
suffi que faute de diftinguer le rhûmatifme, le catarrhe
ou toute autre douleur des articulations d’avec
la goutte, quelques auteurs affûrent de l’avoir guérie.
Le petit nombre des exemples qu’ils citent, le
peu de foin qu’ils ont pris de cara&érifer la maladie,
la nature des moyens dont ils fe font fervi«, devenus
impuiffans en d’autres mains, donnent de juftes fu-
jets de douter des guéril'ons qu’ils publient ; & l’on
n’eft que trop bien fondé à regarder encore aujourd’hui
la goutte comme une maladie incurable, comme
on l’a dit de tout tems de la goutte nouée, félon ce
Vers d’Ovid e,
Tollere nodofam ttefcit Medicina podagram ;
parce qu’elle porte un caraftere auquel perfonnne
ne peut fe méprendre.
Tous les Médecins conviennent, à commencer
par Hippocrate, que la goutte eft pourtant guérilla-
oie , & qu’il eft poffible de trouver des moyens de la
dompter, pourvu qu’elle ne foit ni héréditaire ni invétérée
, ni nouée ; mais qu’elle ait été guérie parfaitement
& fans retour, fi ce n’eft par hal'ard & par
quelque heureux concours de circonftances difficiles à rencontrer, on en doute avec jufte raifon : peut-
être fera-t-on plus heureux à l’avenir, qu’on n’a ete
par le palfé. La violence des douleurs qui a fait inventer
tant de moyens différons pour s’en délivrer,
féconde en expédiens & en tentatives, pourra bien
rencontrer enfin le remede tant, déliré : mais ce re-
mede eff encore ignoré, & goutte peut de nos jours
pour le malheur du genre humain, tenir le même langage
que Lucien lui faifoit tenir de fon tems, qu’elle
eft la maîtreffe fouveraine & indomptée des douleurs,
qu’on ne peut la fléchir par la violence, qu’elle
fe rend d’autant plus redoutable qu’on lui livre plus
de combats, & d’autant plus benigne qu’on lui cede
& qu’on lui obéit plus patiemment & plus aveuglement.
Les exemples de guérifons Sc de merveilles opérées
par la d iete, l’abftinence du vin & des femmes,
l’ufage du lait, de l’eau tiede pour toute nourriture,
& quelques autres remedes, font plus confolans pour
les goutteux avides de guérir, qu’ils ne font certains.
Cardan , de curatione admiraiîdâ , n°. /<5\ rapporte
quatre exemples de guérifons de fa façon, par des
moyens qui depuis lui n’ont guéri perfonne. Schenc-
kius , lib. F . obferv. Solenander, conjil. t° .fe c l.6 . en
rapportent auffi quelques exemples, ainfi que tant
d’autres auteurs qu’il eft inutile de nommer. Caro-
lus Pifo fait l’hiftoire d’un certain Cornélius Per-
daeus de Picardie, qui étant goutteux depuis l’âge
de fept ans, & ayant de fréquentes attaques chaque
année, fut guéri à l’âge de trente ans, après s’être
abftenu de vin pendant deux ans, s’être bien v ê tu ,
bien couvert pendant la nuit, pour pouvoir fuer le
matin à l’iffue du fommeil, & s’être legerement purgé
trois ou quatre fois le mois avec le firop de rofes
pâles, comme il le lui a voit confeillé. M. Default fe
flatte, de nos jours, dans fon traité de la goutte, d’avoir
opéré des guérifons avec les apéritifs martiaux,
fécondés de l’ufage du lait ; & à la page / 6 8 , il aflïïre
avoir vû un goutteux s’être guéri parfaitement pour
avoir avalé tous les matins à jeun pendant un mois,
neuf gouffes d’ail; ayant ainfi enchéri fur ce qui eft
rapporté dans la pratique de Lazare Rivière , que
quelques perfonnes regardent comme un grand remede
d’avaler le matin à jeun trois gouffes d’ail pour
guérir de cette maladie. Cayrus, dans fa pratique, a
la hardieffe d’avancer que dans un accès de goutte oit
il n’avôit que la langue de libre, ayant pris une dofe
de fon éleûuaire cariocoftin, & s’étant fait porter à
quatre fur fon fiége,il n’eut pas plûtôt pouffé trois ou
quatre felles, qu’il marcha feul & n’eut befoin du fe-
cours de perfonne j comme fi la goutte univerfelle
étoit affez docile pouf fe laiffer ainfi porter âquatre,
& fe diffiper à l’inftant par trois ou quatre felles. Il
reffemble bien à ces charlatans qui poffedentdes fpé-
cifiques fouverains, & qui favent porter des coups
beaucoup plus sûrs à la bourfe qu’à la maladie, fur-
tout quand il ajoute que par le fecours de fon remede
pris trois ou quatre fois par an, il fe délivra de la
goutte pendant trente ans.
Les guérifons extraordinaires & les miracles opères
par la jo ie , la crainte, les douleurs même , ne
méritent pas plus de confiance ; les moyens en font
d’ailleurs trop impraticables pour que la Médecine
en puifl'e retirer d’autre fruit que l’admiration. An-
dræus Libavius, epijl. Ix x iij. in cycla med. raconte
l’hiftoire d’un cabaretier goutteux, qui avoit fait
un marché de 300 florins avec un médecin logé
chez lu i, s’il le guériffoit ; celui-ci l’ayant fait faifir
par fes domeftiques, lui cloüa les piés fur un poteau
avec fix gros clous ; partit fans dire adieu, & revint
trois ans après exiger fon falaire , ayant appris que
le patient n’avoit plus eu d’attaque de goutte. Franc.
Alexander raconte de Franc. Pecchius, goutteux décidé
, qu’ayant, été détenu vingt ans en prifon, if
fut exempt de goutte en fortant pour le refte de fa
vie. Guilhelmus Fabricius, obfervat. Ix x jx . cent. r.
fait l’hiftoire de trois malheureux goutteux qui ayant
été appliqués à la torture pour leur faire avoiier un
crime dont ils étoient foupçonnés, & ayant été reconnus
innocens , furent délivrés pour leur vie de
celle de la goutte, qu’ils a voient éprouvée plufieur»
fois auparavant. Le même auteur, epijl. x lv ij. raconte
qu’un goutteux, dans le tems du paroxyfme
ayant été enlevé de fon lit par un ennemi mafqué ,
traîné par l’efcalier, enfuite mis fur fes piés au bas
de la maifon, pour prendre haleine, le fpeébre prétendu
ayant fait femblant de le reffaifir pour le porter
hors delà maifon, le goutteux prit la fuite en
montant l’efcalier, & alla crier au fecours par les
fenêtres. Le même Fabricius fait mention d’une gué-
rifon fubite arrivée à un coupable perclus de goutte
qu’on menoit au fupplice, qui en apprenant à moitié
chemin que le prince lui faifoit g râce, fe mit fur
fes piés, & fut délivré pour le refte de fa vie. Sen-
nert affûre qu’un jeune goutteux, allarmé du feu qui
avoit pris la nuit dans la maifon voifine de la fienne,
fe leva brufquement, defcendit l’efcalier, traverfa
un foffé plein d’eau , & fut ainfi délivré de fon a ccès
& des fuivans pendant plufieurs années. Il raconte
auffi , d’après Doringius, qu’un habitant de
Gieffe, dans un accès violent de douleur & d’impatience
, s’amputa le doigt du pié fouffrant, & fut
exempt de retour tout le refte de fa vie. On pour-
roit rapporter plufieurs autres exemples qui ne ten-
droient, comme celui-ci, qu’à prouver combien on
s’eft attaché de tout tems à remarquer ce qui avoit
quelque pouvoir fur cette fatale maladie, fans avoir
encore pû découvrir aucun moyen certain pour la
détruire.
Traitement. Rien n’eft plus naturel pour les fouf-
frans, que de chercher des remedes & du foulage-
ment dans les tourmens de leurs accès : rien n’eft
plus fage & plus prudent dans les intervalles, que
de fe précautionner contre leurs retours, & de met-,
tre tout en ufage pour s’en préferver.
Le meilleur remede pendant la douleur, c’eft la
douleur même, félon Sydenham, quand on a le courage
de la fupporter, parce qu’elle n’eft jamais fuivie
d’aucun fâcheux événement ; & qu’elle termine l’accès
d’autant plus promptement & plus parfaitement,
qu’elle eft plus violente : au lieu que les moyens
qu’on employé pour l’adoucir, la prolongent le plus
fouvent, la font dépofer, & quelquefois remonter.
Mais tous les patiens n’ont pas un courage fuffifant
pour demeurer ainfi tranquilles ; l’excès de' la douleur
peut d’ailleurs vaincre toute patience & toute
Fermeté : c*eft alors qu’il convient de donner des fecours,
qui, n’en portaffent-ils que le nom, en deviennent
de réels, & empêchent les fouffrans de fe
defefpérer.
Lorfque la fieVre eft de la partie, ou que les douleurs
font intolérables, fi le goutteux eft jeune, d’un
tempérament fanguin & pléthorique, la faignée peut
être pratiquée une ou deux fois. Simon Pauli préféré
celle des veines gonflées de la partie affligée ;
& il affûre, claff. iij. lit. boni Henric. quadripart. bo-
tan. que par le fecours d’une pareille fàignee & du
cataplafme fuivant, il a fait en trois jours des guérifons
miraculeufes. t t
'dJL du bon Henri fans fleurs, quatre poignées ;
des fleurs feches de camomille & de fureau, de chacune
deux poignées : cuifez-les dans fi q. d’eau de
fureau : tirez-en la pulpe, & mêlez-y demi-once de
gomme caranne, & demi-gros de camphre*
M. Vieuffens , auteur du novum Jyfi. vaforum ,
préféroit la faignée à la partie goutteufe, & l’a pratiquée
fur lui - même avec fuccès* Je 1 ai faite auffi,
& je puis affûrer que tant que le fang coûtait, il
n’étoit plus queftion de douleur ; que le fang jaillif-
foit avec une impétuofité étonnante, quoique le pié
fût dans une fituation beaucoup plus elevee que la
tête, & qu’il n’eût pas été queftion de le mettre dans
l’eau ; mais que la douleur recommençoit comme
auparavant, dès que le fang avoit ceffé de couler*
Les fangfues peuvent fouvent tenir lieu de la faignée
, fur-tout pour les perfonnes délicates , & don*
ner plus ou moins de foulagement, félon qu elles tirent
à-la-fois une plus grande ou une moindre quantité
de fang.
Le régime de vivre doit être fevere, fur-tôüt pendant
la fievre ; & , félon le degré, la continuité ou la
durée, ne pas paffer les bouillons ou les potages.Hors
le cas de fievre, on peut vivre comme en fanté ;
avec la referve pourtant de ne point fouper, ou de
.fouper peu; d’éviter les ragoûts, le haut goût, les
fritures , les viandes falées, les legumes fecs , les
artichauds, les afperges ; le poiffon mou, comme la
carpe, que Julius Alexander, lib. F.falu b r. cap. vj,
affûre avoir donné la goutte à un de fes amis, qui
étoit certain d’en prendre une attaque chaque fois
qu’il en mangeoit.
La fituation du membre fouffrant eft plus importante
qu’on ne le penfe communément, pour diminuer
l’excès de la douleur & la rendre fupportable ;
il doit être élevé autant qu’il eft poffible, délivré
du poids des couvertures, & fouvent de la chaleur
du lit , qui contribue fi fort, fur-tout pendant la nuit,
à augmenter celle qui exifte déjà, & à irriter la douleur
au point de ne laiffer prendre aucun repos au
malheureux goutteux.
Les applications les plus utiles & les plus innocentes
qu’on ait encore trouvées, font le lait froid
ou tiede au fortir du pis de l’animal qu’on trait fur
la partie malade , ou qu’on y applique avec des corn-
preffes ; le cataplafme avec le lait & les farines d’orge
, d’avoine , ou la nue de pain blanc ; la tomme
fraîche de lait de brebis, qu’on renouvelle fouvent ;
la pulpe d’oignon de lis ou d’oignon ordinaire, cuits
au four ou fous la cendre , & nourrie avec 1 huile
d’amande douce, récente, tirée fans feu ; la chair de
boeuf ou de v e a u , dont on applique des roiielles
froides ou toutes palpitantes ; la cervelle des veaux,
agneaux, moutons ; les anodyns, tels que le jaune
d’oeuf frais, l’onguent anodyn de Crollius ; les narcotiques
même, fi l’on eft forcé d’y avoir recours.
Mais la douleur, dans fes premiers tranfports, plus
>uiffante que les remedes, élude prefque toûjours
eur fecours , & n’en reçoit aucun adouciffement.
C’eft alors que le defefpoir, qui ne connoît ni frein
Tome FIL\
ni danger, a inventé les bains d’eau froide , douce
ou falée, de glace ou de neige, qui ont fait des gué*
rifons promptes & miraculeufes ; mais qui ont fait
auffi plus fouvent remonter la goutte, ou qui l’ont
changée eh une mort fubite.
Dans une maladie auffi indomptable, il n’eft pas
étonnant qu’on fe foit retourné de tous les côtés ,
qu’on ait prefque tout tenté ; ôc qu’après avoir éprouvé
le froid contre le chaud, combattu le mal par fort
contraire, on fe foit avifé de lui oppofer fon fem-
blable, &c d’attaquer le feu par le feu même. Wi-
lelm. Tenrhyne, dijfert. de arthritide, pag. 10a. foû-
tient que le feu eft un excellent remede contre la
goutte; qu’il eft innocent, & qu’il a vû les Japonois
fe guérir de leurs attaques, en mettant feu à du papier
ou de la mouffe dont ils entouroient la partie
goutteufe : on en trouve plufieurs exemples dans
Hippocrate & les anciens, qui fe font fervis d’étou-
pes, de charpie, de mouffe, &c. pour une pareille
opération. Boerhaave la confeille, ainfi que le fouet
avec des orties , pour attirer le levain en-dehors ,
lorfqu’on craint que la partie ne 1e durciffe trop tôt ,
& ne perde fa mobilité.
On fécondé l’effet des topiques par les boiffons de
petit-lait, paf les juleps anodyns, les opiates, par
les clyfteres émolliens ; mais ce n’eft qu’après la pre*
miere impétuofité de la douleur, qui eft toûjours in*
vincible, félon Sydenham , qu’on peut retirer quelque
fruit des applications propres à réfoudre & à ac*
célérer la deftruâion du levain goutteux. C ’eft alors
qu’on peut employer avec fuccès l’emplâtre de Ta-
ehenius, dont voici la recette.
de l’huile rofat ib j. Quand il fera chaud , dé*
layez-y du favon blanc râpé 3 iiij. enfuite ajoûtez-y
de la cérlife &c du minium en poudre , de chacun
$ iiij. cuifez le tout lentement, en remuant toûjours
avec une fpatule de bois, jufqu’ à ce qu’il ait acquis
la confiftence d’un emplâtre : alors, après avoir
laiffé un peu refroidir, en remuant toûjours, mêlez. .
y une once de camphre, diflbus auparavant dans un
mortier avec q* f. d’efprit-de-vin, pour le réduira
en forme de bouillie.
C ’eft au même moment de la diminution des tour-
mens, que M. James, dan9 fon dictionnaire de Mede*'
cinc, à la fin de l’article goutte, dans fes reflexions ,
propofe un topique qui lui a été communiqué par
un goutteux , qui n’eft compofe que de fleurs de fureau
, de vinaigre & d’un peu de fel digérés enfem-
b le , qui appliqué froid, ne laiffe pas de faire beaucoup
tranfpirer la partie ; & qui doit par conféquent é
en attirant au-dehors & en évacuant le levain goutteux,
l’empêcher de dépofer, & abréger beaucoup
la durée du paroxyfme. C ’eft dans le même tems
qu’on peut auffi appliquer avec utilité le baume de
foufre térébenthiné ; la térébenthine elle-même fur
les étoupes, dont quelques perfonnes font un grand
fecret, ainfi que tous les différehs baumes, principalement
celui de la Mecque, avec lequel quelques
goutteux croyent s’être guéris, ou du-moins préfer.
vés de la goutte pendant plufieurs années.
On pourroit bien, avec autant de raifon, appliquer
les lithonptriptiques , les fels lixiviels, les ab-
forbans, les favons, qui font peut-être les feuls re-
medes capables d’attaquer la caufe du mal, comme
l’a foupçonné M. Deydier dans fa dijfertation fur là
goutte, imprimée à Montpellier en 1726 : an arthri-
tidi curandce queertndum topicum lithomptripticum. On
pourroit bien auffi en faire ufage intérieurement,
comme nous le dirons ci-après , ainfi que des amers
ftomàchiques aromatiques, qui ont toûjours été employés
en pareille occafion pour fortifier l’eftomac ,
ranimer les digeftions, & détruire les reliquats du
levain goutteux.
A l’égard de la purgation, elle ne trouve prefque
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