gence & la capacité qu’on eft en droit d’exiger d’un
officier que le roi a déjà honoré d’un grade fupé-
rieur.
Quelquefois le général de l’armée commande des
détachemens dont il veut dérober la connoiffance
aux transfuges & aux efpions qui pourroient: être
dans fon armée : on prend alors toutes les précautions
néceffaires pour que rien ne tranfpire jufqu’au
moment oh l’on fait marcher les troupes que chaque
major de brigade commande, & qu’il envoyé avec
un guide au rendez-vous général.
Le général n’eft point affujetti à confier ces détachemens
aux plus anciens officiers généraux ; il peut
& doit même les donner à ceux qui méritent le plus
fa confiance, & fur-tout à ceux dans lefquels il a reconnu
du z_éle, de la prudence, & de i’a â iv ité, &
qui ont prouvé leur defir de fe rendre capables d’exécuter
de pareilles commiffions, en allant fouvent
en détachement même fans être commandés, pendant
qu’ils ont fervi dans des grades inférieurs.
On envoyé fouvent à la guerre de petits détachemens
irréguliers depuis cinquante jufqu’à trois cents
hommes ; quoique les objets qu’ils ont à remplir pa-
raiffent de moindre importance que ceux des détachemens
réguliers, on verra par les détails fuivans,
quelle eft leur utilité pour la guerre de campagne, &
combien ils font propres à développer le génie & à
former des officiers utiles & diftingués.
Anciennement on nommoit partis ces fortes de
petits détachemens, & l’officier qui les commandoit
partifan. Ces partis fe donnoient alors le plus ordinairement
à des officiers de fortune ; & quoiqu’il n’y
ait aucune efpece de fervice qui ne foit honorable,
malheureufement il n’étoit pas d’ufage pour des officiers
d’un certain grade de demander à les commander.
Aujourd’hui l’émulation & le véritable efpritde
fervice ont changé ce fyftème, qu’une vanité très-
déplacée avoit feule établi. Les officiers les plus diftingués
d’un corps demandent ces petits détachemens
avec ardeur ; & les jeunes officiers qui défirent
apprendre leur métier & fe former une réputation
, viennent s’offrir avec empreflëment, & même
comme fimples volontaires, pour marcher fous les
ordres d’un officier expérimenté.
Feu M. le maréchal de Saxe avoit fouvent employé
de petits détachemens de cette efpece pendant
fa favante campagne de Courtray ; fa pofition, le
peu de troupes qu’il avoit, la nécemté plus preffante
alors que jamais d’être bien a v er ti, lui avoit fait
choifir des officiers de réputation pour les commander.
M. le comte d’Argenfon faifit ce moment pour
détruire à jamais un faux fyftème, dont la nation eût
pu rappeller le fouvenir. Il obtint du Roi des pen-
fions fur l’ordre de S. Loüis & des grades, pour ceux
qui s’étoient diftingués.
Ces fortes de détachemens ne font jamais commandés
à l’ordre ; les officiers, les foldats même qui
marchent, ne fuivent point leur rang. Le commandant
avertit en fecret les officiers dont il a befoin :
ce font eux qui choififfent dans leurs régimens le
nombre de foldats de confiance & de bonne volonté
qu’ils font convenus de mener avec eux : ces petites
troupes fe rendent féparément au rendez-vous marqué
; elles ne portent avec elles que du pain, leurs
munitions, & leurs armes. Pendant la derniere guerre
, feu M. de Mæric & M. de N yhel, lieutenant-colonel
d’infanterie & major du régiment de Dillon,
n’ont jamais fouffert dans leur détachement rien qui
pût en embarraffer la marche ou les expofer à être
découverts. Ils marchoient à pié à la tête de leur
troupe ; un feul cheval portoitles manteaux des officiers.
Arrivés au rendez-vous, ils faifoient une inf-
peôion févere, & renvoyoient au camp tous ceux
qui n’étoient point en état de bien marcher & de
combattre.
Rien n’eft plus effentiel pour la tranquillité d’une
armée, & pour avoir des nouvelles certaines de l’en*
nemi, que' ces petits détachemens ; ne marchant
prefque jamais que la nuit, s’embufquant dans des
poftes avantageux, quelquefois ces petites troupes
liiffifent pour porter le defordre en des poftes avancés
, & faire retirer de gros détachemens qui fe met-
troient en marche. La méthode de M. de Mæric fut
toûjours d’attaquer fort ou foible en colonne ou par
pelotons, dès qu’il ne pouvoit être tourné, & que le
fond & le nombre de la troupe ne pouvoit être reconnu.
Le commandant doit avoir foin d’examiner les
routes par lefquelles il peut fe retirer, & d’en faire
prendre connoiffance aux officiers qui commandent
les divifions, afin que chacune puiffe fe retirer féparément
, fi la retraite en troupe eft trop difficile ;
il faut donc alors un rendez-vous & un mot de ralliement.
Il lui eft important de favoir parler la langue du
pays, oh il agit, & même celle de la nation contre
laquelle on fait la guerre; fi cette partie lui manque
, il doit choifir, en compofant la troupe, des officiers
propres à bien parler ces langues dans l’occa-
fion. La connoiffance du pays lui eft abfolument né-
ceffaire ; il eft bon même qu’il choififfe autant qu’il
eft poffible pour fon détachement quelques officiers
ou foldats du pays oh il agit.
Il faut fur-tout qu’il fe mette en état de pouvoir
rendre compte à fon retour des chemins frayés, de
ceux qu’on peut faire, des ruiffeaux, des ravins
des marais, & en général de tout ce qui peut affû-
rer, faciliter, ou mettre obftacle à la marche d’une
armée dans le pays qu’il aura parcouru.
Ces connoiffances font effentielles pour le général
& le maréchal général des logis de l’armee ; &
l’objet principal de l’officier détaché eft de les mettre
en état de diriger l’ordre de marche de l’armée,
fur le détail qu’il leur fait de la nature du pays & des
terreins.
Lorfque fes connoiffances & fon intelligence lui
permettent même de reconnoître l’affietted’un camp
en-avant , fon devoir eft de l’examiner affez pour
pouvoir juger enfuite fi l’état préfent de fon terrein
fe rapporte exaftement aux cartes du général ; s’il
eft en état d’en lever un plan figuré, le compte qu’il
rendra fera d’autant plus utile & digne de loiiange.
Il doit faire obferver une févere difcipline & un
grand filence ; il n’annoncera jamais ce qu’il doit
faire qu’à quelque officier de confiance qui puiffe le
remplacer ; il doit rendre compte aux jeunes officiers
des motifs qui l’ont fait agir dans tout ce qu’il
a fait avec eux. Tout officier qui donne la marque
d’eftime à un commandant de détachement de marcher
de bonne volonté fous fes ordres, mérite de
lui l’inftruftion qu’il defire d’acquérir.
Ces petits détachemens que le foldat qui refte au
camp fait être en-avant, font auffi très-utiles pour
empêcher la maraude & la defertion ; ils peuvent
favorifer nos efpions, intercepter ceux de l’ennemi
; en un mot cette efpece de fervice eft également
utile aux opérations de la campagne, au fervice
journalier de l’armée, à développer le génie, à faire
naître les talens, & à former de bons officiers. Cet
article efi de M . le Comte D E T r e s s a n .
G uerre, ( homme d e ) c’eft celui qui ferend
propre à exécuter avec force, adreffe, exaâitude &c
célérité, tous les aftes propres à le faire combattre
avec avantage.
Cette partie de l’éducation militaire fut toûjours
en grand honneur chez lès anciens, & le fut parmi
nous jufqu’au milieu du dernier fiecle. Elle a,été depuis
trop négligée. On commence à s’occuper plus
férieufement à la remettre en vigueur ; mais on
éprouve ce qui doit arriver toûjours de la langueur
oh l’on a lamé tomber les arts utiles. Il faut vaincre
aujourd’hui la molleffe-, & détruire l’habitude & le
préjugé. ^ /
■ Les exercices du corps fi nécèffaires à l'homme de
guerre, étoient- ordonnés-chez les»Grecs par des lois-
que les Ephores & les Archontes foûtinrent avec fé-
vérité. Ces exercices étoient publics. Chaque ville
avoit fon gymnafe oh la jeunefle étoit obligée de fe
rendre aux heures prefcrites. Le gymnaftique chef
de ces exercices étoit revêtu d’une grande autorité,
& toûjours choifi par éleâion parmi les citoyens
les plus expérimentés &£ les plus vertueux. Les jeux
olympiques, Néméens, Ifthmiens & les>Pithiens,
ne furent inftituésque pour juger des progrès que la
jeuneffe faifoit dans les exercices. On y décernoit
des prix à ceux qui avoient remporté la vi&oire à la
courfe, & dans les combats de la lutte, du cefte, &
du pugilat. C ’eft ainfique la Grece , trop foible contre
la multitude d’ennemis qu’elle avoit fouvent à
combattre, multiplioit fes forces, &c préparait fes
enfans à devenir également intrépides & redoutables
dans les combats.
On eri voit un exemple bien frappant dans l’action
vraiment héroïque des trois cents Lacédémoniens
qui défendirent le pas des Thermopyles ; le
courage feul n’eût pu fuffirè à leur petit nombre
pour foûtenir fi long-tems les efforts redoublés d’une
armée prefque innombrable, s’ils n’euffent joint la
plus grande force & l’adreffe à leur dévouement entier
à la défenfe de la patrie.
Le même art fut cultivé chez les Romains ; &
leurs plus grands capitaines en donnèrent l’exemple.
Marcellus, Célar & Antoine, traverfoient couverts
de leurs armes des fleuves à la nage ; ils marchoient
à pié & tête nue à la tête des légions, depuis
Rome jufqu’aux extrémités des Alpes, des Pyrénées
, & du Caucafe. Les dépouilles opimes offertes
à Jupiter Férétrien furent toûjours regardées
comme l’aâion la plus héroïque ; mais bien-rôt le
luxe & la molleffe s’introduifirent, lorfque la voix
de Caton & fon fouvenir eurent perdu leurs droits
dans la capitale du monde. Si le fiecle d’Augufte vit
les Arts fe perfectionner, les Belles-Lettres l’éclairer
les moeurs fe polir, il vit auffi dégénérer toutes
les qualités qui avoient rendu les Romains les maîtres
de toutes les autres nations.
Les exercices du corps fe foûtinrent long-tems
parmi les Scythes, les Gaulois, & les Germains;
mais il n’eft point de nation oh ils ayent été plus
long-tems pratiqués que chez les François.
Avant l’invention des armes-à-feu, la chevalerie
françoife décidoit feule du gain d’une bataille ; &
lorfque nous voyons dans les arfenaux les anciennes
armes offenfives & défenfives dont elle fe fer-
v o i t , nous avons peine à concevoir comment il
étoit poffible d’en faire ufage.
La nature cependant n’a point dégénéré. Les hommes
font les mêmes qu’ils étoient ; mais l’éducation
eft bien différente. On accoûtumoit alors les enfans
à porter de certains poids qu’on augmentoit peu-à-
peu ; on les exerçoit dès que leur force commençoit
à fe déployer ; leurs mufcles s’endurciffoient en con-
fervant la foupleffe. C ’eft ainfi qu’on les formoit
aux plus durs travaux. L’éducation & l’habitude font
prefque tout dans les hommes, & les enfans des plus
«rands-feigneurs n’étoient point exempts de ces exercices
violens ; fouvent même un pere envoyoit fon
fils unique pour être élevé à l’exercice des armes &
de la vertu chez un autre chevalier , de peur que
fon éducation ne fût pas fuivie avec affez de rigidité
dans la maifon paternelle. On nommoit cette efpece
d’éducation nourriture ; & l’on difoit d’un brave che-
yalier, qu’i/ avoit reçu chez tel autre une bonne <$*
louable nourriture. Rien ne pouvoit difpenfer de cette
éducation militaire tous ceux qui prétendoient à
l’honneur d’être armés chevaliers. Quelles avions
héroïques de nos rois & de nos princes ne lifons-
nous pas dans notre hiftoire !
Quoique l’ufagedes armes-à-feu ait changé lé fyftème
de combattre dans prefque toute l’Europe aRpr
exercices propres à former 1 ‘homme de guerre fe font’
foûtenus jufqu’à la minorité du feu roi ; mais alors
les tournois & les combats de la barrière avec des1
armes pefantes dégénérèrent en courfe de bague &
de têtes & en càrroufels. Les armes défenfives furent
changées en:ôrnemens fomptueux & en livrées galantes
; bien-tôt l’art de combattre de fa perfonne
fut négligé ; la molleffe s’introduifit au point de craindre
même de fe fervïr de la feule arme défenfive qui
nous refte de l’ancienne chevalerie ; & la cuiraffe
devenant un poids trop incommode, on attacha l’idée
d’une fine valeur à ne s’en phis fervir.
Les ordonnances du Roi ont remédié à-cet abus;
& la raifon éclairée démontre à l'homme de guerre
que lorfqu’il ne fe tient pas en état de bien combattre
de fa perfonne , il s’expofe à dévenir inutile à
lui-même & à fa patrie en beaucoup d’ôccafions,
à donner l’exemple de la molleffe à ceux qui font'
fous fes ordres.
La valeur eft fans doute la vertu la plus effentiellé
à Yhomme de guerre ; mais heureufement c’eft la plus
commune. Eh, que feroit-il, s’îUneia poffédoit pasfc
Il n’eft perfonne qui dans lefôhd de fon coeüme fe
rende juftice à foi-même. L’homme de guerre doit C&
connoître, s’apprétier avec févérité ; ôc lorfqu’il ne
ne fe fent pas les qualités qui lui font néceffaires, il
manqué à la probité, il manque à fâ patrie, à fon
roi-, à lui-même, s’il s’expofe à donner un mauvais
exemple, & s’il occupe une place qui pourroit être'
plus dignement remplie.
Le mérite de Y homme de guerre eft prefque toûjours
. jugé fainement par les pareils; il l’ eft encore avec
plus de juftice & de févérité par le fimple foldat.
On ne fait jamais plus qu’on ne doit' à là guerrel
G’eft s’expofer à un deshonneur certain, que de négliger
d’acquérir les connoiffances néceffaires au
nouveau grade qu’on eft sûr d’obtenir; mais malheureufement
rien n’eft fi commun.
Nous n’entrerons point ici dans les détails de la
fcience immenfe de la. guerre. Que pourrions-nous
dire qui puiffe égaler les écrits immortels des Vau-
ban, des Feuquieres, & des Puyfégur ?
Au refte, on fe ferait une idée très-fauffe de Ykon*
me de guerre, fi l’on croyoit que tous fes véritables
devoirs font renfermés dans un art militaire qu’il ne
lui eft pas permis d’ignorer. Expofé fans cefl'e à la
vûe des hommes, deftiné par état à lès commander,
le véritable honneur doit lui faire fentir qu’une réputation
intafte eft la première de toutes les récom-
penfes.
Nous nous renfermons ici dans les feuls devoirs ref-
peôifs des hommes. \Jhomme de guerre n’eft difpenfé
d’en remplir aucun. Si par des circonftances toûjours
douloureufes pour une belle ame il fe trouve dans
le cas de pouvoir fe dire comme Abner,
Minijlre rigoureux des vengeances des rois;
qu’il reçoive, qu’il excite fans ceffe dans fon ame
les fentimens de ce même Abner; qu’il diftingue le
mal néceffaire que les circonftances l’obligent à faire ,
d’avec le mal inutile & les brigandages qu’il ne doit
point tolérer ; qu’au milieu des fpettacles cruels &
des defordres qu’enfante la guerre, la pitié trouve
toûjours un accès facile dans fon coeur ; & que rien
ne puiffe jamais en bannir la juftice, le defintéref-
fement, & l’amour de l’humanité. Article de M. le
Comte d e T r e s s a n .
Guerre, (Droit naturel & Politique.') c’eft, com