pas affez d’arbres d’une autre efpece pour attendre
de la nature toute feule un prompt rétabliffement. Il
faut cependant diftinguer ici entre les vieilles futaies
celles qui le font à l’excès, & qui depuis long- tems
ne font que dépérir: dans celles-là le changement
.d’efpece devient beaucoup moins néceffaire, & cette
remarque de fait eft une nouvelle conféquence de
Tome VII,
F O R j fa
notre principe. Dans une futaie qui dépérit, les ar*
bres font dans le cas d’une végétation fi languiffan-
te , qu’ils n’ont prefque rien à demander à la terre ; ce
qu’elle leur fournit tous les ans pour entretenir leur
foible exiftence, ils le lui rendent par la chute dé
leurs feuilles ; ce tems eft pour elle un véritable re*
pos qui rétablit fes forces. Lors donc qu’on abat une
telle futaie, on doit trouver & on trouve en effet
moins de refiftance à y réhabiliter la même efpece de
bois. Voilà pourquoi on ne remarque point de changement
dans les grandes forêts éloignées des lieux1'’ où
le bois fe confomme ; les bois y vieilliffent jufqu’au
dernier degré, la terre fe répare pendant leur long
dépériffement, & devient à la fin en état de reproduire
la même efpece.
Quelque fimple que foit le moyen que nous avons
propofe pour rétablir continuellement les bois, il
reuffira sûrement lorfque la nature fera Iaiffée à elle-
même , ou du-moins lorfque fes difpofitions feront
fécondées. Il n’en fera pas ainfi lorfqu’on voudra
multiplier à un certain point le gibier , bêtes fauv
e s, lapins, &c. Ces ennemis des bois qu’ils habitent
, dévorent les germes tendres deftinés au rata»
biiffement des forêts. Chaque fois qu’on coupe un
taillis, il eft dans un danger évident, fi on ne le pré-
ferve pas pendant deux ans de la dent des lapins, &
pendant quatre de celle du fauve. Quelques efpeces
même, comme font le charme,1e frêne, le hêtre^
font en danger du côté des lapins pendant fix ou fept
ans. Si l’on veut donc avoir en même tems & des
bois & du gibier, il faut une attention plus grande,
& plus que de l ’attention, des précautions & des dé-
penfes. Il faut enfermer les taillis jiifqu’à ce qu’ils
fbient hors d’infulte ; il faut arracher les futaies pour
les replanter, & préferver le plant de la même maniéré
pendant un tems beaucoup plus long. On ne
peut plus s’en fier à la nature, lorfqu’on a une fois
rompu l’ordre de proportion qu’elle a établi entre
fes différentes productions. En extirpant les beletes,
on croit ne détruire qu’un animal malfaifant: mairf
outre que les beletes empêchent la trop grande multiplication
des lapins, elle font énnemies des mulots
; & les mulots multipliés dévorent le gland, la
châtaigne, la faine, qui repeupleroient nos forêts.
Au refte fi les dépenfes & les foins font néceffaires,
il eft sûr auffi qu’en n’épargnant ni les uns ni les autres
, on peut conferver en même tems & dés bois &
du gibier : mais il faut fur-tout les redoubler,’ pout
faire réuflir les plantations nouvelles.
Par-tout où la quantité de gibier né fera pas trop
grande, les plantations, que les écrivains économiques
rendent fi effrayantes, deviennent très-faciles,
& fe font à peu de frais. La méthode conformé à la
nature qu’a fuivie M. de Buffon, & dont il a rendu
compté dans un mémoire à l’académie, réuffira prefque
toûjours ; elle fe borne à enterrer legerement le
gland après un affez profond labour, & à ne donner
de foin au plant que célui de le récéper lorfqu’il languit.
Voyeç Bois. Cette méthode eft par fa fimplici-
té préférable à toute autre , par-tout où le bois ne
fera pas fort cher, & où la terre un peu legere ne
pouffera pas une grande quantité d’herbe. Dans line
terre où l’herbe croîtra avec abondance, il fera difficile
de fe paffer de quelque legér binage au pié des
jeunes plants. Il leur eft auffi defavantageux d’être
preffés par l’herbe, qu’utiles d’en être protégés contre
la trop grande ardeur du foleil. II arrivera peut-
être aufli que dans un terrein très-ferme, le gland
étant femé, comme le dit M. de Buffon , les jeunes
chênes ne croîtront que lentement, malgré les effets
du recépage.C’eftce qu’il faut éviter dans les lieux où
le bois eft cher.Une joüiffancebeaucoup plus prompte
y dédommage d’une dépenfe un peu plus grande :
je cpnfeillerois alors de fe fervir de plant elevé en