me on l?a dit plus haut, un différend entre des fou-
■ yerains, qu’on vuide par la voie des armes.
Nous avons hérité de nos premiers ayeux,
Dés l'enfance du monde dis fe fa foient la guerre.
Bile a régné dans tous les fiecles fur les plus légers
fondemens ; on l’a toujours vû defoler l’univers,
épinier les familles d’héritiers, remplir les états de
veuves & d’orphelins; malheurs déplorables, mais
ordinaires ! De tout tems les hommes par ambition,
par avarice, par jaloufie, par méchanceté, font venus
à fe dépouiller, fe brûler, s’égorger les uns les
autres. Pour le faire plus ingénieulement, ils ont inventé
des réglés & des principes qu’on appelle Y Art
militaire,, & ont attaché à la pratique de ces réglés
l ’honneur, la nobleffe, & la gloire.
Cependant cet honneur, cette nobleffe, & cette
gloire confifient feulement à la défenfe de fa religion
, de fa patrie, de fes biens, & de fa perfonne,
contre des tyrans & d ’injufles aggreffeurs. -Il faut
donc reconnoître que la guerre fera légitime ou illégitime
, félon la caufe qui la produira ; la guerre eft
légitime ; fi elle fe fait pour des raifons évidemment
juftes ; elle eft illégitime, fi l’on la fait fans
une raifon jufte & fuffifante.
Les fouverains fentant la force de cette vérité ,
ont grand foin de répandre des manifeftes pour juf-
tifier la guerre qu’ils entreprennent, tandis qu’ils cachent
foigneufement au public, ou qu’ils fe cachent
à eux-mêmes. les virais motifs qui les déterminent.
Ainfi dans la guerre d’Alexandre contre Darius , les
raifons juftificatives qu’employoit ce conquérant,
rouloient fur les injures que les Grecs avoient reçues
des Perfes ; les vrais motifs de fon entreprife étoient
l ’ambition de fe fignaler, foutenue de tout l’efpoir
du fuccès. Il ne feroit que trop aifé d’apporter des
exemples de guerres modernes entreprifes de la même
maniéré , & par des vûes également odieufes ;
mais nous n’approcherons point fi près des tèms oîi
nos paflions nous rendent moins équitables, & peut-
être encore moins clairvoyans.
Dans une guerre parfaitement ju f t e i l faut non-
feulement que la raifon juftificative foit très-légitime
, mais encore qu’elle fè confonde avec le motif,
c ’eft-à-dire que le fouverain n’entreprenne la guerre
que par la néceflité oii il eft de pourvoir à fa confer-
vation. La vie des états eft comme celle des hommes,
dit très-bien l’auteur de Yefprit des lois; ceux-ci
ont droit de tuer dans le cas de la défenfe naturelle,
ceux-là ont droit de faire la guerre pour leur propre
confervation : dans le cas de la défenfe naturelle
j’ai droit de tuer, parce que ma vie eft à moi, comme
la vie de celui qui m’attaque eft à lui ; de même
un état fait la guerre juftement, parce que fa confervation
eft jufte, comme toute autre confervation.
Le droit de la guerre dérive donc de la néceflité &
du jufte rigide. Si ceux qui dirigent les confciences
ou les confeils des princes ne fe bornent pas là , tout
eft perdu ; car les principes arbitraires de gloire, de
bienféance , d’aggrandiffement, d’utilité , ne font
pas des droits, ce font des horreurs ; fi la réputation
de la puiffance d’un monarque peut augmenter les
forces de fon royaume, la réputation de fa juftice
les augmenteroit de même.
Mais toute guerre eft injufte dans fes caufes, i°.
lorfqu’on l’entreprend fans aucune raifon juftificative
, ni motif d’utilité apparente, fi tant eft qu’il y
ait des exemples de cette barbarie : z°. lorfqu’on attaque
les autres pour fon propre intérêt, fans qu’ils
nous ayent fait de tort rée l, & ce font-là de vrais
brigandages : 30. lorfqu’on a des motifs fondés fur
des caufes juftificatives fpécieufes, mais qui bien
examinées font réellement illégitimes : 40. lorfqu’a- 1
de bonnes raifons juftificatives, on entreprend
la guerre par des motifs qui n’ont aucun rapport avec
le tort qu’on a reçu, comme pour acquérir une vaine
gloire, fe rendre redoutable , exercer fes troupes,
étendre fa domination, &ç. Ces deux dernieres
fortes de guerre font très-communes & très-iniques.
Il faut dire la même chofe de l’envie qu’auroit un peuple
, de changer de demeure & de quitter une terre
ingrate, pour s’établir à force ouverte dans un pays
fertile ; il n’eft pas moins injufte d’attenter par la
voie des armes fur la liberté, les vies , & les domaines
d’un autre peuple, par exemple des Américains
, fous prétexte de leur idolâtrie. Quiconque a
l’-ufage de la raifon, doit jouir de la liberté de choifir
lui-même ce qu’il croit lui être le plus avantageux.
Concluons de ces principes que toute guerre jufte
doit fe faire pour nous défendre contre les attaques
de ceux qui en veulent à nos vies & à nos poffef-
fions ; ou pour contraindre les antres à nous rendre
ce qu’ils nous doivent en vertu d’un droit parfait &
inconteftable qu’on a de l’exiger, ou pour obtenir
la réparation du dommage qu’ils nous ont injufte-
ment caufé :.mais fi la guerre eft légitime pour les
raifons qu’on vient d’alléguer, c’eft encore à cette
feule condition , que celui qui l’entreprend fe pro-
pofe de venir par ce moyen violent à une paix fo-
lide & durable.
Outre la diftinélion de la guerre * en celle qui eft
jufte & celle qui eft injufte, quelques auteurs politiques
diftinguent la guerre en guerre offenfive & en dé-
fenfive. Les guerres défcnûv es font celles que les fouverains
entreprennent pour fe défendre contre d’autres
fouverains, qui fe propofent de les conquérir ou
de les détruire. Les guerres offenfives font celles que
les fouverains font pour forcer d’autres fouverains
à leur rendre ce qu’ils prétendent leur être dû * -ou
pour obtenir la réparation du dommage qu’ils efti-
ment qu’on leur a caufé très-injuftement.
On peut admettre cette diftinétion, pourvû qu’on
ne la confonde pas avec celle que nous avons établie,
& qu’on ne penfe pas que toute guerre défenfive
foit jufte, & que toute guerre offenfive foit injufte
; car il y a des guerres offenfives qui font juftes,
comme il y a des guerres défenfives qui font injuftes!
La guerre offenfive eft injufte, lorfqu’elle eft entre-
prilè fans une caufe légitime, & alors la guerre dé-
fenfive, qui dans d’autres occafions pourroit être
injufte, devient très-jufte. Il faut donc fe contenter
de dire , que le fouverain qui prend le premier les
armes, foit qu’il le faffe juftement ou injuftement
commence une guerre offenfive, & que celui qui s’y
oppofe, foit qu’il ait ou qu’il n’ait pas tort de le faire
, commence une guerre défenfive. Ceux qui regardent
le mot de guerre offenfive comme un terme
odieux, qui renferme toûjours quelque chofe d’in-
jufte , & qui confiderent au-contraire la guerre défenfive
comme inféparable de l’équité, s’abufent fur
cette matière. Il en eft des princes comme des particuliers
en litige : le demandeur qui entame un procès
a quelquefois tort, & quelquefois raifon ; il en
eft de même du défendeur : on a tort de ne vouloir
pas payer une fomme juftement dûe, comme on a
raifon de fe défendre de payer ce qu’on ne doit pas.
Quelque jufte fujet qu’on ait de faire la guerre offenfive
ou défenfive, cependant puifqu’elle entraîne
après elle inévitablement une infinité de maux, d’in-
juftices, & de defaftres, on ne doit fe porter à cette
extrémité terrible qu’après les plus mûres confidé-
rations. Plutarque dit là-deffus , que parmi les anciens
Romains , lorfque les prêtres nommés féciaux
avoient conclu que l’on pouvoit juftement entreprendre
la guerre, le fénat examinoit encore s’il feroit
avantageux de s’y engager.
En effet, ce n’eft pas affez que le fujet de la guerre
foit jufte en lui-même, il faut avant que d’en yenir
à là voîè des armes, qu’il s’agiffe de la ckdfe de la
plus grande importance, comme de fa propre con*
lervation.
Il faut que l’on ait au-moirts quelque àppâfëiice
probable de réuflir dans fes juftes projets ; car ce feroit
une témérité, une pure folie, que de s’expofer
à une deftruélion totale, & fe jëtter dans lès plus
grands maux, pour ne pas en facrifier de moindres.
Il faut enfin qu’il y ait une néceflité abfolüe de
prendre les armes, c’eft-à-dire qu’on ne puiffe employer
aucun autre moyen légitime pour obtënir
ce qu’on a droit de demander, ou pour fe mettre
à couvert des maux dont on eft menacé.
Je n’ài rien à ajouter fur la juftice des armes; on
la déguife avec tant d’art, que l’on a quelquefois
bien de la peine à découvrir la vérité ? de plus, chaque
fouverain porte fes prétentions fi loin, que la
raifon parvient rarement à les modérer : mais quelles
que foient leurs vûes & leurs démarches, toute
guerre, dit Cicéron, qui ne fe fait pâs pour la défenfe
, pour le falut de l’état, ou pour la foi donnée,
n ’eft qu’une guerre illégitime.
Quant aux fuites de la prife des armes, il eft vrai
qu’elles dépendent du tems, des lieux, des perfon-
nes, de mille événemens imprévûs, qui variant fans
ceffe , ne peuvent être déterminés. Mais il n’en eft
pas moins v ra i, qu’aucun fouverain ne devroit entreprendre
de guerres , qu’après avoir reconnu dans
fa confcience qu’elles font juftes , néceffaires au bien
public, indifpenl'ables , & qu’en même teriis il y a
plus à efpérer qu’à craindre dans l’événement auquel
il s’ëxpofe.
Non-feulement ce font-là des principes de prudence
& de religion , mais les lois de la fociabilité
& de l’amOur de la paix ne permettent pas aux hommes
de fuivre d’autres maximes. C ’eft un devoir in-
difpenfable aux fouverains de s’y conformer; la juftice
du gouvernement les y oblige par une fuite de
la nature même, & du but de l’autorité qui leur eft
confiée ; ils font obligés d’avoir un foin particulier
des biëns & de la vie de leurs fujets ; le fàrig du
peuple ne veut être verfé que pour fauver ce même
peuple dans les befoins extrêmes ; malheureufement
les confeils dateurs, les fàuffes idées de gloire, les
vaines jaloufies, l’avidité qui fe couvre de vains prétextes
, le faux honneur de prouver fa puiffance, les
alliances, les engagemens infenfibles qü’on a contractés
par les fuggeftions des courtifans & des mi-
niftres, entraînent prefque toûjours les rois dans des
guerres oii ils hafardent tout fans néceflité, épuifent
leurs provinces, & font autant de mal à leurs pays
& à leurs fujets, qu’à leurs propres ennemis.
Suppofé cependant, qii’unè guerre ne foit entreprife
qu’à l’extrémité pour un jufte fujet, pour celui
de fa confervation, il faut encore qu’en la faifant on
refte dans les termes de la juftice, & qu’on ne pouffe
pas les aCtes d’hoftilité au-delà de leurs bornes & de
leurs befoins abfolus. Grotius, en traitant cette matière
, établit trois réglés, qui peuvent fervir à faire
comprendre en- peu de mots quelle eft l’étendue des
droits de la guerre, & jufqu’où ils peuvent être portés
légitimément.
La première réglé, c’ eft que tout ce qui a une liâi-
fon moralement néceffaire avec le but d’une guerre
jufte, doit être permis, & rien davantage. En effet,
il feroit inutile d’avoir droit de faire une chofe , fi
l ’on ne pouvoit fe fervir des moyens néceffaires pour
en venir à bout ; mais il feroit fou de penfer, que
jpour défendre fes droits on fe crût tout loifible '&
tout légitime.
Seconde réglé. Le droit qu’on a contre un ennemi,
.& que l’on pourfuit par les armes, ne doit pas être
confidéré uniquement par rapport au fujet qui fait
commencer là guerre, mais encore par rapport aux
nouvelles ckofes qui furvienrtent durant le cours dé
la guerre t tout de même qu’en juftice une partie acquiert
fouvent un nouveau droit pendant le cours
du procès ; c’eft-là lé fondement du droit qu’on a
d’agir contré ceux qui fe joignent à notre ennemi *
foit qu’ils dépendent dë lui ou non;
TrÔifjeme réglé. Il y à bièn des chofés, q ui, quoi-
qU’illicites d’ailleurs, deviennent permifes & nécef-
fairës dans la guerre, parce qu’elles en font des fui*
tes inévitables, & qu’elles arrivent contre notre intention
& fans un deffein formel ; ainfi, par ëxem*
pie , pour avoir ce qui nous appartient, ofi 3 droit
dë prendré une chofe qui Vaut davantage * fi l’ori né
peut pas prendre précifément autant qu’il nous efi
dû , fous l’obligation néanmoins de rendrè la valeur
de 1’ excédent de la dette. On peut canonner un vaif-
feau plein de corfaires , quoique dans ce vaifféau il
fe trouvé quelques hommes, quelques Femmes, quelques
enfans, ou autres perfonnes innocentes qui courent
rifque d’être enveloppés dans la ruine de ceux
que l’on veut & que l’on peut faire périr avec juf*
tice*
Telle eft l’étendue dit droit que l’on a contre un
ennemi en vertu dë l’état de guerre : cet état anéan-
tiffant par lui-mêmé l’ëtàt de fociété , quiconque fé
déclare notre ennemi les armes à la main, ndus au*
torifé à agir contre lui par des aûès d’hoftilité, dé
dégât, de deftruétion, & de mort.
Il eft certain qu’on pèut tuer innocemment Un en*
nemi qui a les armes à la main, je dis innocemment
aux fermés de la jufliëê éxtéfiëurë & qui paîfe pour
telle chez toutes lés nations, mais encore félon la
juftice intérieure, & lès lois de la con(cience. En ef*
fe t , le but de là guerre demandé néceflaifement que
l’on ait ce pouvoir ; autrement ce feroit en vain que
l’on prendrait les armes pour fa confervation, & que
les lois dë la nature Iè permettraient. Par la même
raifon les lois de la guerre permettent d’endommager
les biens dë l’èrinemi, ÔC dë les détruire * parce qu’il
n’eft point contraire à la nature de dépouiller de fon
bien une perfonne à qui l’on peut ôtèr la vie. Enfin,
tous ces a fies d’hoftilitë fübfiftent fans injuftice, juf-
qu’à ce qu’on fe foit mis à l’abri dés dangers dont
l’ennemi nous menaçoit, ou qu’on ait recouvré cë
qu’il nous avoit irijuftëmëht erilevé.
Mais Quoique cës riiaximës foient vraies en vertu
dû droit rigoureux de là guerre , la loi dé nature met
néanmoins des bornes à ce droit; elle veut que l’on
confiée r e , fi tels ou tels a êtes d’hoftilité contre un
ennemi font dignes de l’humanitç ou même de la gé*
nérofité ; ainfi tant qu’il eft pôflïble, & que notre
défenfe îk notre fûreté pour l’avenir le .permettent,
il faut toûjours tempérer par ces fentiniens fi natu*
rels & fi juftes les maux que l’on fait à un ennemi.
Pour ce qui eft des voies mêmes que l’on emploie
légitimement contre un ennemi, il eft fût que la terreur
& la force ouverte dont on fe fert, font le ca-
raélere propre de la guerre ï on peut encore mettre
en oeuvre l’adreffe , la rufe, & l’artifice , pourvu
qu’on le faffe fans perfidie ; mais on ne doit pas vio*
1er les erigagexriëns qu’on a contrariés, foit de bouche
ou autrement.
Les lois militaires de l’Europe n’autorifent point
à ôter la vie de propos délibéré aux prifonniers de
guerre, ni à ceux qui demandent quartier, ni à ceux
qui fe rendent, moins encore aux vieillards * aux
femmes, aux enfans, & en général à aucun de ceux
qui ne font ni d’un âge, ni d’une profeflïon à porter
les armes, Si qui n’ont d’autre part à la guerre, què
de fe trouver dans le pays ou dans le parti ennemi.
A plus forte raifon les droits de la guerre ne s’ étendent
pas jufqu’à autorifer les outrages à l’honneur
des femmes ; car une telle conduite ne contribué
poinf à notre défenfe, à noyé fureté, ni au maintien