
la leur eft la feule qui ne voye pas des fyna-
gogues à côté de fes temples.
La Ruflie , qui doit à Pierre - le - Grand fa
grande influence dans les affaires de l’Europe,
n’en avoit aucune depuis qu’elle étoit chrétienne.
On la voit auparavant faire fur la mer Noire
ce que -les Normands faifoient fur nos côtes
maritimes de l’Océan, armer, du temps d’Hé-
raclius, quarante mille petites barques, fe pré-
fenter pour affliger Conftantinople , impofer un
tribut aux- Céfars grecs. Mais le grand' Knés
Volodimer , occupé du foin d’introduire chez
lui le chriftianifme , 8c fatigué des troubles in-
teftins de fa maifon, affoiblit encore fes états
en les partageant entre fes enfans. Ils furent
prefque tous la proie des Tartares , qui afler-.
virent la Ruflie pendant deux cents années. Ivan
Bafilides la délivra & l’agrandit, mais après lui
les guerres civiles la ruinèrent.
Il s’en falloit beaucoup avant Pierre-le-Grand
que la Ruflie fût aufli puilfante , qu’elle eût autant
de terres cultivées, autant de fujets , autant de revenus
que de nos jours*, elle n’avoit rien dans la
Livonie , & le pëu de commerce' que l’on faifoit
à Aftracan étoit défavantageux. Les Rufles fe
nourrifloient fort mal -, leurs mets favoris :
n’étoient que des concombres 8c des melons
d’Aftracan, qu’ ils faifoient confire pendant l’été
avec de l’eau, de la farine & du f e l , cependant
les coutumes afiatiques commençoient déjà
à s’ introduire chez cette nation. Pour marier un
czar , on faifoit venir à la cour les plus belles
filles des provinces -, la grande maîtrefle de la
cour les recevoit chez e lle s , les^ logeoit féparé-
ment , & les faifoit manger toutes enfemble.
Le czar les voyoitr^ ou fous un nom emprunté,
ou fans déguifement. Le jour du mariage'étoit
fix é , fans que le choix fût encore connu -, 8c
le jour marqué , on préfentoit un habit de noces
à celle fur qui le choix fecret étoit tombé :
on diftribuoit d’autres habits aux prétendantes,
qui s’en retournoient chez elles. Il y eut quatre
exemples de pareils mariages. .
Dès ce temps-là, les femmes rufles furent fe
mettre du rouge , fe peindre les fourcils, ou
s’en former d’ artificiels -, elles prirent du goût
à porter des pierreries , à fe parer", à fe vêtir
d’étoffes précieufes-, c’ eft ainfi que la barbarie
commençoit à finir chez ces peuples, par con-
féqiient Pierre leur fouverain n’eut pas tant de
peine à policer fa nation , que quelques auteurs
ont voulu nous le perfuader.
Alexis Mikaelovitz avoit déjà commencé d’annoncer
l’ influence que la Ruflie devoit avoir un
jour dans l’Europe chrétienne. Il envoya des
ambaffadeurs au pape , & à prefque tous^les
grands fouverains de l’Europe , excepté a la
France , alliée des Turcs, pour tâcher de former
une ligue contre la Porte-Ottomane. Ses am-
bafladeurs ne réuflirent cependant dans Rome ,
qu’ à ne point baifer les pieds du pape, 8c n’ob f
tinrent ailleurs que des voeux impuiflans.
Le même czar Alexis propofa d’unir en 1676 ,
fes vaftes états à la Pologne, comme les Ja-
gellons y avoient joint la Lithuanie *, mais plus
l’on offre étoit grande , moins elle fut acceptée.
Il étoit très-digne de ce nouveau royaume , par
la manière dont il gouvernoit les fiens. C’eft
lpi qui le premier fit rédiger un code de lo ix ,
quo.iqu’imparfait -, il introduifit des manufa&ures
de toiles 8c de foie , qui , à la vérité , ne fe
foutinrent pas , mais qu’ il eut le mérite d’ établir.
Il peupla des déferts vers le Volga 8c la
Kama , de familles lithuaniennes, polonoifes 8c
tartares , prifes dans fes guerres y tous les pri-
fonniers auparavant étoient efclaves de ceux
auxquels ils tomboient en partage ', Alexis en
fit des cultivateurs : il mit autant qu’il put la
difcipline dans fes armées. Il appella les arts
utiles dans les états : il y fit venir de Hollande
, à grands frais , le conftruâeur Bothler ,
avec des charpentiers & des matelots, pour
bâtir des frégates & des navires. Enfin , il
ébaucha, il prépara l’ouvragé que Pierre a perfectionné.
Il tranfmit à ce fils tout fon génie ,
mais plus développé , plus vigoureux , & plus
éclairé par les voyageas.
Il y a dans cet empire trois ordres de chevalerie.
Le premier eft l’ordre de S. André ,
ou le cordon bleu, fondé en 1698 par Pierre I.
Le fécond eft l’ordre de S. Alexandre Newsld ,
ou le cordon rouge, fondé par le même prince* 1
Enfin , l’ordre de Sainte-Catherine , qui 'eft
pour les femmes. Pierre I le fonda en 1714 ,
pour marquer la confédération particulière qu’il
portôit à l’impératrice. Catherine.. Le cordon eft
d’urt rouge foncé.
Les deux tribunaux fupérieurs font, le S. Sy-
. no de pour les affaires eccléfiaftiques & le Sénat
dirigeant pour les affaires civiles', tous deux ont
leurefiège à Péterfbaurg , mais le fénat a un
comptoir à Mofcou. Ce tribunal reçoit fes
ordres du cabinet.
Les départemens particuliers du fénat font :
le comptoir des hérauts d’armes , & la chancellerie
du maître général des requêtes'- Du fénat
dépendent encore les collèges fuivans. Le collège
de Guerre 9 le collège d’Amirauté} le collège
des Affaires étrangères , le collège de justice
de Moskou y la chancellerie féodale , le
collège de la chambre pour la perception des
impôts } le comptoir d’état pour V adminifration
\ des deniers publics, le collège de révijion , qui
examine les comptes de tous les autres colleges•
Les collèges de commerce, des mines & des ma-
f nufaüures , la chancellerie de confîfcation , le
grand comptoir du fe l • outre cela il faut remarquer
le gouvernement, la chancellerie de la
monnoie , la chancellerie d’architecture , la chan-*
cellerie de la cour 3 .la chancellerie de l’académie 9
R U s
le collige % médecine, .& enfin le collige du
grand magiflrat, qui a dans fa dépendance tous
les magiftrats de l’empire. La Ruflie a dail^
leurs l’avantage précieux d’avoir un code legij-
la t if qu’on vient de Ju. faire depuis quelques
années, & dans leqfiel on a abroge les lo.x
ridicules qui tenoient aux fiècles de barbarie .
qu’elle faffe'encore un pas; qu elle confomme
l’ouvrage commencé de rendre la liberté aux
ferfs, & on verra bientôt cette nation dans la
fplSousUïé règne de Pierre, le peuple Ruffe qui
tient à l’Europe , & -qui, vit dans les grandes
v ille s , eft devehu civilifé , commerçant, eu
rieux des arts & des fciences, aimant les fpec-
tacles & les nouveautés ingénieurs. Le’ grand
homme qui a fait ces changemens, elt heu-
reufement né dans le temps favorable pour les
produire. Il a introduit dans fes états les arts
qui éfoient tous perfeélionnés .chez fes <voifins;
& il eft arrivé que ces arts ont fait plus de
prpgrès en 50 ans chez les fujets, déjà difpofes
à les goûter, que par-tout ailleurs , dans 1 el- .
pace de trois ou quatre fiècles. . .
Dans l’état qu’ il eft aujourd’h u i, la nation
ruffe eft la-feule qui trafique par terre avec la
Chine ; le profit de ce commerce eft pour 1 impératrice.
La caravane qui fe rend de Péterf-
bourg à Pékin , emploie trois ans en voyage
& au retour. Audi-tôt qu’ elle arrive a Pékin,
les marchands font renfermés dans un caravan-
ferai & les Chinois prennent leur temps pour
ÿ apporter le rebut de leurs marchandifes qu’ils
font obligés de prendre , parce qui ils n’ ont
point la liberté du choix. Ces marchandifes fe
vendent à Péterlbourg a l’enchère , da^is une |
grande falle du palais italien ; l’ impératrice afiilte
.en perfonne à cette vente ', cette fouveraine fait
elle-même des offres, & .il eft permis au moindre ■
particulier d’enchérir fur elle ■, aufli^ le fait-on ,
& chacun s’emprefle d’ acheter à très-haut prix.
Outre le-bénéfice de ces ventes publiques,
la cour fait le commerce, de la rhubarbe , du
fe l, des cendres, de la biere , de l’eau-de-vie,
&c. L’état tire encore un gros revenu des'épiceries,
des cabarets, & des bains publics , dont .
l’ ufage eft aufli fréquent parmi les Rufles que
chêz les Turcs.
Autrefois la Rufiié étoit une mine inepuifable
pour nos manufactures françoifes ^ aujourd’hui
elle s’eft laflee de porter fon argent a l’étranger ,
& à encourager les artiftes , les manufactures,
dè toutes efpèces. On y fabrique des velours ,
des étoffes de foie y de laine, de toile, &c.
On y travaille le bois & les métaux, 8c on
n’a rien épargné pour pofféder les meilleurs ouvriers
8ç les plus Habiles artiftes dans tous les
genres. Mais, malgré les efforts que le gouvernement
a faits jufqu’ ici , il ne reuflira jamais
à produire de. ces ouvrages ou de ces étoffes
r u s O
qui cara&érifent le goût d’ une nation, & foie
que cela tienne à J’âprete du climat, a la forme
du gouvernement, au défaut d’émulation , Sc
au caraftère national, il y a dans les manu-
faSures, comme dans le geme des artiftes,
même les plus -célèbres , une lorte de torpeur
qui nuira toujours au progrès des arts.
■ Les foies viennent de la Chine, de la Perfe
& de l’ I ta lie , & on les teint, paffablement ;
les.laines, outre celles du pays, fe tirent de
la Turquie & de l’Ukraine. Mais les toiles Se
les draps font greffiers , Se ne peuvent être
comparés à ceux d’Angleterre Se de France.
Cependant, depuis quelques années, on a tait dans
cette partie des effais qui ont affez bien reullt.
Quant à leur marine , on peut rendre une lorte
de juftice aux Ruffes , 8e convenir qu ils onc
dans leurs ports tel vaiffeau dont Breft ou Londres
auroient pu avouer la conftruélion.
Les marchandifes que la Ruflie peut fournir
• à l’étranger, font les pelleteries de toutes efpèces,
le cuivre, le fe r , la tô le , le h u t, la
cire , le miel, lapptaffe, la barilie , le falpetre,
le goudron , l’huile de lin , la poix , la reline ,
l’huile de poiffon , le poiffon 8c les viandes
falées, le bled, le lin , le chanvre , .les groffes
toiles le favon, le tabac, 8cc. les cuirs , oc
cuirs de Rouffi, 8tc. les bois de conftrudion ,
les cordages , & c.
Elle tire de l’ étranger des draps nns , des
étoffes brochées d’or 8c d’argent , des étoffés
de foie 8c de laine , des indiennes, des toiles
de coton , des toiles fines , des ouvrages de
quincaillerie, des eaux-de-vie , des vins , des
épiceries , &c.
, Ce vafte empire a établi depuis quelques années
des échelles de commerce avec prefque tous
les'peuples du monde, 8c fes ports forte remplis
fans cefle de vaifleaux de toutes les nations
navigatrices : dans le cours de l’annee 1761 on
y compta 1859 vaifleaux qui y étoient entrés,
& il en fortit 1948. Aujourd’hui le nombre
en eft beaucoup plus conftdérable encore.
Les'revenus du fouverain de Ruflie fe tirent
de la capitation, de certains monopoles , des
douanes , des ports , des péages , 8c des domaines
de la couronne. Ils ne montent pas
cependant au-delà de 18 millions de roubles y
( c’eft-à-dire environ 90 millions de notre monnoie.
) Avec ces revenus, la Ruflie peut fair®
la guerre aux Turcs, mais elle ne fauroit, fans
recevoir des fubfides , la faire èn Europe-, les
fonds n’y fuffiroient pas ; la paie du militaire
eft très-modique dans cet empire. Le foldat rufie
n’a point par jour le tiers de la paie de l’allemand,
ni même du françois -, lorsqu’ il fort “de
fon pays , il ne peut fiibfifter fans augmentation
de* paie ', 8c ce font les puiflances alliées
de la Ruflie , qui founfiffent chèrement c em
augmentation»